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Sarita Boodhoo : «Le bhojpuri n’est pas ma propriété privée, elle appartient à toute l’île Maurice»

Véritable porte-drapeau du bhojpuri à Maurice et des pratiques culturelles transmises grâce à la langue des « girmityas », Sarita Boodhoo, Chaiperson du Bhojpuri Speaking Union, ne s’épargne aucun effort pour maintenir vivant les engagements pris à l’Unesco, qui a inscrit le « Geet Gawai » à son patrimoine mondial. Dans l’interview qui suit, après le succès d’un atelier de travail de trois jours à Laventure, elle fait valoir que son but est « d’ouvrir une école de Geet Gawai dans chaque village, ville et faubourg ».

À ce jour, quelles sont les principales avancées en faveur de la reconnaissance du bhojpuri mauricien ?
La Conférence internationale sur le bhojpuri (Antarashtriye Bhojpuri Mahotsaw), qui s’est tenue du lundi 6 mai au mercredi 8 mai 2024 et qui a été inaugurée au Long Beach Hotel, Belle-Mare, par le Premier ministre Pravind Kumar Jugnauth, a connu un succès retentissant et a créé un formidable élan dans le pays. Après l’annonce par le Premier ministre que les professeurs enseignant le bhojpuri dans les baithkas et les classes d’extension recevraient une indemnité du gouvernement, l’apprentissage de cette langue a connu un grand essor dans le public.

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Plusieurs résolutions ont été votées durant la conférence de Belle-Mare, dont l'une est la création d'un Secrétariat international du bhojpuri à Maurice, ce qui souligne la grande importance de cette langue et le rôle central de Maurice en tant que plaque tournante de la diaspora Bhojpuri. Cette langue est le véhicule du patrimoine culturel immatériel Geet Gawai, qui fait désormais partie du « Patrimoine mondial de l'humanité ». Conformément à la politique de l’UNESCO, la langue associée au Geet Gawai doit être enseignée dans les écoles formelles et non formelles afin de sensibiliser les jeunes générations et de leur transmettre le Bhojpuri Geet Gawai.  Les autorités prennent des mesures en vue de son insertion harmonieuse dans le système scolaire en tant que matière d’apprentissage et d’enseignement parmi toutes les langues inculquées dans les écoles mauriciennes, le bhojpuri est la seule langue à être exclu. Cela va à l’encontre des droits de l’homme. Le gouvernement prend actuellement les mesures nécessaires pour remédier à cette situation.  Le ministère de l’Éducation élabore présentement un cours d’hindi-bhojpuri ouvert à tous, dès l’école primaire, dans le cadre d’une approche holistique.

Après la conférence de mai 2024, il y a un nouveau dynamisme et un développement positif dans la société locale vers sa reconnaissance et la parité d’estime sur la communauté des langues à Maurice. Un enseignement en ligne du bhojpuri est envisagé, en collaboration avec NIOS (National Institute of Online Schooling of India) New Delhi.

Vous faites toujours valoir que le bhojpuri mauricien, de même que le « Geet Gawai » sont toujours reçus avec les honneurs en Inde. Pourquoi une telle réception ?
Après près de 200 ans de séparation d’avec l’Inde maternelle, les descendants des immigrants sous contrat, qu’on désigne sous le terme « Girmitiya », qui ont quitté les rivages de l’Inde coloniale et leurs maisons dans des conditions difficiles, ont réussi à préserver et à maintenir leurs langues ancestrales, leur patrimoine, leurs coutumes et leurs chants, leurs traditions orales, leurs habitudes alimentaires, leurs vêtements et leurs systèmes de valeurs. C'est un motif de grande fierté et de reconnaissance.

L’Inde reconnaît que l’indianité est l’expression de racines et d’itinéraires, de sang, d’héritage et de culture partagés malgré la longue séparation. Le fait que nous avons pu envoyer ces traditions orales ancestrales, comme le Bhojpuri Geet Gawai, à l’UNESCO en tant que patrimoine de l’humanité est un grand honneur et une source de fierté pour l’Inde.

Vous êtes la personne qui incarne véritablement et officiellement l’identité de la culture bhojpuri avec votre bâton de pèlerin. Est-ce que la relève est prête ?
Le bhojpuri n’est pas ma propriété privée, elle appartient à toute l’île Maurice. J’ai passé 40 ans de rudes moments, de campagnes inlassables, pour faire reconnaître cette langue et pour lui donner ses lettres de noblesse. Des institutions œuvrent à sa préservation, comme le National Heritage Fund, le MGI qui a un département de bhojpuri et folklore, l’Aapravasi Ghat Trust Fund. Ces Institutions sont bien rémunérées par l’État pour faire avancer cette langue parmi d’autres attributs.

Moi, j’ai fait ce que m’a dicté ma conscience. Je ne peux pas laisser venir un jour où les jeunes générations vont nous dire que nous avons enterré vivante cette langue si riche que nos ainés nous ont léguée après tant de sacrifices et humiliations dans des conditions inhumaines. 

Le bhojpuri a été maintenu comme langue maternelle de génération en génération. C’est une langue très riche. À Maurice, elle a donné naissance à des dizaines de contes, de chansons folkloriques de plusieurs registres comme celles associées aux saisons le « Harparawri » (les dames chantent pour qu’il pleuve pendant la sècheresse), les chansons rattachées au Godna (tatouage), le Jantsaar et autres sirandanes, des centaines de proverbes et dictons, des jeux de mots, des jeux d’enfants et d’autres chansons.

Plus de 300 mots de Bhojpuri qui circulent à travers Maurice tous les jours – tel que, lota, thali, catora, roti (« roti so », vendus par les marchands du coin de la rue), chattaye, kapra, makhan, dalpuris, puris, chatini (chutni), caraille (carahi), belna, tawa, bazaar. Ces mots font partie du parler quotidien chez nous. Ce qui rend la langue bien dynamique, résilient et puissant. Le courant passe très bien. 
Je crois qu’il y a eu une forte prise de conscience après le « Momentum » créé par le succès de la conférence de 2024. À cette occasion, j’avais dit bien haut et fort que je laisse maintenant le soin aux jeunes générations de maintenir et transmettre le bhojpuri au (i) gouvernement et (ii) à la conscience collective.

En quoi la culture portée par ceux qu’on désigne comme les « Girmitiyas » est-elle plus vivante/différente à Maurice par comparaison à des pays, dont le Fidji, la Guyane britannique ou encore le Surinam ?
Dans la diaspora bhojpuri, Maurice, Surinam et Fidji ont pu maintenir le Bhojpuri et à un moindre degré en Afrique du Sud. Mais puisque les Girmitiyas sont venus du vaste terroir du « Bhojpuri Belt » avec des milliers de kilomètres de séparation et des centaines de villages différents, c’est normal qu’il y ait des variations dans la langue, les langues et les dialectes. Ces Girmitiyas sont issus de plusieurs bassins comme le Maithili, le Magahi, l’awadhi (langue de Ramcharit Manas – très populaire à l’ile qu’ailleurs). Suivant les documents officiels, le recrutement a commencé à Chotta Nagpur, pour s’effiler à Chappra, Sahabad (Bhojpur Arah Buxar) et puis pour remonter dans le bassin d’Awadhi, Maithili, Braj, allant même jusqu’à Lucknow. Ce qui donne ce dynamisme extraordinaire au bhojpuri, créant plusieurs variétés dans les différents pays de la diaspora suivant ces périodes de recrutement. 

Le bhojpuri de l’ile Maurice est arrivé avec la première vague de l’immigration indienne de l’engagisme des poches de 26 districts de Bihar, Uttar Pradesh, Jharkhand, Chattisgarh. Ensuite, au fur et à mesure que les nouvelles des conditions et mauvais traitements ont gagné les rives de l’Inde, l’engouement étant devenu tiède, les maîtres des recrutements ont dû essayer plus haut et encore plus haut le long du Ganges. Ce qui explique que le bhojpuri parlé aux iles Fidji contient plus de variétés de l’Awadhi et du Braj – qui a donné le « Fidji baat » ou « Fidji hindi » aux Fidji. Par contre en Afrique du Sud, le bhojpuri est appelé le « Naitali » et encore à Surinam, le « Sarnami ». Malheureusement ces langues ont presque disparu à Trinidad et en Guyane, il ne subsiste que quelques mots symboliques et des chansons folkloriques. 

Est-ce que le Geet Gawai parvient-il à résister aux assauts de la modernité ?
Nous sommes reconnaissants à l’UNESCO qui a mis sur pied la Convention 2003 pour protéger les cultures intangibles de l’humanité. Mais ça ne suffit pas. Donc, au sein du Bhojpuri Speaking Union, dès que j’ai été élue présidente en 2012-2013, la première chose que j’ai faite a été de créer une école de Geet Gawai à Petit-Raffray avec l’aide de Mme Reeta Dhundevi Poonith qui est, elle-même, héritière d’une longue et riche tradition de Geet Gawai. Grâce à elle, la tradition a été ainsi assurée de génération en génération. Le Centre social du village avait bien vaillamment mis le « hall » à notre disposition. Dès le début, l’engouement a été grand et extraordinaire. Nous avons eu 80 élèves de tout âge, ce qui nous a motivés à ouvrir d’autres écoles de Geet Gawai à travers l’île. Aujourd’hui, nous en avons 51 et continuons à en ouvrir d’autres et bientôt, ces élèves seront dans les collèges. Dans ces écoles qui sont entretenues par des volontaires, nous mettons l’emphase sur l’authenticité comme nous nous y sommes engagés dans le dossier soumis à l’UNESCO. Mon but est d’ouvrir une école de Geet Gawai dans chaque village, ville et faubourg de notre île, car il y a une véritable demande pour apprendre à le chanter.

 

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