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Six juristes s’expriment : restaurer la confiance dans le judiciaire pour 2024

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Nous sommes dans un État démocratique où les droits et la liberté du citoyen sont la clé pour une justice juste et équitable. Selon une étude réalisée par Straconsult en juillet 2022 pour le compte de Afrobarometer, 46 % des Mauriciens ne font pas confiance à la justice. Cela a été révélé lors des débats organisés, le 9 novembre 2023, par le bureau du Directeur des poursuites publiques en collaboration avec la Mauritius Bar Association. Où se situent les problèmes ? À qui la faute ? Comment restaurer cette confiance ? Six juristes expriment leurs opinions et abordent des solutions. 

Me Priscilla Balgobin-Bhoyrul : « Il faut éviter les allégations gratuites contre le judiciaire » 

Me Priscilla Balgobin-Bhoyrul, présidente du Bar Council.
Me Priscilla Balgobin-Bhoyrul, présidente du Bar Council.

La présidente du Bar Council estime qu'il y a plusieurs facteurs qui pourraient expliquer le manque de confiance du public dans le système judiciaire. Selon elle, une part significative de cette méfiance découle du retard constaté dans le traitement des affaires devant les tribunaux, souvent en raison de circonstances externes qui ne relèvent pas nécessairement de la responsabilité des juges et des magistrats. 
L'avocate souligne une préoccupation fréquemment exprimée par le public : la lenteur du système judiciaire, qui conduit à considérer les démarches judiciaires comme une perte de temps. Comme le dicton le dit justement : « justice delayed, is justice denied ». Me Balgobin-Bhoyrul fait remarquer que les affaires sont souvent traitées plusieurs années après leur introduction en cour.

Bien que les causes de ces retards soient diverses, elle indique que c'est souvent le système judiciaire lui-même qui est tenu responsable de cette situation.

Les médias 

Avec l'émergence des médias sociaux, des journaux en ligne et des radios privées, l'avocate observe que les individus trouvent désormais plus facilement des plateformes pour exprimer leurs opinions. Me Balgobin-Bhoyrul constate que les critiques envers les décisions judiciaires sont souvent publiques et influencent l'opinion publique. « Dans ce contexte, les juges sont contraints à une certaine réserve publique et ne peuvent se défendre de manière ouverte, créant ainsi un déséquilibre dans le débat », souligne la présidente du Bar Council.

Il est important de se rappeler, ajoute Me Balgobin-Bhoyrul, que chaque affaire judiciaire aboutit à un gagnant et un perdant. Lorsqu'une partie n'est pas satisfaite d'une décision de justice, il est courant qu'elle exprime sa frustration en émettant diverses allégations, parfois même d'accusations de partialité envers le système judiciaire.

Néanmoins, l'avocate insiste sur l'importance d'accorder une attention sérieuse aux préoccupations du public et de garantir des mécanismes d'enquête appropriés pour assurer la transparence et la confiance dans le système judiciaire.

Le dernier rempart 

La présidente du Bar Council observe une tendance à la hausse du nombre d'affaires présentées devant les tribunaux. À ses yeux, le système judiciaire demeure essentiellement le dernier recours pour chaque citoyen mauricien.

Pour renforcer la confiance du public dans le système judiciaire, Me Priscilla Balgobin-Bhoyrul préconise d'éviter les « allégations faciles et gratuites » dirigées contre le système judiciaire. Selon elle, de telles affirmations pourraient éroder davantage la confiance du public dans le système. Parallèlement, elle souligne l'importance d'écouter les suggestions et les préoccupations du grand public, tout en étant prêt à apporter des améliorations si nécessaire pour renforcer la justice et la confiance envers celle-ci.

Plus de ressources et de formations

Me Priscilla Balgobin-Bhoyrul suggère plusieurs mesures pour améliorer le fonctionnement et la perception du système judiciaire. Elle insiste sur la nécessité d'allouer davantage de ressources au système judiciaire pour lui permettre d'opérer de manière plus efficiente et rapide. Cela impliquerait également d'offrir aux magistrats et juges des formations continues et spécialisées afin de maintenir et d'actualiser leurs compétences.

Elle met en avant l'importance de la transparence et de la communication avec le public. L’avocate souligne aussi la nécessité d'informer les citoyens sur les différentes étapes et recours disponibles en cas de contestation d'une décision judiciaire, depuis les tribunaux de première instance jusqu'à la Cour d'appel, voire jusqu'au Conseil privé du Roi. Cela permettrait au public de mieux comprendre le fonctionnement du système judiciaire et d'avoir confiance dans les voies de recours disponibles.


Me Bebakur Rampoortab, avoué : « Il faut travailler avec efficacité »

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Me Bebakur Rampoortab (avoué).

Pour Me Bebakur Rampoortab, avoué, le chiffre d'une récente étude sur la confiance du public dans la justice est assez inquiétant. Car moins de la moitié de la population ne fait pas confiance à la justice. Il précise qu’il faut différencier entre la perception et la réalité. Les frais sont jugés exorbitants et la lenteur des procès est décriée. À qui incombe la responsabilité ? demande l’avoué.

Lenteur 

Pour Me Bebakur Rampoortab, il y a un manque d’éducation et surtout de communication. Car les gens ne connaissent pas leurs droits ni leurs obligations. 

La lenteur de la justice est aussi un problème auquel fait face le système judiciaire. En ce moment, la division familiale de la Cour suprême est débordée. Un cas de droit de visite est appelé dans les trois mois qui suivent la demande devant la justice. Les affaires d’accident peuvent perdurer. Les affaires foncières prennent encore plus de temps, selon la complexité du cas, avance-t-il.

Le client connait-il ses droits ? Réalise-t-il qu’il a des obligations ? « Souvent, quand on demande aux clients de nous soumettre des documents, ils tardent à le faire. Il en est de même dans les cas où les autorités sont concernées. Il leur faut beaucoup de temps pour fournir les informations. Ce qui retarde le processus », évoque Me Bebakur Rampoortab. 

Manque de personnel

« Il y a aussi un manque de personnel dans le système judiciaire. Car travailler dans ce secteur est un boulot de responsabilité et les jeunes ont du mal à s’adapter », constate l’avoué.

Selon Me Bebakur Rampoortab, la perte de confiance est très relative. Il est question de ce que les gens attendent de la justice. Pour l’avoué, celle-ci reste le dernier rempart contre l’injustice.

Les gens ne disent-ils pas « on va se voir devant le tribunal ». Ce qui signifie que la confiance en la justice est bien présente.

L’avoué évoque la lenteur des tribunaux et le temps que prend celui-ci pour statuer sur un cas. « C’est une réalité que souvent un jugement est rendu deux, trois ou même quatre ans après le début des auditions dans une affaire. C’est la porte ouverte aux critiques. »

Code éthique et respect

Dans beaucoup de pays, il existe un code d’éthique pour les juges et magistrats. Ce qui fait qu’un jugement est rendu dans les plus brefs délais. Ce n’est pas le cas à Maurice.

« Il faut y penser. Pour que les gens aient une confiance, il faut qu’il y ait un respect mutuel. Un bon environnement contribue à une meilleure performance au travail. »

Il note que la Cheffe juge mentionne la date à laquelle l’affaire a été entendue et la date du jugement. Ce qui indique le temps pris pour rendre le jugement. Il souhaite que cette pratique soit aussi suivie par les autres juges. 

Coopération

Il faut une coopération entre le système judiciaire, les avocats, les avoués, le personnel du système pour instaurer confiance dans la justice. 

Il faut aussi que le travail se fasse dans un bon environnement. « Écouter, analyser l’affaire, faire des recherches et rendre le jugement dans un bref délai raisonnable » doit être l’objectif.

Les « démunis » sont très vulnérables et ils sont ceux qui souffrent le plus. Leur dernier recours reste la justice. Mais souvent le délai et les frais de justice leur font perdre confiance avec la justice.

Me Bebakur Rampoortab prône l’efficacité. Pour lui, c’est une question de mentalité. « Si chacun fait son travail avec coopération et gratitude, nous aurons un meilleur judiciaire et plus de justice. »

Conditions déplorables 

Selon lui, les conditions dans lesquelles les magistrats travaillent au niveau des tribunaux de district laissent à désirer. « Il y a plus de deux cents affaires par jour. Les tribunaux sont remplis. Il n’y a pas de place pour s’asseoir. Les gens se tiennent debout pendant des heures et sont perdus dans le brouhaha ! »

Pour Me Bebakur Rampoortab, les magistrats doivent être formés et avoir plus de maturité. Il propose que la Cheffe Juge, Bibi Rehana Mungly-Gulbul et l’Attorney General, Maneesh Gobin fassent des visites-surprises. « Ils verront la réalité des choses, car, rester dans un bureau bien climatisé, ne résoudra pas le problème. »

Innover 

Me Bebakur Rampoortab, est d’avis qu’il est temps d’améliorer le système des tribunaux de district. Car ceux-ci apportent leur contribution à la caisse de l’État. Pour chaque affaire devant cette instance, on paye des frais de justice et d’huissiers. Il y a plus de 8 000 à 10 000 contraventions dans chaque tribunal de district annuellement. Ce qui rapporte gros à l’État.

Me Bebakur Rampoortab relève le manque de courtoisie de certaines personnes dans le système judiciaire. Il souhaite que celles-ci soient formées afin que leur approche soit plus humaine. 
Il est aussi grand temps qu’une école de magistrature voie le jour. Il faut une formation afin de rendre une justice équitable.


Me Nessen Canjamalay, avoué : « L’éducation des citoyens sur notre système de justice est primordiale » 

Me Neesen Canjamalay (avoué).
Me Neesen Canjamalay (avoué).

Me Nessen Canjamalay souligne l'importance de comprendre la structure du système de justice à Maurice, qui englobe à la fois le pouvoir judiciaire et des institutions quasi-judiciaires. Bien qu'une certaine perte de confiance puisse être observée, l’avoué insiste sur le fait que ce système demeure essentiel comme rempart pour tous les citoyens mauriciens.

Me Canjamalay souligne que plusieurs facteurs contribuent à la perte de confiance dans le système de justice, notamment : 

  1. les délais pour obtenir une décision définitive ; 
  2. les procédures pour exécuter ou mettre en œuvre ces décisions ; 
  3. les frais et coûts associés à la recherche de réparation ou à la résolution des litiges ; 
  4. un manque de communication efficace pour transmettre les motivations des décisions ; 
  5. l'avènement des nouvelles technologies, bien que positif dans un certain sens, est également contraint par des informations erronées ou incomplètes sur lesquelles la plupart des gens basent leur opinion. 

Il est également important de souligner qu'au-delà de la confiance, il existe un besoin fondamental d'une justice équitable. Mettre en pratique le dicton selon lequel « Justice must not only be done, but must also be seen to be done » est essentiel. Cette affirmation devrait servir de principe directeur, assurant que la justice est non seulement rendue, mais également perçue comme telle, renforçant ainsi la confiance du public dans le système judiciaire.

Le rapport annuel du judiciaire 

Selon le dernier rapport annuel du judiciaire de 2022, rendu public en juillet 2023, il est précisé que « le nombre de procès instruits devant nos tribunaux a augmenté de 22,0 %. Cela indique clairement que, malgré une certaine perte de confiance, une part significative de la population continue de croire en l'intégrité et l'efficacité du système de justice », souligne-t-il.

Me Canjamalay souligne que la durée d'une affaire judiciaire peut varier en fonction de la complexité du cas traité. Il met en avant « les avancées technologiques récentes du système judiciaire mauricien, qui ont permis d'instaurer une approche plus dynamique et efficace pour gérer l'augmentation des affaires en justice ». À titre d'exemple, l’avoué mentionne que la division commerciale de la Cour suprême est maintenant entièrement informatisée. 

De plus, les nouvelles règles, telles que le ‘Judge in Chambers (Remote Hearing) Rules 2022’, ont été mises en place pour accélérer les procédures judiciaires. En outre, des divisions spécialisées, comme la Land Division et la Financial Crimes Division, ont été créées au sein de la Cour suprême pour mieux répondre aux besoins spécifiques et réduire les délais des différents types de procès.

Transparence 

Me Nessen Canjamalay insiste sur l'importance de la transparence dans le système judiciaire. Selon lui, une personne cherchant à obtenir justice doit être correctement informée dès le début de la procédure, notamment en ce qui concerne l'état actuel de son affaire et les différentes étapes à suivre. Il est essentiel qu'elle comprenne clairement ses options et sa situation juridique. Parmi les éléments cruciaux à considérer figurent la capacité de la personne à poursuivre l'affaire, ainsi que la présentation des preuves soutenant sa demande. Cette transparence garantit non seulement une meilleure compréhension pour la personne concernée.

Pour l'avoué, commencer par une analyse approfondie dès le début pour comprendre la problématique juridique est primordial. Selon lui, « il est courant que ceux qui cherchent une réparation ou une résolution de litige consultent d'abord un professionnel du droit pour obtenir un avis éclairé ». En fournissant tous les faits pertinents à ce praticien, la personne concernée peut ensuite prendre une décision éclairée et fondée sur des conseils juridiques solides. Cette démarche initiale garantit une approche réfléchie et informée pour aborder toute question juridique ou litige.

« La confiance dans tout système de justice repose également sur l'intégrité et la conduite éthique des praticiens du droit. Il est essentiel que chaque professionnel respecte les codes de déontologie en vigueur pour garantir un service juridique de qualité aux citoyens. Il est de sa responsabilité de maintenir les normes éthiques les plus élevées. Tout manquement à ces normes peut entraîner des sanctions disciplinaires et des poursuites judiciaires », dira-t-il. 

Justice participative 

Me Nessen Canjamalay soutient qu’il est crucial pour les citoyens d'opter pour la justice participative. Cette méthode propose des solutions par le biais de négociations, de médiation, d'arbitrage, et de règlements à l'amiable. Seulement en dernier recours, une affaire pourrait être dirigée vers les tribunaux traditionnels. « La force de la justice participative réside dans la possibilité offerte aux parties de se sentir écoutées, conduisant souvent à des accords qui profitent à toutes les parties », dit l’intervenant.

L'avoué met aussi l’accent sur l'importance de la médiation et de l'arbitrage, surtout lorsque ces méthodes sont stipulées comme alternatives de règlement des litiges dans un contrat. Il met en avant les règles comme les « Supreme Court (Mediation) Rules » et les « Intermediate Court (Mediation) Rules ». Ces dispositions permettent à une partie d'opter pour la médiation, même si l'affaire est déjà en cours devant la Cour suprême ou la cour intermédiaire, illustrant ainsi la flexibilité et l'ouverture de notre système de justice à ces méthodes alternatives.

Indépendance des institutions 

Me Nessen Canjamalay évoque l'importance cruciale de la confiance du public dans les institutions qui élaborent, appliquent et interprètent les lois pour maintenir l'État de droit. Il met l'accent sur la nécessité de garantir l'indépendance de ces institutions en renforçant les « checks and balances ». Chaque branche de l'État doit respecter les limites de son pouvoir, et aucun dépassement des prérogatives d'une branche au détriment des autres ne devrait être toléré.

L'avoué souligne qu'il est crucial de restaurer la confiance du peuple mauricien dans le système judiciaire. Selon lui, « il est nécessaire de mettre en œuvre des efforts à la fois sociaux, institutionnels et politiques pour renforcer ce système. Il faut prendre en compte les aspects pratiques afin de garantir un accès équitable et juste à la justice pour tous ». 

De plus, il est essentiel que chaque citoyen participe activement aux réformes nécessaires, si celles-ci sont jugées pertinentes.

Approche centrée sur les citoyens 

Une approche centrée sur les citoyens est nécessaire, comme préconisé dans le ‘Final Outcome Paper’ de la Commonwealth Law Ministers’ Meeting, notamment par le biais de ‘Justice Community Centres’. Selon lui, cette approche permettrait de résoudre efficacement et rapidement des affaires simples, allégeant ainsi le système judiciaire traditionnel. Il souligne que « la population mauricienne cherche un système de justice accessible et compréhensible ». 

De plus, l’avoué insiste sur le fait que l'application concrète des décisions judiciaires doit être transparente et visible pour assurer au peuple que les paroles se traduisent par des actions concrètes.

Communication effective 

Me Canjamalay insiste sur l'importance cruciale du rôle des médias dans la couverture des procès et des jugements. Il souligne que « les décisions rendues par les tribunaux doivent être rapportées de manière précise et détaillée, avec des explications claires sur les raisons qui ont motivé ces jugements ou décisions ». Il met en avant l'initiative du Conseil privé du Roi, qui émet des communiqués à destination de la presse pour garantir une présentation claire et concise des jugements, permettant à la population de mieux comprendre. 

Accountability

L'avoué souligne que les informations et divers éléments relatifs au système judiciaire de Maurice sont disponibles grâce au rapport annuel du judiciaire. Ce document offre aux citoyens un aperçu détaillé du fonctionnement, de l'administration et des mécanismes du monde judiciaire. En matière de transparence, cette publication annuelle représente une avancée significative. De plus, en permettant un accès gratuit aux décisions de justice, « l'objectif est de renforcer la transparence du système judiciaire et de consolider la confiance du public envers les procédures et les verdicts rendus ».

Éducation 

Me Nessen Canjamalay met en avant l'urgence d'éduquer le public sur le système de justice. Il estime que « cette démarche est fondamentale pour assurer le bon fonctionnement du système dans son ensemble ». La plupart des citoyens ne cherchent pas activement à comprendre le fonctionnement de la justice, sauf lorsqu'ils sont directement impliqués dans une affaire, dit-il. Par conséquent, il insiste sur l'importance d'offrir une information plus complète et accessible à la population sur les rouages et les processus de la justice afin d'établir une confiance et une compréhension accrues du système.


Me Dya Ghose-Radhakeesoon, présidente de la Mauritius Law Society : « Prendre en compte les doléances du public et remédier à la situation »

Me Dya Ghose Radhakeesoon, la présidente de Mauritius Law Society (MLS).
Me Dya Ghose Radhakeesoon, la présidente de Mauritius Law Society (MLS).

En tant que présidente de La Mauritius Law Society (MLS), Me Dya Ghose-Radhakeesoon prend très au sérieux les résultats d’une récente étude de Straconsult sur la confiance du public dans la justice. Elle ne peut pas commenter sur les résultats, n’étant pas en présence des détails complets de l’étude. Cependant, elle avance que la perception n’est pas toujours un reflet de la réalité. Cette étude fait état que 46 % de citoyens mauriciens ne font pas confiance à la justice. Elle fait remarquer que 54 % font confiance à la justice ! 

Opinion publique 

Selon l’avouée, la cause principale qui pourrait amener les Mauriciens à avoir une perception négative de la justice est la presse. Selon elle, les discours médiatiques créent chez la population mauricienne une image et une opinion de la justice. Pour elle, la presse joue un rôle crucial dans l’influence de l’opinion publique sur la justice. Ce qui peut entraîner une perte de confiance.

Justice à deux vitesses

Deuxièmement, selon Me Dya Ghose-Radhakeesoon, il y a la perception qu’à Maurice, on pratique une justice à deux vitesses. Après tout, peut-on vraiment condamner le public pour avoir une telle perception ? s’interroge la présidente de la MLS. « On a vu que le système judiciaire a été appelé à donner priorité à certaines affaires devant le tribunal. Par exemple, les affaires ayant trait aux élections nationales et municipales, entre autres. Alors que le citoyen attend depuis trois ans que son cas soit tranché par le tribunal, je pourrais comprendre la frustration derrière. Toutefois, ce que devra comprendre le public, c'est que certaines affaires, d’une importance publique, par exemple, nécessitent d’être traitées en priorité comparativement aux autres », explique la présidente de la MLS. 

Lenteur dans les procédures 

Un autre point que note l'avouée est que les Mauriciens ont ras-le-bol de la lenteur dans les procédures judiciaires. Celui qui se tourne vers le système judiciaire a une attente : que la justice prime et qu’elle soit rendue très vite. Mais tel n’est pas le cas en réalité. Ce qui décourage ceux qui se sentent lésés à entamer des procédures judiciaires. 

De plus, dit-elle, une complexité excessive des procédures pourrait, selon elle, pousser le public à perdre confiance dans la justice. Un autre fait est que fréquemment les affaires sont rejetées à cause de la rigidité des procédures. 

Mauvaise expérience

« Il y a aussi, malheureusement, ceux qui ont eu de mauvaises expériences avec un légiste. Un travail qui ne répond pas aux attentes du client pourrait mener à une perte de confiance dans le système en général », indique Me Dya Ghose-Radhakeesoon. 

La MLS est très consciente de l’importance de la confiance du public dans le système judiciaire. C’est pourquoi un de ses objectifs principaux en tant que présidente reste l’amélioration du système judiciaire. Certaines des procédures et certains textes de loi sont dépassés. 

Revoir le système

La façon dont les affaires sont logées et traitées devant les tribunaux doit être revue, afin de réduire les délais et rendre le système plus efficace. C’est la raison pour laquelle on a fait des propositions pour simplifier le système pour loger des affaires ou pour obtenir un ordre du tribunal. Pour la présidente de la MLS, il faut aussi mettre en place de nouvelles procédures.

 « Beaucoup d’affaires sont, comme on les appelle dans le jargon légal, frivoles (frivolous), en d’autres mots : une perte de temps et de ressources », avance-t-elle. 

Se tourner vers le public

Pour Me Dya Ghose-Radhakeesoon il faut se tourner vers le public et prendre en compte ses commentaires, ses idées et ses doléances. Sa participation dans la réforme judiciaire pour la rendre plus efficace est importante.

Médiateur

Pour ce public qui ne veut plus se tourner vers les tribunaux pour résoudre ses litiges ou obtenir réparation, elle est d’avis qu’il faut penser à un système judiciaire parallèle. Par exemple, un juge pourrait décider de nommer un médiateur pour trancher l’affaire. Un expert pourrait être nommé, selon des paramètres établis par le juge. 


Me Penny Hack : « La justice se doit d’être respectée »

Me Penny Hack.
Me Penny Hack.

Selon Me Penny Hack, au cours des dix dernières années, les causes d'un manque de confiance dans la justice ont été à la fois générales et spécifiques.

Coûteuse et inaccessible

Une autre cause est que la justice, tout comme d'autres institutions, est perçue comme impuissante ou même responsable de cette dégradation. « Des centaines de millions sont dépensés quotidiennement, mais sans résultats, et le citoyen s'appauvrit amèrement en conséquence. Et n'oublions pas que la justice est coûteuse et devient inaccessible », souligne Me Penny Hack.

Spécifiquement, déclare Me Penny Hack, la justice, intentionnellement, n'est pas une priorité politique du gouvernement. D'où le manque cruel et continu d'investissement dans le personnel, les infrastructures et l'entretien. Les rouages de l'administration ont cessé de fonctionner avec leur temps. Les inconforts et retards sont multiples.

« Nous avons grandement besoin d'augmenter le nombre de juges et de magistrats. Il est temps de recruter des avocats du secteur privé avec des conditions et des salaires intéressants. Il y a presque une politique du gouvernement visant à tenir le judiciaire en otage face au financement. Pour ma part, ce qui me choque, c'est la facilité avec laquelle des instances publiques peuvent abuser du système judiciaire sans la moindre sanction. Une situation qui les encourage à abuser davantage », martèle l'homme de loi.

« Je pense qu'avec cette perte de confiance, les citoyens éviteront de plus en plus de résoudre leurs litiges en passant par la justice. Le raisonnement est simple, « pourquoi payer cher pour un produit défectueux ? » dit-il.

Éliminer cette mauvaise perception

Pour Me Penny Hack, la justice peut commencer par une campagne publique afin d'éliminer cette mauvaise perception et de rétablir clairement son rôle constitutionnel. Il propose également de venir avec un « master plan » afin de revoir l'administration, les infrastructures, le personnel et les conditions de travail, les tribunaux, la création d'une cour d'appel, tout en doublant le nombre de magistrats et de juges.
Le judiciaire étant un pilier de notre démocratie, soutient l'avocat, elle se doit d'être respectée et traitée avec autant d'importance que le gouvernement ou le Parlement. 


Me Arshaad Inder : « La sensibilisation sur le processus juridique et une communication ouverte peuvent renforcer la confiance du public »

Me Arshaad Inder.
Me Arshaad Inder.

Selon Me Arshaad Inder, les Mauriciens nourrissent souvent la croyance erronée que la corruption est très présente dans le système judiciaire. Elle se manifesterait par des pratiques comme le népotisme et d’autres formes de conduite contraires à l’éthique. Par conséquent, cette perception peut conduire à penser que les résultats juridiques sont influencés par des motifs inappropriés. 

Me Arshaad Inder reste toutefois fermement convaincu que le système judiciaire est un organe rare de l’État au sein duquel la corruption est remarquablement absente. Il évoque que la Constitution et les lois prévoient des sanctions pour les mauvaises conduites ou la corruption au sein du système judiciaire. 

Inefficacité et retards

La lenteur des procédures judiciaires, les obstacles bureaucratiques et l’inefficacité générale ont engendré un sentiment de frustration chez les personnes qui ont fait appel au système judiciaire, constate Me Arshaad Inder. Les retards dans l’obtention de justice sont généralement perçus comme un manque d’efficacité, entraînant une perte de confiance. Cette perception, affirme-t-il, est particulièrement pertinente lorsque les individus croient qu’une justice retardée équivaut à une justice refusée.

« Je peux assurer que des efforts substantiels ont été déployés pour résoudre ce problème durant ces dernières années. Le système judiciaire électronique au sein de la division commerciale de la Cour suprême a été introduit. Il y a eu la création de nouveaux tribunaux spécialisés et la nomination de préposés de justice, de magistrats et de juges supplémentaires », indique l’avocat.        

Ingérence politique 

La perception d’ingérence politique dans le processus judiciaire peut porter atteinte à l’indépendance et à l’impartialité du système, fait observer Me Arshaad Inder. 

Cette situation peut susciter le scepticisme quant à la capacité du système à produire des résultats justes et impartiaux, dit-il. Cependant, il est important de souligner que cette perception est infondée, dans de nombreux cas. Au sein du pouvoir judiciaire de l’État, les cas d’ingérence politique dans le travail des juges et des magistrats sont extrêmement rares. 

Selon Me Arshaad Inder, le cadre juridique et les garanties institutionnelles sont conçus pour garantir l’autonomie du pouvoir judiciaire. Ils le protègent des influences extérieures. Les juges et magistrats sont nommés sur la base du mérite, de l’expertise juridique et du respect des principes de justice, renforçant ainsi l’intégrité et l’indépendance du processus judiciaire. 

La perception du public peut parfois suggérer le contraire. Mais la réalité au sein du système judiciaire est caractérisée par un engagement à faire respecter l’État de droit et à garantir des résultats impartiaux et justes.

Inégalité sociale

La méfiance à l’égard du système judiciaire apparaît lorsque certains groupes sociaux ou économiques semblent bénéficier d’un traitement préférentiel ou sont discriminés. Selon Me Arshaad Inder, un tel scénario n’est pas répandu à Maurice. Le cadre juridique mauricien est conçu pour respecter les principes d’équité et d’égalité. Et les cas d’un système judiciaire à deux vitesses fondé sur le statut social sont rares.

Pour garantir que cette situation positive persiste, des efforts continus peuvent être déployés pour maintenir la transparence, la responsabilité et l’inclusion au sein du système judiciaire. Promouvoir la sensibilisation sur le processus juridique, une communication ouverte et lutter contre les perception d'inégalités peuvent contribuer à renforcer et à maintenir la confiance du public. 

Mauvaise communication

Un autre constat de l’avocat est qu’une communication inadéquate sur les processus juridiques, les lois et les décisions peut conduire à des malentendus et à la méfiance. Une communication claire et accessible est essentielle pour garantir que le public comprenne comment fonctionne le système judiciaire et comment les décisions sont prises. Néanmoins, il convient de mentionner que tous les dossiers judiciaires, les jugements sont des documents publics. De plus, toutes décisions de la Cour sont disponibles sur le site Web de la Cour suprême et toutes les procédures judiciaires ont lieu en public. Sauf dans certaines circonstances où la publicité porterait préjudice aux intérêts de la justice ou de la moralité publique, ou afin de protéger la vie privée des personnes concernées par la procédure (article 161(A) de la loi sur les tribunaux). 

Perceptions de la discrimination

Si les individus perçoivent que le système judiciaire fait preuve de discrimination en fonction de facteurs tels que la race, l’origine ethnique ou le statut socio-économique, la confiance peut être érodée.

Médiation et arbitrage

En réponse à une perte de confiance dans le système judiciaire formel, les individus se tournent souvent vers la médiation et l’arbitrage informels comme moyens de résolution des différends. De telles alternatives, dit-il, offrent une certaine flexibilité, permettant aux parties d’explorer des solutions créatives au-delà des contraintes des processus juridiques formels. 

Revoir l’accès à la justice

Garantir l’accessibilité universelle au système judiciaire en fournissant, selon l’avocat, une aide juridique complète, en rationalisant les procédures juridiques et en proposant des méthodes alternatives de règlement des litiges abordables et efficaces. Un engagement en faveur d’un accès équitable renforce la confiance du public et l’inclusivité.

Renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire

Pour Me Arshaad Inder, il faut maintenir des nominations transparentes et fondées sur le mérite. Il faut protéger les décisions judiciaires des influences extérieures indues. Un système judiciaire véritablement indépendant est essentiel pour restaurer la confiance dans l’équité des résultats judiciaires. 

Me Arshaad Inder opte pour les avancées technologiques pour moderniser les processus juridiques, et minimiser les retards. On peut améliorer la gestion des dossiers en augmentant l’accessibilité des procédures judiciaires. Il est aussi d’avis qu’il faut mener des programmes de sensibilisation sur les droits légaux et le rôle sociétal du système judiciaire. 

Évaluation

Me Arshaad Inder soutient qu’il faut mettre en place des mécanismes pour évaluer les performances des membres du pouvoir judiciaire et des services de poursuite.

Service client

Il y a eu, à un moment donné, la création d’un responsable du service clientèle dans chaque tribunal qui traiterait les requêtes et les plaintes du public. Ce poste n’existe plus. Me Arshaad Inder est en faveur de la création du poste de Customer Care Officer. Il est d'avis qu'il faut recruter davantage de personnel et leur offrir une formation adéquate.
 

 

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