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Smart City de Roches-Noires : des zones d’ombre subsistent malgré les explications

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Le promoteur PR Capital (Mauritius) Ltd a dévoilé l’ensemble du projet de Smart City à Roches-Noires aux habitants de la localité lors d’une rencontre au Village Hall ce lundi. De nombreux écologistes ont également participé à la réunion. L’exercice de consultation est resté civilisé malgré les divergences d’opinion entre Nicolas de Chalain, représentant de PR Capital, et les participants. La rencontre a permis d’apporter des éclaircissements sur la nature du projet, son mode de financement ainsi que ses atouts.

Un dossier devrait bientôt être soumis aux autorités concernées. Il met en exergue plusieurs axes clés du projet : le développement économique local, la création d’emplois, l’impact social positif et la protection de l’environnement. Une fois le projet approuvé, il sera exécuté en trois phases et devrait être complété en 10 ou 15 ans, comme l’a expliqué Julien Ridon, un des deux Français qui se partagent l’actionnariat de PR Capital (Mauritius) Ltd. 

Villageois et écologistes se sont déplacés en nombre pour en apprendre un peu plus sur le projet de Smart City à Roches-Noires.
Villageois et écologistes se sont déplacés en nombre pour en apprendre un peu plus sur le projet de Smart City à Roches-Noires.

La première phase consiste en la construction d’un boulevard public de la route B15 (Bras-d’Eau Road), qui traversera l’ensemble de la Smart City. Celui-ci offrira un accès à la route côtière et aux différents développements prévus : espaces commerciaux, appartements, maison de retraite, golf, hôtel et spa.

Malgré toutes les explications sur le respect de l’environnement et l’assurance qu’il n’y aura aucune construction sur les zones sensibles comme les caves, tubes de lave et marécages, certains habitants et écologistes sont restés sceptiques. Ils ont émis des doutes quant à certains propos tenus et ont réclamé une contre-expertise des différents rapports soumis, afin d’obtenir une nouvelle évaluation de l’impact environnemental menée par des experts indépendants.

Julien Ridon, un des deux Français portant  le projet.
Julien Ridon, un des deux Français portant le projet. 

D’autres rencontres sont prévues avec les villageois jusqu’à ce qu’ils soient satisfaits du projet et que des garanties leur soient données quant au respect des normes environnementales et aux bénéfices pour eux. Le président du Village Council, Lenine Aukhajan, a même proposé un référendum à l’issue des consultations afin que les habitants puissent décider s’ils veulent un tel développement dans leur village.

PR Capital (Mauritius) Ltd déposera une demande de permis EIA pour un nouveau projet de Smart City à Roches-Noires vers la mi-mai. Un report a été demandé par les écologistes pour avoir le temps d’étudier le document. De nombreux habitants ont toutefois exprimé le souhait de bénéficier des développements à venir, notamment par la création d’emplois.

Un site extrêmement sensible

Pourquoi la première phase du projet n’avait-elle pas été acceptée ? Le terrain de 359 hectares sur lequel les deux promoteurs français Christophe Petit et Julien Ridon veulent bâtir leur Smart City se trouve sur un site écosensible. 

roches noiresroches noires smart city

Une des raisons pour lesquelles le ministère de l’Environnement avait décidé de « set aside » la demande de permis EIA pour la construction d’un hôtel, qui devait être la première phase de la Smart City l’année dernière, est l’importance écologique de l’endroit. Dans une réponse écrite à une question de la députée MMM Joanna Bérenger, le ministre de l’Environnement, Kavi Ramano, en fin d’année dernière, indiquait : « Étant donné la sensibilité du site et comme recommandé par l’Environmental Impact Assessment Committee qui s’est réuni le 16 mai 2022, la demande a été mise de côté. » 

Les promoteurs avancent, eux, que les espaces construits représenteront 

« seulement » 10,5 % des 359 hectares. Nicolas de Chalain, représentant de PR Capital (Mauritius) Ltd, soutient que le projet ira au-delà de ce que préconise le Smart City Scheme. « Notre priorité est de maintenir l’équilibre écologique et de ne pas chambouler la faune dans la région. Grâce aux études réalisées sur le site, nous avons pu identifier d’autres wetlands qui n’étaient jusqu’ici pas répertoriés à Maurice. » 

Qui est le promoteur ?

Le promoteur derrière la Smart City de Roches-Noires, The City Group, est français. Créé en 2013 à Lille, en France, par Christophe Petit et Julien Ridon, son siège social se situe à Paris. 

La Smart City est de loin le plus ambitieux projet de ce très jeune groupe. Si l’on se fie à son site Internet, il n’a pas énormément de réalisations à son actif. Il compte, parmi ses réalisations d’envergure et ses projets en cours, le siège de l’Office national des forêts, l’Eco-campus du Bâtiment - Grand Paris, un hôtel 5-étoiles à Megève, le réaménagement d’une ancienne friche militaire, Central One, un projet de 700 logements, la construction de 118 appartements, le projet de reconstruction d’une école, un éco-campus comprenant un hôtel 4-étoiles qui n’est pas encore achevé, et un autre projet mixte à Fréchet-Bollaert. 
La société est spécialisée dans l’aménagement du territoire et le développement immobilier, mais elle offre également des services dans les métiers de la construction, l’investissement dans les hôtels et l’immobilier tertiaire. Le projet de Smart City à Roches-Noires est piloté par la filiale mauricienne du groupe, PR Capital (Mauritius) Ltd, dont les deux seuls actionnaires sont Christophe Petit et Julien Ridon, qui sont aussi les deux actionnaires de The City Group. 

Selon un communiqué émis lundi, PR Capital (Mauritius) Ltd a été initialement créée en avril 2021 pour le projet de Smart City à Roches-Noires, « mais M. Petit et M. Ridon souhaitent s’établir de manière permanente à l’île Maurice en investissant dans différents secteurs du marché immobilier (tels que le logement, l’enseignement tertiaire, les loisirs, etc.) à travers d’autres projets de grande envergure ». 
 

Les écologistes montent au créneau

«C’est un projet absolument inutile pour le monde comme pour Maurice, et encore plus pour le village de Roches-Noires », s’indigne Bernard Cayeux, citoyen engagé, membre du collectif Mru 2025 et du groupe Protégeons l’écosystème de Roches-Noires. « Ce projet ne verra jamais le jour. Il est un des nombreux qui ont été proposés sur le site mais qui n’ont jamais abouti », pense Vassen Kauppaymuthoo, ingénieur en environnement et océanographe. « Les promoteurs ont-ils trouvé la recette magique pour réaliser leur grand projet immobilier et hôtelier sur ce site de 258 hectares ? » lance l’écologiste Adi Teelock.

Projet Roches Noires

Nos différents interlocuteurs ne voient pas le bien-fondé de ce développement de grande envergure dans une zone environnementale qui mérite d’être préservée afin de sauvegarder l’écosystème de la région. « Que ce soit en Europe ou en Afrique, on parle de restauration, de climat, de ‘nature smart development’. Mais à Maurice, on est encore comme dans les années 80, on croit que le développement passe par le bétonnage », déplore Bernard Cayeux. Il estime ainsi que c’est « une énorme bêtise » qui n’apportera rien aux Mauriciens et aux finances publiques du pays.

Il est aussi dubitatif quant au choix du site. 

« Pourquoi veut-on absolument construire à Roches-Noires ? Pourquoi ne le fait-on pas à Rose-Hill, à Côte-d’Or ou ailleurs. » Pour lui, l’argument que des gens vont acheter des maisons qui coûteront une fortune, alors qu’il n’y pas d’accès direct à la mer, ne tient pas la route. « Mis à part son intérêt écologique, le site n’a aucun autre atout. » 

« Absence de vision des autorités »

Tandis que les promoteurs parlent de création d’emplois, Bernard Cayeux s’interroge sur les types d’emploi qui seront proposés aux Mauriciens, en tenant compte du fait que les établissements hôteliers ont déjà du mal à recruter. « Pourquoi cet hôtel attirerait-il plus de candidats que les autres ? Il n’y a aucune raison. »

Bernard Cayeux est d’avis que ce projet démontre « un manque de créativité ou d’imagination et une absence de vision » de la part des autorités. 

« Nous avons la plus mauvaise équipe gouvernementale que le pays ait jamais eue. Comme c’était le cas dans les années ‘80, on développe, on bétonne et on croit toujours que les ressources et les terrains sont infinis. Ils ne savent rien faire d’autre et n’ont pas d’autre modèle que cela », déclare-t-il dépité.

Vassen Kauppaymuthoo abonde dans ce sens, ajoutant que le projet soumis est un copié-collé d’autres projets existants sans aucune innovation. « Est-ce qu’on a pris en considération la spécificité du pays ? » demande-t-il. Selon lui, nous avons besoin d’endroits préservés pour aider la nature à se regénérer et de projets novateurs en phase avec le principe du développement durable, aujourd’hui incontournable. « Or, le projet de Smart City à Roches-Noires va à l’encontre de tout cela. »

Vassen Kauppaymuthoo rappelle que la région de Roches-Noires avait été pressentie, il y a 40 ans, pour accueillir le second aéroport de Maurice. Une idée abandonnée en raison de la présence de cavernes qui sont comme des vaisseaux sanguins dans le corps humain. Elles peuvent transporter de l’eau d’un endroit à un autre, et en l’absence d’étude géotechnique, il est difficile de déterminer l’ampleur que cela peut prendre. « Avec la présence de ces cavernes, même si vous construisez à 30 mètres d’un ‘wetland’, le réseau souterrain va transporter tous les polluants et ce ‘wetland’ sera contaminé », explique l’ingénieur en environnement. 

Pour lui, l’écosystème de la région agit comme un filtre avant de rejeter l’eau à la mer. Cette fonction essentielle serait mise en péril par des constructions. De plus, il y a un risque d’affaissement du sol, fait remarquer Adi Teelock. « C’est rempli de petites cavernes et tubes de lave. Nous ne voyons pas comment les grosses machines vont pouvoir circuler sur le terrain sans détruire cela », dit-elle.
Les écologistes se concertent pour décider de la marche à suivre afin d’empêcher ce projet de développement de se concrétiser.

Une dizaine de « wetlands » et des espèces endémiques

Le site sur lequel PR Capital (Mauritius) Ltd souhaite construire sa Smart City contient une dizaine de « wetlands » et accueille de nombreuses espèces endémiques, dont une dizaine d’espèces animales telles que le Mascarene grey white-eye, le héron vert, le paille-en-queue, le tournepierre et la poule d’eau. Cela en fait un endroit essentiel et important pour l’environnement. Le promoteur insiste sur le fait que les zones marécageuses seront préservées. Jusqu’à présent, le site est vierge de toute construction, à l’exception d’un petit bâtiment de deux étages pour le gardien des lieux. Le promoteur reconnaît la sensibilité environnementale et paysagère du site. « Nous nous engageons à déployer tous les efforts nécessaires pour que ce projet soit réalisé dans le respect de l’environnement, de la communauté locale et du bien-être des habitants de Roches-Noires. Nous sommes ouverts à toutes les suggestions et nous répondrons à toutes les questions pour garantir la réussite de ce projet dans l’intérêt de tous », soutient Nicolas de Chalain, représentant de PR Capital (Mauritius) Ltd.

Un projet au coût de Rs 41 milliards

Le promoteur français soutient que le coût de son projet est estimé à Rs 41 milliards et que celui-ci « vise à avoir un impact social positif dans la région tout en favorisant un développement économique tant attendu dans cette partie de l’île ».

Le projet sera exécuté en trois phases et prendra « environ 10 ans pour être complété ».  

Selon le dossier soumis le 11 mars 2022 au ministère de l’Environnement en vue d’obtenir un permis EIA (Environment Impact Assessment) pour construire un hôtel intégrant 90 villas, la Smart City comprendra aussi, à terme, 450 villas de luxe et 50 « standard villas », une « high density residential zone » 

avec 1 320 appartements, deux terrains de golf, un complexe sportif et récréatif, une zone commerciale et à usage mixte de 10 000 m² comprenant un supermarché, des magasins, un centre médical, un centre de développement et de recherche médicinal, un campus éducatif, entre autres.

Des ambitions de ville sur ce site depuis 2005

Le projet de Smart City de Roches-Noires ressemble à une saga. La source remonte à 2005 lorsque Roches-Noires Resorts and Residence Ltd se porte acquéreur d’un vaste terrain de 800 arpents pour y faire sortir une ville des marécages. Elan, spécialiste en projets de développement intégré, mène le consortium d’investisseurs. 

En 2007, l’homme d’affaires français Jean-Marie Bain remplace le groupe Elan comme fer de lance du projet. Mais le financement continue de manquer. Le 11 février 2011, Roches-Noires Resorts and Residence Ltd informe les autorités qu’il lui est impossible de réunir les fonds pour démarrer le projet alors que d’énormes dettes - plus de Rs 2 milliards - ont déjà été contractées. 

La compagnie est placée sous administration judiciaire avec André Bonieux et Adhinatsingh Lutchumn comme administrateurs judiciaires. En 2012, le groupe chinois YIHE entre en jeu avec un projet encore plus pharaonique. Cette fois-ci, c’est l’aviation civile qui émet son veto en prétextant qu’un second aéroport pourrait être construit dans les environs. Finalement, au début des années 2020, arrive The City Group avec le but de construire une vaste Smart City. 

 

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