Politicienne et déterminée à combattre toutes les formes d’injustice, Sheila Bunwaree se dit avant tout une citoyenne de la République de Maurice. Consultante en matière de développement, gouvernance et genre, Sheila Bunwaree milite depuis des années, pour une meilleure justice sociale, une société plus juste, plus équitable et inclusive. Dans cet entretien, elle nous donne son point de vue sur le quota pour une meilleure représentation des femmes et les compétences nécessaires, selon elle, pour se porter candidat aux législatives.
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Pourquoi avez-vous participé au symposium de Gender Links lié à sa campagne « Fam dan Politik - Plis ki enn Kota » pour une meilleure représentation des femmes sur le plan politique ?
Il y a quelque temps de cela, Gender Links avait fait un appel à propositions concernant « L’avancement des femmes en politique » pour une étude financée par l’Union européenne. Vu mon intérêt académique et politique pour la thématique, j’ai soumis ma proposition avec une équipe de chercheurs que je dirige dans ce contexte, et ma proposition a été retenue. Les deux organisateurs du symposium, notamment Gender Links et la Gender Equality Foundation, m’ont invitée à y participer en tant que paneliste et chercheuse qui travaille sur des sujets touchant la thématique du symposium « Democratic consolidation : Women’s Voices, Agency and Perspectives ».
Le Speaker actuel, qui préside le Caucus, selon les données recueillies, ne comprend pas grand-chose à la question du genre»
Vous avez mentionné lors du symposium que l’étude que vous dirigez sera complétée vers juin/juillet, mais que vous avez quand même certains « Preliminary Findings ». Vous nous en parlez ?
Comme je l’ai expliqué au symposium, l’étude est vaste et elle n’est certainement pas limitée à comprendre les barrières auxquelles les femmes font face pour accéder à la politique. Presque tout le monde sait à peu près quelles sont les barrières.
Nous avons voulu plutôt comprendre le fonctionnement de plusieurs organismes qui constituent l’écosystème politique. Notamment la Commission électorale, le Parliamentary Gender Caucus, les ailes féminines de différents partis politiques incluant celles des partis émergents, ainsi que les Youth Wings des partis politiques. Mais aussi les ONG qui travaillent pour l’autonomisation des femmes. L’objectif est de mieux appréhender le potentiel de ces organismes pour combattre la sous-représentation des femmes en politique.
Qu’est-ce que l’étude a démontré ?
La collecte des données a commencé avec les différents « stakeholders » et il y a des éléments très intéressants qui émergent déjà. Des recommandations seront également formulées.
Il ne serait pas éthique de ma part de tout révéler à ce stade. Il y aura certainement un « Validation Workshop » qui sera organisé par Gender Links et l‘Union européenne en juillet-août pour présenter les résultats. L’étude sera à ce moment-là dans le domaine public.
Une chose est claire et nette, cependant, dans le contexte des résultats préliminaires : on n’a pas nécessairement besoin d’une réforme électorale pour obtenir une meilleure représentation des femmes en politique. C’est vrai qu’un système électoral basé sur une bonne dose de proportionnalité est plus « Gender Friendly » et peut offrir plus d’opportunités aux femmes. Mais les partis politiques peuvent tout aussi bien présenter plus de candidates sans une réforme électorale. Rien ne les en empêche, à l’exception que le patriarcat interne aux partis politiques et l’influence d’autres lobbies sont aussi très marqués.
Vous avez fait mention du Parliamentary Gender Caucus. Vous nous en dites plus ?
L’initiative de créer ce comité parlementaire revient à l’ancienne Speaker de l’assemblée, Maya Hanoomanjee. J’en profite pour la saluer et la féliciter pour avoir eu l’idée de créer une plateforme semblable qui regroupe des parlementaires – femmes et hommes de différents partis politiques pour discuter et réfléchir sur différents sujets. Trouver des propositions de solutions qui puissent aider à rétrécir le « Gender Quality Gap » est excellent.
Les Parliamentary Gender Caucuses fonctionnent très bien dans certains autres pays et contribuent à l’avancement de la femme. Malheureusement depuis le départ de Maya Hanoomanjee, cette instance a pris un sale coup. Le Speaker actuel, qui préside le Caucus, selon les données recueillies, ne comprend pas grand-chose à la question du genre. Pire, le comité ne s’est réuni que cinq ou six fois ces cinq dernières années.
Il faut que toute la société comprenne que c’est le pays qui sortira gagnant si les femmes peuvent avoir la chance d’apporter leur contribution»
En quoi des événements tels que le « Gender symposium » sont importants pour changer des mentalités ?
Des symposiums de ce genre sont très importants parce que souvent ils réunissent des spécialistes sur la question et cela suscite non seulement un débat mais aussi une plus grande prise de conscience. En sus des représentants et représentantes de plusieurs formations politiques, des ONG etc., il y avait plusieurs jeunes professionnels qui ne sont pas membres de partis politiques mais qui sont intéressés par les grands enjeux de la société. Un symposium de ce genre leur donne la possibilité non seulement d’acquérir une meilleure compréhension des blocages de notre société, mais aussi l’occasion de s’exprimer, de faire entendre leurs voix, chose extrêmement importante pour une démocratie qui se dit participative et inclusive.
Quelle est la pertinence de la campagne « Fam dan Politik - Plis ki enn Kota », surtout avec les élections législatives qui arrivent à grands pas ?
Cette campagne est très pertinente car elle met en exergue cette sous-représentation des femmes, ou plutôt cette surreprésentation des hommes. Elle démontre que le pouvoir a été largement accaparé par les hommes pendant trop longtemps.
Alors que nous sommes en 2024 et que le monde nous parle de la nécessité pour toute démocratie d’être représentative, équitable et inclusive et que la diversité est le maître mot, l’île Maurice continue de stagner. Cette campagne contribue à une meilleure prise de conscience et pourrait certainement faire comprendre à ceux concernés qu’íl faut changer de mentalité et que plus de femmes en politique ne peut qu’être une « win-win situation » pour tous.
Pourquoi le quota de représentation des femmes est-il important ?
L’introduction d’un quota sous une forme d’action temporaire affirmative est nécessaire. Donc, c’est important parce que cela voudrait dire que le gros déficit démocratique que représente la sous-représentation des femmes, comme l’a si bien décrit le juge Albie Sachs dans le cadre de son rapport sur la réforme électorale à Maurice, sera tout au moins partiellement adressé.
Le quota est aussi important parce que cela voudrait dire plus de femmes dans les hautes sphères de prise de décision, permettant ainsi de combattre la sous-utilisation actuelle des compétences des femmes dans la gouvernance du pays. Le quota aide aussi à briser le plafond de verre auquel sont confrontées les femmes.
Une société qui est en manque de ‘role model’ pose un grand problème pour l’avenir»
Pourquoi dites-vous « partiellement » ?
Je crois fermement en la parité car elle permet un système beaucoup plus équitable où l’homme et la femme ont leur juste place et se complètent en termes d’idées et de regard sur la société. Mais nous avons encore un long chemin à faire pour arriver à la parité. Donc, un quota va certainement aider, mais dans une moindre mesure que le 50-50. C’est pour cela que j’utilise le terme « partiellement ».
De plus, un quota tourne souvent autour de 30 % et cela ne représente qu’une petite augmentation du nombre de femmes. Permettez-moi cependant de préciser que la question d’une meilleure représentation des femmes n’est pas qu’une question de nombre (« Politics of numbers »), mais plutôt une « Politics of ideas/of transformation ».
Lorsque je parle d’une meilleure représentation des femmes, je parle d’un shift vers une « Substantive Equality ». En d’autres mots, nous avons besoin d’une masse critique minimum de femmes au Parlement, qui sans doute comprennent mieux les réalités et les vécus des femmes.
Le choix des femmes candidates dans le parti politique ne semble être qu’une façon de séduire l’électorat féminin, alors que tout se joue entre les candidats masculins pour gagner les élections. Pensez-vous qu’il y a besoin que le leader du parti politique soit « fair » ?
Un leader « éclairé », et qui comprend les enjeux du monde dans lequel nous vivons, les crises multiples qui perturbent nos vies et les défis que cela représente pour les petits États insulaires comme le nôtre, sera certainement à la recherche de ce « fairness » dont vous parlez. Et les leaders « éclairés » existent.
Il faut que toute la société comprenne que c’est le pays qui sortira gagnant si les femmes peuvent avoir la chance d’apporter leur contribution. Le leader d’un parti peut donner la chance aux femmes de démontrer ce dont elles sont capables. D’ailleurs, plusieurs études démontrent que les femmes possèdent les qualités nécessaires pour un leadership efficace et éclairé.
Nous entendons souvent qu’il « faut sauver le pays… ». Mais sans un nombre adéquat de femmes qui ont les qualités nécessaires pour gérer le pays au Parlement, nous n’y arriverons pas.
Quota pour la représentation féminine oui, mais qu’en est-il des compétences ?
Je fais partie de ceux et celles qui refusent de dénigrer tout être humain ou porter atteinte à leur dignité d’une façon ou d’une autre. Je crois fermement que tout humain doit respecter l’autre et vice versa. Cependant, il n’y a pas que des femmes qui sont la voix de leurs maîtres (chef de parti), il y a aussi des hommes.
La culture politique à Maurice est telle que nous avons souvent développé un certain « culte de la personnalité ». La hantise de perdre ses intérêts immédiats amène plusieurs politiciens et politiciennes à être redevables aux leaders d’une façon excessive. Tout cela doit changer.
Nous sommes à la fin d’un cycle et il y a aura beaucoup de changements. J’en suis convaincue.
La hantise de perdre ses intérêts immédiats amène plusieurs politiciens et politiciennes à être redevables aux leaders d’une façon excessive. Tout cela doit changer»
Y a-t-il eu des femmes qui ont fait bouger les choses depuis leur entrée en politique ?
Bien sûr. Nous avons eu et nous avons toujours des femmes de calibre. Les noms qui me viennent tout de suite en tête dans le monde politique sont Sheila Bappoo et Shirin Aumeeruddy-Cziffra. Elles continuent à inspirer beaucoup de femmes par leur militantisme et les changements profonds qu’elles ont amenés en tant que ministres et qui ont eu des effets positifs sur le statut de la femme.
Mais nous avons un problème générationnel. Lorsque nous parlons aux jeunes aujourd’hui, ils nous disent qu’ils n’ont pas de « role model ». Une société qui est en manque de « role model » pose un grand problème pour l’avenir.
Selon vous, faut-il un certain « type » de femme pour représenter les femmes au Parlement ?
J’hésite à parler du « type » de femme, je me prononcerais plutôt sur le type de représentant, homme ou femme, que le citoyen mauricien veut voir au Parlement. Lorsque nous parlons avec le citoyen lambda, jeune ou moins jeune, femme ou homme, il ou elle veut voir des parlementaires dignes de ce nom, qui ont un comportement correct avec un sens d’éthique et qui peuvent apprécier ce qu’est la moralité publique.
Un représentant ou une représentante au Parlement doit faire honneur à son statut de parlementaire. De plus, il ou elle ne doit pas être « biaisé(e) » et démagogue lors de grands débats et enjeux de la société. Elle ou il doit travailler dans l’intérêt de tous. La politique « politicaille » ne peut avoir de place au sein du législatif. C’est ainsi que nous pourrions faire avancer le bien commun.
En conclusion, des conseils aux femmes qui seront candidates aux prochaines législatives et celles qui souhaitent faire de la politique ?
Je n’ai pas de conseils à donner, car je sais qu’il y a un bon nombre de femmes qui possèdent toutes les qualités nécessaires. Il faut d’abord leur donner la chance d’être candidates.
Il est important de se rappeler que l’Article 7 de la CEDAW (Convention on the Elimination of all Forms of Discrimination Against Women), que Maurice a signée et ratifiée, évoque le droit des femmes en politique. Pas seulement en tant que votantes, mais également en tant que décideuses politiques.
Au lieu de conseils, je ferais plutôt une suggestion : que les femmes se mobilisent pour leurs droits !
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