
Maurice entame la seconde moitié de l’année dans un climat d’incertitude, sur fond de tensions économiques et sociales croissantes. Entre les contestations autour de la réforme des pensions, une inflation qui augmente, un pouvoir d’achat en berne et une roupie toujours affaiblie, les mois à venir s’annoncent décisifs pour l’équilibre socio-économique du pays.
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Crise de confiance et contestation sociale
Depuis la présentation du Budget, un climat de mécontentement s’est installé au sein de la population. Des manifestations ont déjà eu lieu, dont une grève de la faim, et d’autres actions sont prévues par les syndicats et la société civile. Au cœur de cette agitation : la réforme des pensions.
« Même en présence d’une majorité parlementaire, la réforme des pensions suscite une forte opposition au sein de la société civile. La contestation ne fait que commencer, et elle pèse déjà sur le climat social et le sentiment général dans le pays. Il s’agira donc de trouver un équilibre entre les attentes de la société civile et les décisions du pouvoir politique », avance l’observateur Olivier Précieux.
Cette réforme, dont les tenants et aboutissants touchent à l’essence même de ce que représente l’État providence à Maurice, est perçue comme une trahison par beaucoup, avance Avinaash Munohur. La réalité économique est pourtant indéniable. Le fait que moins de jeunes actifs devront financer davantage de pensions, en raison du vieillissement de la population, est une problématique qui nous pendait au nez depuis plusieurs années déjà.
« Le véritable problème est que cette réforme n’a jamais été abordée durant la campagne électorale. Elle ne figurait pas dans le manifeste du gouvernement, et à aucun moment ce dernier n’a laissé entendre qu’une telle mesure serait envisagée », explique Avinaash Munohur.
Selon lui, l’annonce faite lors du dernier Budget a ainsi été reçue comme une bombe qui pourrait bien devenir sociale. « Je disais au lendemain du naufrage du Wakashio que l’ancien gouvernement risquait une crise de confiance grandissante s’il ne se reprenait pas. Nous avons vu ce que cette crise de confiance a produit en novembre 2024. Il me semble que le gouvernement actuel a créé une situation similaire avec sa réforme des pensions. Ils ont, du moins, ouvert la voie à un contexte dans lequel toute réforme future deviendra de facto extrêmement difficile à faire accepter, face à une population déjà sur le qui-vive », soutient-il.
Les quatre ans et demi à venir seront terriblement longs et ardus si le gouvernement ne parvient pas à renverser la vapeur, souligne-t-il. « Le gouvernement sera attendu sur le pouvoir d’achat, l’insécurité et la prolifération des drogues, à mon avis. Ainsi, il n’aura pas d’autre choix que de réussir et d’honorer ses promesses de campagne », conclut Avinaash Munohur.
Les tarifs douaniers
Un autre défi de taille vient de la politique commerciale de Donald Trump. « La question est de savoir si le président américain adressera prochainement une lettre officielle aux autorités mauriciennes. Pour l’instant, cela reste un mystère », souligne Georges Chung. Toutefois, une chose est claire : toute hausse des droits de douane imposée par Trump aura un impact direct sur les exportations de Maurice vers les États-Unis, qui représentent environ 10 % de nos ventes à l’étranger.
« Une telle mesure réduirait notre volume d’exportations sur ce marché. De manière indirecte, si la politique tarifaire de Trump freine la production en Europe et en Asie, cela pourrait aussi affecter nos exportations vers ces régions, amplifiant ainsi les effets négatifs pour Maurice. Tout comme le Japon et le Canada, Maurice ne sera pas épargné par l’économie de Trump », prévient Georges Chung.
Le Dr Avinaash Munohur, politologue et consultant en stratégies politiques, abonde dans le même sens. « Nous parlions des instabilités géopolitiques. Un exemple concret en est les droits de douane imposés par le président Trump. Ce dernier avait promis de telles mesures dans son manifeste électoral ; il applique donc une promesse de campagne. L’impact sera forcément important pour nous à Maurice, notamment pour le secteur manufacturier. Des marques américaines de renom produisent des chemises à Maurice, et cette production pourrait être compromise avec l’application de ces tarifs », soutient-il.
Il ajoute : « On observe ici comment, d’un côté, nous pouvons faire des efforts d’industrialisation, mais il se peut que ces entreprises soient contraintes de mettre la clé sous la porte à cause d’un facteur externe, issu du contexte mondial. Nous voyons, dans cet exemple simple, toute la difficulté d’augmenter notre productivité et de produire davantage. Les risques sont immenses, et nous devons accepter que nous ne contrôlions pas les décisions d’autres pays, même lorsqu’elles nous affectent directement ».
Pour Avinaash Munohur, c’est cela, aujourd’hui, la mondialisation. « C’est dans ce monde que nous devons désormais évoluer et Maurice a toujours su naviguer et mener sa barque dans ce contexte globalisé. Notre économie est l’une des plus ouvertes au monde, ce qui implique que nous devons recourir à des stratégies diplomatiques efficaces pour consolider nos intérêts économiques et sécuritaires », fait-il ressortir. De ce point de vue, poursuit-il, la mise en place d’une stratégie diplomatique d’envergure est souhaitable.
« Nous devons renforcer nos relations avec un certain nombre de pays, notamment les pays émergents et les BRICS. L’ancien gouvernement avait réussi à signer des accords commerciaux importants avec la Chine et l'Inde. Il appartient désormais au nouveau gouvernement de faire fonctionner ces accords en créant un écosystème industriel, économique et logistique qui permette aux entreprises d’investir et de faire confiance à notre pays », préconise-t-il.
Autre recommandation : développer des relations bien plus étroites avec les pays de la côte Est du continent africain. « Les territoires de la République de Maurice s’étendent sur près de 2 millions de km² d’océan, ce qui nous offre non seulement un immense potentiel de développement océanique, mais aussi un territoire suffisamment vaste pour faire du pays un acteur majeur de l’océan Indien », conclut notre interlocuteur.
À retenir
- 2 avril 2025 : le président Trump annonce des droits de douane réciproques spécifiques à chaque pays sur la base des déséquilibres commerciaux, à compter du 9 avril. Résultat : Maurice fait face à tarif douanier de 40 %.
- 9 juillet : Par la suite, les États-Unis ont annoncé une pause de 90 jours jusqu’au 9 juillet 2025 avec ses partenaires commerciaux. Un nouveau report au 1er août 2025 a été annoncé le 7 juillet 2025, ainsi que des taux révisés pour plusieurs pays. Le taux révisé pour Maurice n’a pas encore été annoncé.
Le pouvoir d’achat et l’inflation
Suttyhudeo Tengur, président de l’Association pour la Protection de l’Environnement et des Consommateurs (APEC), est catégorique : le principal défi aujourd’hui est sans conteste l’inflation. « L’inflation est largement alimentée par les mesures annoncées dans le dernier Budget, qui ont fait augmenter les prix des produits de base, affectant ainsi directement le pouvoir d’achat des ménages. Parallèlement, les conflits géopolitiques ont fait bondir les coûts du fret et de l’assurance maritime. Certains pays, pour protéger leur marché intérieur, restreignent leurs exportations, ce qui génère des tensions supplémentaires sur les chaînes d’approvisionnement. Nous risquons de nous retrouver alors dans un cercle vicieux où la hausse des prix entraîne un recul du pouvoir d’achat, qui lui-même aggrave encore l’inflation ».
Pour Avinaash Munohur, le problème du pouvoir d’achat nous confronte plutôt à un ensemble de problèmes qu’il est urgent d’adresser. « Le point fondamental est que nous ne produisons pas assez à Maurice pour réduire notre dépendance aux importations. De ce fait, nous restons entièrement à la merci des fluctuations du marché mondial, où la visibilité est devenue extrêmement complexe en raison des instabilités géopolitiques. Il est clair que l’inflation affectant la roupie découle également de ces instabilités géopolitiques, ce qui signifie qu’une partie de cette inflation est importée… Comme quoi, nous importons vraiment tout à Maurice », fait-il ressortir.
Comment renverser la vapeur ? « La seule réponse réelle à ce problème – et dans un monde devenu de plus en plus fou et imprévisible – est de bâtir la résilience de notre économie. Il ne s’agit pas d’une situation qui se réglera dans les prochaines années. La globalisation elle-même a radicalement changé, et les tendances actuelles ne sont que les prémices d’une restructuration des rapports géopolitiques qui marquera le reste du 21e siècle », soutient-il.
Pour faire simple, poursuit Avinaash Munohur, il faut produire beaucoup plus. « Je ne parle pas ici uniquement de production alimentaire, mais aussi de production industrielle, énergétique, de biens et de services. Nous avons l’impératif de mettre en place une stratégie claire et précise pour le renouvellement du secteur agroalimentaire – avec le développement de l’économie océanique comme levier de transformation –, de repenser notre stratégie industrielle et de construire progressivement notre indépendance énergétique », suggère-t-il. Or, pour Avinaash Munohur, c’est là que le bât blesse : « Aucun parti politique aujourd’hui n’a de plan clair et précis sur ces questions. Et je dis bien : aucun parti politique, qu’ils soient au gouvernement, dans l’opposition ou qu’il s’agisse des nouveaux partis. Personne ne prend véritablement la mesure de ce que devient la globalisation ni des réponses qu’il nous faut impérativement apporter aux problèmes émergents, notamment les solutions locales à mettre en œuvre pour nous donner les moyens de naviguer vers l’avenir ».
La question de la population en est un exemple concret. « Comment pouvons-nous produire davantage avec une population vieillissante et l’exode continu des jeunes mauriciens ? Il existe bien évidemment des dispositifs permettant l’automatisation des tâches, rendant notre dépendance au capital humain moins cruciale. Cependant, nous aurons toujours besoin d’une population jeune, capable de produire et de travailler. Cela signifie qu’il devient urgent de mettre en place une politique migratoire ambitieuse, dont l’objectif serait justement de redresser la barre de la productivité », recommande Avinaash Munohur.

La faiblesse de la roupie
La faiblesse persistante de la roupie constitue l’un des défis majeurs pour notre économie, estime l’économiste Georges Chung. Ses répercussions sont lourdes sur l’économie. Par exemple, le dollar américain a perdu plus de 10 % face à l’euro ces derniers mois, passant d’environ 1,06 à 1,17, explique-t-il. « Cependant, durant cette même période, la roupie mauricienne n’a pratiquement rien gagné face au dollar. Du coup, l’euro est devenu encore plus cher par rapport à la roupie, évoluant d’environ Rs 50 à Rs 53 », souligne-t-il.
Pour Georges Chung, là où le bât blesse, c’est que le dollar reste très rare sur le marché local. « Ce défi est loin d’être nouveau : la roupie peine à se renforcer depuis plusieurs années. Le gouvernement doit impérativement trouver des solutions pour y remédier », suggère-t -il.
L’évolution de la roupie face aux principales devises
La livre sterling et l’euro se sont renforcés par rapport à la roupie au cours du dernier mois, enregistrant des appréciations respectives de 0,3 % et 1,8 %. Depuis le début de l’année, c’est l’euro qui affiche la plus forte progression, avec une hausse de 7,5 %. Cette dynamique s’explique en partie par l’affaiblissement du dollar américain, qui s’est déprécié de 1,5 % face à la roupie le mois dernier.
Les difficultés des entrepreneurs
Dans un contexte économique incertain, les entrepreneurs continuent de se battre pour maintenir leur activité à flot, et les défis restent nombreux, comme en témoignent plusieurs acteurs du secteur. « Nous avons des commandes, mais nous travaillons dur pour les avoir. La situation devient de plus en plus difficile. Autrefois, nous avions le soutien de la MRA pour le paiement des salaires. Ce n’est plus le cas. Avec des charges salariales en hausse, les entreprises sont livrées à elles-mêmes. On ne se sent pas épaulés, et aucune mesure ne vient réellement accompagner nos efforts », avance Jenny Pidial, CEO et fondatrice de Fit-U Garment Ltd.
Kalyanee Hurry, directrice de Flavours of Mauritius, évoque, pour sa part, un marché local en perte de vitesse. « Nous avons agrandi notre structure et avons la capacité de produire plus, mais nous n’avons pas le marché pour écouler nos produits. Les grandes surfaces privilégient les produits importés au détriment du local. En parallèle, les coûts des matières premières, dont l’électricité, explosent. Nous pourrions viser l’exportation, mais cela nécessite un accompagnement concret de la part du gouvernement », souligne Kalyanee Hurry.
Pour Nicolas Loulie, Managing Partner de QURA Business Solutions, les six prochains mois seront déterminants pour évaluer les effets concrets du Budget, notamment à travers les mesures qui seront officialisées dans la Finance Act. « On commencera à ressentir l’impact sur l’investissement, car plusieurs taxes annoncées pourraient décourager tant l’investissement que la consommation. Je pense notamment les hausses sur les véhicules. Il faudra, toutefois, attendre entre six à neuf mois pour observer clairement les répercussions sur les entreprises », soutient-il.
Pour les PME, cette période marquera aussi une adaptation profonde. « Elles devront se familiariser avec les nouvelles facilités proposées, notamment celles liées à l’intelligence artificielle. Par ailleurs, avec le seuil d’enregistrement obligatoire à la TVA abaissé de Rs 6 millions à Rs 3 millions de chiffre d’affaires annuel à partir du 1er octobre 2025, les PME seront contraintes de repenser leur modèle économique. Elles devront choisir entre absorber la hausse de la TVA ou la répercuter sur leurs clients », explique Nicolas Loulie.
Cette phase de transition sera cruciale, poursuit-il, car elle marque le passage vers un nouveau paradigme économique pour les trois prochaines années, comme annoncé dans le Budget. Une chose est sûre : les entrepreneurs attendent plus de soutien et de visibilité pour affronter les défis qui s’annoncent.
ILS ONT DIT
Georges Chung, économiste : « Un des grands défis reste la mise en œuvre des mesures annoncées dans le Budget. C’est par rapport à ces objectifs fixés par le gouvernement que se jouera, en grande partie, la performance économique du pays. La capacité à appliquer ces mesures déterminera en effet le taux de croissance de Maurice sur la période 2025-2026 ».
Olivier Précieux, observateur : « Sur le plan économique, il faudrait réduire la dette publique, tout en amorçant un nouveau cycle de développement pour le pays. Il faudra aussi suivre de près l’évolution du secteur manufacturier, notamment face aux droits de douane que Donald Trump envisage d’imposer. Enfin, bien que des réformes fiscales aient été annoncées dans le Budget, il reste à voir si elles porteront réellement leurs fruits. Les coupes budgétaires visent à stimuler la croissance, mais il est peu probable que leurs effets positifs se fassent ressentir dans le court terme ».


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