Avoir le sentiment d’être chez soi vient non seulement de la satisfaction d’avoir quatre murs et un toit, mais aussi d’évoluer dans un environnement sain et sécurisant. Qu’en est-il pour les squatters ? Reportage.
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À 14 h 30, à la rue Alfred-Bernard, Roche-Bois, règne une odeur nauséabonde dans les étroites allées. Il y a une cinquantaine de maisons en tôle en piteux état.
« Nous sommes ici depuis 1989 et je sais que rien ne va changer pour nous. Nous avons à maintes reprises raconté aux gens qui sont venus nous voir que nous vivons dans des conditions déplorables », lance un homme dans la cinquantaine. Il décide de ne rien nous raconter, car il dit en avoir marre de toujours dire la même chose et que sa situation n’a pas changé.
Nous rencontrons Marie Danielle Begué, 47 ans. Cette mère de trois enfants âgés de 15, 12 et 7 ans occupe l’une des habitations depuis plus de 30 ans. Sa petite maison en tôle, proche des autres maisonnettes, est sur le point de s’effondrer, explique-t-elle. Les grosses averses ne font qu’empirer l’état de sa maison.
« Le niveau d’eau de la rivière juste à côté monte. Les autorités font la sourde oreille quand on leur explique que nous ne pouvons plus continuer à vivre ainsi. La dernière fois, on a dû enlever toutes les carpettes et tous les meubles étaient trempés. C’est avec la coopération des voisins qu’on doit enlever l’eau accumulée et des fois passer la nuit chez eux. »
Avec l’espoir de quitter cet endroit et d’avoir une maison de la National Housing Development Company, elle a emprunté de l’argent de la compagnie où elle travaille. Cependant, elle nous confie que les autorités concernées ne semblent guère se soucier de leur cas.
Le salaire de cette fish cleaner ajouté à celui de son mari s’élève à moins de Rs 15 000. Après les dépenses pour le matériel scolaire, la nourriture pour la famille et le remboursement des prêts, il nous reste rarement une roupie. « Eski get figir pou donn lakaz ? Il y a plus de cinq ans, j’ai entamé des démarches pour avoir une maison et on m’a informée que je devais déposer Rs 100 000. J’ai demandé à mon employeur de m’aider pour ne pas avoir à payer les intérêts de la banque.
Ce n’est qu’après qu’on m’a fait comprendre que la liste d’attente était longue et que je devais patienter. Ici, on voit les politiciens quelques jours avant les élections et on nous fait de belles promesses. Je pense que je vais passer toute ma vie à attendre. Mon souhait était d’offrir un toit décent à mes enfants, mais maintenant, je ne garde aucun espoir », raconte-t-elle.
Où dormir ?
Jean Martwees Meunier, 39 ans, squatte le quartier depuis plus de vingt ans. Il dit qu’il a tout essayé pour améliorer sa situation et que c’est vraiment dur de posséder une maison à Maurice.
« J’ai demandé de l’aide pour pouvoir commencer la culture sur le lopin de terre devant ma maison. Nous ne voulons pas de la charité, mais plutôt d’un coup de pouce. On ne peut jamais dormir en paix ici. Chaque semaine, on a la visite des gens qui affirment être les propriétaires de ce terrain. De plus, pendant la période cyclonique, nous devons quitter les lieux. Les pompiers ne viennent pas à notre secours et nous ne pouvons pas mettre la vie de nos enfants en péril », relate-t-il.
Cet apprenti maçon attend l’arrivée d’un troisième enfant. Il perçoit Rs 300 par jour et utilise cet argent pour acheter de la nourriture pour sa famille. Il doit également économiser un peu pour payer les frais de scolarité de sa fillette de trois ans. Sa maison est vide et la prochaine nuit, il ne sait toujours pas où il ira dormir.
« Nous n’avons jamais eu de toilettes ou de salle de bain. Nous allons chez nos voisins. Toutes nos affaires sont chez le père de ma compagne. Nous y avons eu des problèmes et nous sommes retournés ici. Je me suis rendu à la National Empowerment Foundation pour avoir une maison pendant plusieurs années, mais je ne crois pas que cela aboutira à quelque chose. Je suis fatigué de me déplacer à plusieurs reprises.
Nous devons à chaque fois demander à un ami de nous aider pour nous donner une petite place ou leur cuisine pour préparer le dîner. Ce soir, on ne sait toujours pas où on va dormir.
J’aurais souhaité que le gouvernement considère mon cas pour m’allouer une maison dont la mensualité est abordable. Je travaillerai encore plus dur pour la payer », indique-t-il.
Laissés pour compte
Si certains sont toujours dans l’attente d’être relogés pour vivre dans des conditions plus décentes, d’autres expliquent que le relogement n’est pas une bonne chose. Les ex-squatters de Tranquebar, qui sont à Pointe-aux-Sables depuis décembre 2016, sont loin d’avoir obtenu satisfaction.
Selon le leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval, ces derniers vivraient dans des conditions déplorables. Selon Corine, 35 ans, « le ministre Showkutally Soodhun n’est jamais venu nous rendre visite, comme il l’a déclaré à l’Assemblée nationale. Par contre, durant la semaine, les poubelles ont été vidées. Les routes ne sont pas éclairées et nous sommes très loin de toutes les facilités. Maintenant, je dois payer Rs 1 500 pour la crèche et Rs 1 500 pour la location de la maison. Tous les mois, nous devons trouver de l’argent pour payer les factures et acheter de la nourriture. Je suis malade et je reçois une pension de l’État. Je dois faire de petits boulots pour joindre les deux bouts ».
Corinne a trois enfants âgés de 15, 13 et 3 ans. Sans père, ils dorment tous dans la même chambre. « Il m’arrive de ne pas pouvoir les envoyer à l’école, car je n’ai rien à leur donner à manger. Je dois travailler chez quelqu’un et acheter de la nourriture ».
Padma, 52 ans, précise qu’ils sont tous reconnaissants d’avoir un toit, mais que le sentiment d’être des laissés pour compte est toujours là. « Il n’y a pas de loisirs pour nous et pour les enfants. Nous sommes dans le fin fond de Pointe-aux-Sables. Les camions de ramassage des ordures ne viennent pratiquement jamais.Pe gagn moutouk partou, kouma pou viv dan malprop koumsa ? Il y a certaines personnes qui n’ont toujours pas d’électricité et pas d’eau », ajoute-t-elle.
Situation difficile
Quelques mètres plus loin, des squatters attendent toujours que les autorités décident de leur sort. Christio Lisette, 26 ans, tient son bébé dans ses bras. Il la surveille pendant que sa femme prépare le dîner. Cet apprenti maçon habitait dans une maison à Sainte-Croix, quand il y a eu un incendie. En janvier, ce père de deux enfants en bas âge a dû venir squatter ici avec sa mère, sa sœur et ses deux enfants.
« Quand je suis venu ici, j’ai nettoyé le terrain et j’ai acheté des feuilles en tôle. Je débourse Rs 2 000 par an pour le bail. Nous sommes huit personnes et nous avons divisé la maison en deux. Le souci, c’est qu’on ne sait pas à quel moment on va nous demander de nous en aller. Un squatter ne peut jamais se permettre de dormir sur ses deux oreilles. Je gagne environ Rs 8 000 par mois. On m’a demandé Rs 60 000 comme dépôt pour avoir une maison, mais je suis toujours en attente. Ce n’est pas évident de bouger avec les enfants, car cela nuit à leur stabilité », fait-il observer.
Inquiétude à Bambous
À Bambous, La Ferme, les squatters attendent d’être relocalisés depuis plus de vingt ans. La raison évoquée est que les infrastructures ne sont pas appropriées pour qu’ils soient placés dans la région choisie par l’État. Or, l’inquiétude est palpable sur le visage de Sarojini Payendee, 59 ans. Jardinière de profession, elle touche à peine Rs 5 000 par mois et doit payer environ Rs 3 000 pour l’électricité.
« Je ne sais pas comment je vais construire une autre maison, si on nous demande de nous en aller. Il faudra tout recommencer à zéro. Je n’ai pas d’argent pour acheter des matériaux. Mes deux fils travaillent et m’aident financièrement. Mes trois autres enfants sont mariés et je ne peux plus compter sur eux. Déjà, ma fille me fournit de l’eau pour me dépanner. Je ne pense pas que l’allocation d’un autre terrain est la solution. Les tôles sont rouillées et je ne crois pas qu’ils pourront être réutilisés. Vivre dans une situation précaire est mauvais la société. »
Pour la quinquagénaire, la solution serait de donner des maisons appropriées aux squatters. Selon elle, la plupart d’entre eux sont prêts à rembourser. « À chaque fois qu’il y a un cyclone, on s’abrite dans des centres de refuge. En fait, c’est un cercle vicieux. N’ayant pas les moyens, les enfants sont souvent privés d’éducation et n’arrivent pas à s’en sortir. Et les adultes n’ont pas de travail décent. Fournir certaines facilités aux démunis peut contribuer à éradiquer la pauvreté », estime-t-elle.
« Squatter les terres de l’état est la seule solution pour nous, les oubliés de la société. Byen difisil pou ban ti dimoun gagn enn loan depi la bank », fait ressortir Bamy, 55 ans. Pour lui, tous les gouvernements se contentent des effets d’annonce. Il raconte comment il a dû se débrouiller pour avoir de l’eau et de l’électricité. Comme Sarojini Payendee, il a eu le contrat pour le nouveau terrain depuis plus de trois ans, mais il ne sait toujours pas ce qui va se passer.
Déterminé à s’en sortir
« Je veux avoir une maison et payer la mensualité. Je suis déterminé à sortir de cette misère et donner à mes enfants un meilleur cadre de vie. À mon époque, squatter était l’ultime moyen. Je ne peux pas travailler, car je suis souvent malade, mais je fais de mon mieux pour nourrir ma femme et mes trois enfants. Mes proches m’aident à survivre. Toutefois, je suis triste pour mes enfants. Ils sont souvent absents de l’école, car ils n’ont rien à manger », témoigne Bamy.
Nella, l’aînée de la famille, affirme qu’elle ne pense plus aux éventuelles possibilités de quitter ce lieu. Ils sont à huit à vivre dans une petite maison. « Sommes-nous condamnés à vivre ainsi ? » dit-elle.
« Ma mère travaille comme cleaner et peine à s’occuper de nous. On nous a informés qu’on nous relogerait, mais pas de nouvelles jusqu’à l’heure. Nous n’avons plus d’espoir. Je suis surtout inquiète pour mes jeunes frères et sœurs. Vivre dans un endroit sale, sans aucun divertissement, n’est pas bon pour le développement d’un enfant, mais nous n’avons pas le choix. Quand on est squatter, on finit par se dire qu’un toit et avoir quelque chose à se mettre sous la dent sont nos priorités. »
Private Notice Question
Le relogement des squatters a été le thème de la Private Notice Question, le mercredi 14 juin. Les conditions dans lesquelles vivent plusieurs squatters sont déplorables, selon le leader de l’opposition. Si le ministre du Logement a annoncé que les travaux d’infrastructures s’achèveront d’ici fin juin, Xavier-Luc Duval l’a pris à contre-pied, disant qu’ils n’avaient pas encore débuté. Showkutally Soodhun et Xavier-Luc Duval ne sont pas sur la même longueur d’onde sur le dossier des squatters relogés à Pointe-aux-Sables. Showkutally Soodhun a donné la garantie à l’hémicycle qu’il se rendra personnellement sur le site, le vendredi 16 juin, pour un état des lieux.
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