
Longtemps restée lettre morte, une directive datant de 2021 fait un retour remarqué au sein du ministère de l’Agro-industrie. Celle-ci, fondée sur les recommandations du Pay Research Bureau (PRB), impose le strict respect des 40 heures de travail hebdomadaires dans la fonction publique, en mettant fin à toute forme de rémunération additionnelle liée au « task work ». Bien que la mesure ait été validée il y a quatre ans, elle n’avait jamais pu être appliquée dans les faits. En 2025, elle refait surface, cette fois avec force d’exécution.
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Depuis le 9 juillet, une circulaire interne signée par le Senior Chief Executive entérine officiellement l’abandon du système de « task work » au sein de plusieurs unités opérationnelles, notamment le FAREI (Food and Agricultural Research and Extension Institute), le NPCS (National Parks and Conservation Service), les Services agricoles, et d’autres divisions concernées par les travaux de terrain. Elle s’adresse particulièrement aux travailleurs dits manuels – plus connus comme handworkers ou general workers – qui étaient jusqu’ici rémunérés en fonction des tâches accomplies, selon un système à la pièce.
Désormais, ces employés doivent s’en tenir aux 40 heures réglementaires, soit de 07h00 à 15h15 du lundi au vendredi (avec le samedi matin inclus pour certains), ou sur un horaire de cinq jours allant jusqu’à 16h00. Le ministère évoque un souci de rigueur administrative et de cohérence dans la gestion du personnel.
Mais cette reprise brutale d’une directive oubliée suscite l’inquiétude chez les travailleurs, dont le revenu pourrait chuter sensiblement, surtout dans les secteurs où le travail physique intense faisait l’objet d’un complément salarial par le biais du task work.
Arvin Boolell : « Il faut voir la réalité en face »
Le ministre de l’Agro-industrie, Arvin Boolell, tient à replacer la décision dans son cadre administratif. Selon lui, il ne s’agit nullement d’une mesure politique mais d’un ajustement nécessaire dans la gestion des ressources humaines au sein de son ministère. « Il fallait agir », insiste-t-il, évoquant un « laisser-aller » observé dans certains secteurs d’exécution, où les pratiques en vigueur ne correspondaient plus aux normes attendues.
Tout en reconnaissant le rôle des syndicats dans la défense des droits des travailleurs, le ministre appelle à une lecture plus large des réalités. « Je respecte les syndicats, mais il nous faut voir la réalité du terrain. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à deux problèmes majeurs : la situation économique difficile et le manque de main-d’œuvre », explique-t-il. Ces deux paramètres, selon lui, obligent l’administration à revoir certaines pratiques, notamment celles qui génèrent des dépenses additionnelles sans réel contrôle ni mesure d’impact.
Arvin Boolell soutient que cette décision vise aussi à garantir une meilleure planification des tâches, tout en rétablissant une discipline de travail plus rigoureuse. Il précise que l’abandon du système de task work doit être compris dans une logique d’efficacité et de transparence administrative.
« Si nous ne prenons pas les décisions qu’il faut maintenant, nous risquons de connaître des circonstances très difficiles. Il faut voir le problème sur le long terme », explique-t-il. Pour lui, la priorité est de stabiliser l’organisation du travail, dans un contexte où les défis économiques et démographiques rendent toute improvisation intenable. Le ministre se montre néanmoins ouvert à la discussion, tout en affirmant que les réformes entreprises resteront orientées vers l’intérêt général et la viabilité des services publics.
Haniff Peerun : « C’est au PRB – et non à un ministère pris isolément – de statuer sur un changement aussi structurel »
Du côté des syndicats, la décision suscite une vive contestation. Pour Haniff Peerun, président du Mauritius Labour Congress (MLC), la manière dont la mesure a été imposée sans concertation est inacceptable. « Il aurait fallu qu’il y ait un dialogue d’abord », tonne-t-il. Ce dernier déplore le manque de dialogue avec les partenaires sociaux et pointe du doigt ce qu’il considère comme une marginalisation progressive des préoccupations des travailleurs.
« Ce système n’a pas marché et aujourd’hui, nous voyons encore une fois que le dialogue ne prime pas », affirme-t-il, visiblement agacé par la tournure des événements. Selon lui, la mise en œuvre de la directive aurait dû faire l’objet de discussions sérieuses, d’autant plus qu’elle affecte directement les conditions de travail et la rémunération de plusieurs centaines d’employés de terrain.
Haniff Peerun estime que c’est au Pay Research Bureau – et non à un ministère pris isolément – de statuer sur un changement aussi structurel. Il s’inquiète des conséquences concrètes pour les travailleurs concernés, en particulier les general workers affectés aux unités comme le FAREI ou le NPCS. « De nombreux employés seront pénalisés, et c’est totalement injuste », déclare-t-il, en insistant sur le fait que le task work représentait une forme de reconnaissance du travail effectué dans des conditions parfois difficiles.
Pour le MLC, cette décision sans consultation marque une nouvelle détérioration du dialogue social dans le secteur public. Le syndicat envisage de demander une révision de la mesure ou, à défaut, une compensation pour les employés dont le revenu sera impacté. D’autres fédérations syndicales, contactées par nos soins, se disent prêtes à se joindre à une action commune si aucune ouverture n’est faite dans les jours à venir.
Reaz Chuttoo : « Le gouvernement aurait dû prendre le temps d’écouter »
Reaz Chuttoo, président de la Confédération des travailleurs des secteurs public et privé (CTSP), dénonce fermement la suppression du système de travail par tâches dans le secteur public agricole. Pour lui, cette mesure est non seulement injustifiée, mais elle constitue une véritable atteinte aux droits des travailleurs de terrain, notamment les general workers exposés quotidiennement à des risques physiques et sanitaires importants.
« Enlever le système par tâches est une aberration pour cette catégorie de travailleurs. Compte tenu du danger et des risques sanitaires auxquels ils sont confrontés, le gouvernement aurait dû prendre le temps d’écouter », affirme-t-il. Selon lui, ces travailleurs ne bénéficient pas d’avantages particuliers, et la rémunération à la tâche représentait une forme de reconnaissance pour des efforts souvent accomplis dans des conditions difficiles.
La CTSP déplore également le caractère unilatéral de la décision. Reaz Chuttoo souligne qu’il ne s’agit pas ici d’heures supplémentaires classiques, mais d’un mécanisme établi de longue date, considéré comme un droit implicite dans certaines unités. « Cette décision est non seulement impopulaire, mais elle aura des effets conséquents sur les services. Cela va causer un véritable mécontentement », prévient-il.
Le syndicat affirme avoir été sollicité par plusieurs travailleurs qui craignent une baisse de revenu substantielle. Pour Reaz Chuttoo, la suppression du task work pourrait aussi nuire à la qualité des prestations sur le terrain, notamment dans les services liés à la foresterie, à l’agriculture ou à l’entretien des parcs.

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