Interview

Sen Ramsamy : «Il faut promouvoir Maurice comme une destination affaires, shopping et événementiel»

Sen Ramsamy

L’ancien patron de la Tourism Authority et actuel directeur-général de Tourism Business Intelligence, Sen Ramsamy jette un regard sans complaisant sur le secteur du tourisme et plaide pour une véritable diversification vers la destination intérieure de Maurice.

Est-ce que notre secteur touristique suit-il depuis ces dernières années une seule et même stratégie qui a fait apparaître une croissance régulière dans le nombre d’arrivées ?
Depuis de nombreuses années déjà, je ne vois aucune touche personnelle, encore moins de stratégies novatrices, par les responsables du développement du tourisme à Maurice. Le tourisme semble être en mode de pilotage automatique avec une fixation sur des statistiques mensuelles des arrivées. La croissance régulière dans le nombre d’arrivées touristiques s’explique par plusieurs facteurs à la fois endogènes, mais surtout exogènes. La libéralisation graduelle de notre espace aérien par le bureau du Premier ministre et les efforts considérables des opérateurs touristiques pour une commercialisation plus remarquée de leurs produits respectifs sur le marché international ont soutenu la croissance dans les arrivées touristiques à Maurice.

D’autre part, et c’est très important, les typhons qui ont dévasté plusieurs destinations des Caraïbes, en 2017, suivis des ‘travel advisories’ émis par les gouvernements, principalement européens, ont eu pour effet une  déviation importante des voyageurs européens vers des destinations telles que Maurice. Par ailleurs, l’instabilité politique aux Maldives, le climat social tendu au Sri Lanka, ainsi que les récentes activités volcaniques à Bali, ont aussi contribué directement et indirectement à la croissance touristique à Maurice.

Sommes-nous toujours en train de vendre les mêmes produits aux touristes ?
Il faut reconnaître que l’offre touristique mauricienne n’a pas beaucoup évolué depuis ces 60 dernières années. Notre produit est principalement axé sur le traditionnel produit soleil/mer/plage, alors que le pays a beaucoup évolué sur le plan économique, social, infrastructurel, et technologique. Depuis des années, je dis qu’il est temps de positionner Maurice comme une destination bien-être, ‘lifestyle’, art de vivre, avec notre mosaïque culturelle, la mer et le soleil en relief. Il faut, aussi, promouvoir Maurice comme une nouvelle destination affaires, shopping à grande échelle et événementiel. Les timides tentatives pour une diversification de notre offre n’ont pas l’envergure nécessaire pour donner une autre dimension à notre tourisme, encore moins pour une distribution plus équitable des bénéfices du tourisme en faveur de l’ensemble de la population locale. Au contraire, les forfaits ‘all-inclusive’ pratiqués par les opérateurs renferment davantage nos visiteurs entre les quatre murs de l’hôtel.

Y a-t-il encore de l’espace pour encore des hôtels sans que ces derniers ne saturent les plages et y occupent une place disproportionnée ?
Encore une fois, c’est une question de vision, d’orientation et de politique de développement. Pourquoi à Maurice, quand on parle de développement touristique, on pense toujours et simplement au développement d’hôtels de plage ? Pourquoi ne pas encourager la création de grandes attractions touristiques et même des hôtels cinq-étoiles à l’intérieur du pays, à Quatre Bornes, Côte d’Or, Curepipe, Mahebourg, Pamplemousses et ailleurs, en mettant en relief leurs attraits propres et ainsi stimuler les activités économiques locales pour booster les dépenses des touristes et l’entrepreneuriat des jeunes dans les villes et villages ? Le tourisme n’est pas synonyme d’hôtellerie. Celle-ci n’est qu’une partie d’un immense secteur économique pluridisciplinaire dans une chaîne de valeurs. Le ‘driving force’, c’est surtout le peuple mauricien, avec son sens de l’accueil, sa gentillesse et son sourire légendaire.

Les Mauriciens ont-ils intégré l’industrie touristique comme une activité économique nationale de grande échelle, de la même manière qu’ils se représentent l’industrie sucrière et la zone franche manufacturière ?
Selon le Bureau des Statistiques, 30,000 personnes vivent directement du tourisme à Maurice et quelque 100,000 emplois indirects que génère ce secteur. Contrairement à l’industrie sucrière et à la zone franche manufacturière, le produit touristique n’est pas tangible comme le sucre ou l’habillement. Dans le tourisme, l’être humain est au centre, car nous vendons une expérience - un paysage, une diversité culturelle, un mode de vie, bref, un rêve, une émotion. La grande majorité des Mauriciens ont bien intégré le tourisme dans leur subconscient et ils adorent le contact avec l’étranger. C’est ce qui fait la valeur et la force de notre tourisme.

De quelle manière et proportion, le concept de l’Airbnb pourrait-il représenter une menace pour les hôteliers ?
Ce n’est pas seulement l’hôtelier qui est menacé, mais l’économie du tourisme dans son ensemble, de même que notre stratégie de tourisme haut de gamme que nous avions privilégiée, « il était une fois ». Aujourd’hui, on contrôle et on restreint le secteur formel, surtout les petits, et on laisse faire dans le secteur informel. La location illégale et non-répertoriée, de multiples structures d’hébergement partout dans l’île, par des Mauriciens, mais aussi par beaucoup d’étrangers résidants à Maurice, font que la destination Maurice part subtilement à la dérive, vers un tourisme bas de gamme, et de masse.

Est-ce que l’offre  « vert et écologique » de notre industrie touristique a-t-elle vraiment pris son envol à Maurice ?
La conscience écologique des opérateurs touristiques est bien forte, car l’écologie fait partie intégrante de l’offre touristique. Un magnifique produit touristique dans un environnement pollué ne trouve pas preneur. Heureusement que nous ne sommes pas dans cette situation. Le contraste est frappant quand le touriste sort de l’hôtel pour découvrir notre arrière-pays, l’insalubrité dans nos villes et villages, les constructions improvisées, l’absence de drains, l’état de nos marchés et des bâtiments historiques en ruine, des belles plages publiques transformées en dépotoirs et en aire de stationnement, des fils électriques grossièrement suspendus partout sur nos têtes et qui gâchent des vues panoramiques de notre île.

Avons-nous réussi notre ouverture aérienne, ou sommes-nous encore, dans une certaine mesure, en phase expérimentale, sur certaines destinations ?
Je dois dire que l’ouverture de notre espace aérien se fait de manière prudente et intelligente par le Bureau du Premier ministre. Il est, aussi, de bon augure qu’Air Mauritius joue le jeu et reste ‘fair-play’ tout en reconnaissant ses forces comme compagnie nationale et ses faiblesses comme une petite ligne aérienne dans un univers dominé par les empereurs du ciel. La fermeture de certaines routes fait toujours mal, car les autres opérateurs auront précédemment répondu à l’appel, en y investissant et en réajustant leur offre pour cette nouvelle clientèle. La baisse dans les arrivées de Chine après tant d’investissement et d’adaptation à ce marché n’est pas de bon augure. À mon avis, l’Afrique serait une plate-forme idéale pour développer le concept low-cost sur le plan intra-régional.

Est-ce qu’à ce jour, la mise aux normes de l’ensemble du parc hôtelier mauricien a-t-elle été réalisée ?
Depuis que je suis entré dans le tourisme, il y a 33 ans, j’entendais parler du projet de classification hôtelière. On tournait en rond. Aussitôt que j’ai été nommé directeur de la Tourism Authority, en septembre 2015, j’ai décidé de passer à l’action. On a travaillé d’arrache-pied pour finaliser les critères, selon les normes internationales. En janvier 2016, tous les hôtels qui répondaient à ces normes, environ 70, ont été étoilés. En quatre mois seulement, c’était fait. Je sais que d’autres hôtels ont par la suite été classifiés. Il faut, maintenant, passer à une étape supérieure qui est le contrôle continu, la formation, le rapport étoiles-prix de vente, l’innovation, la technologie, et des mesures d’accompagnement.

Avons-nous réussi à capter une partie des marchés chinois et indiens ?
En 2017, nous avons accueilli 86,294 Indiens à Maurice, soit une augmentation de 4.4 %. L’Inde est un très grand marché, mais notre offre touristique ne correspond pas, nécessairement, aux attentes des Indiens dans beaucoup de cas, surtout par rapport à la nourriture, le night life, etc. Il faut, aussi, des vols directs entre Maurice et les régions ayant de fort potentiel touristique. À Dubaï et Singapour, les nombreux touristes indiens  prennent plaisir à dépenser gros.

La pénétration du marché chinois est relativement récente, car longtemps renfermée. C’est un marché en pleine croissance dans le monde, en termes de volumes et de dépenses.

C’est, aussi, un marché complexe par rapport à la communication, les cultures différentes, et des attentes plus exigeantes. En 2017, il y avait 72,951 touristes chinois à Maurice, soit une baisse de 8.1 % sur 2016. La raison principale de cette baisse est la connectivité aérienne, mais aussi la concurrence, l’expérience mauricienne des visiteurs chinois, après la phase naturelle de curiosité que suscite toute nouvelle destination. Mais, il y aussi, le fait que notre offre touristique demeure essentiellement euro-centrique.

Quels seront les défis que devra affronter notre industrie touristique dans les prochaines années ?    
Les touristes doivent être encouragés à dépenser plus dans nos villes et villages. À Maurice, les magasins ouvrent comme des bureaux administratifs quand la majorité de leurs clients est au travail. Ils doivent rester ouverts jusqu'à tard le soir, comme ailleurs. Par ce simple fait, on pourrait doubler, le nombre d’emplois direct avec un shift system dans le ‘retail’, la restauration, le transport et les services annexes. D’autre part, quand un petit opérateur fait des efforts pour réussir, il faut l’encourager et non pas freiner son élan avec des restrictions comme c’est le cas pour les petits hôtels qui veulent s’agrandir, les réceptifs qui veulent augmenter leur flotte de véhicules.

 

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