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Relativité salariale : pas de relation de cause à effet immédiate sur la productivité au travail

La productivité du travail dans l’industrie manufacturière a connu une baisse de 5,7 % en 2023.

Quelques heures après la publication des derniers chiffres sur la productivité par Statistics Mauritius le 9 août, trois membres du gouvernement animaient une conférence de presse pour annoncer l’exercice de relativité salariale. Pour leur part, les opérateurs sont sceptiques quant à un impact de la hausse des salaires sur la productivité.

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Après un bond lié à la pandémie en 2020, la croissance de la productivité mondiale du travail a stagné en 2021. Un rapport du National Productivity and Competitiveness Council (NPCC), intitulé « Productivity and Competitiveness Review » prévoyait que cette tendance devrait se poursuivre en 2022. L’absence de progrès en productivité en 2022 s’explique en grande partie par l’impact de la guerre en Ukraine, avec une faible augmentation de la production, mais une forte expansion de la main-d’œuvre. En outre, les effets persistants de la pandémie - dus au ralentissement de la croissance de la consommation de biens et à la hausse des activités du secteur des services, qui ont tendance à afficher une productivité inférieure à la moyenne – ont pesé sur les résultats de l’efficacité mondiale en 2022.

À Maurice, l’indice de la productivité du travail est passé de 84,7 en 2011 à 102,3 en 2021, soit une croissance annuelle moyenne de 1,9 %. En 2021, elle a augmenté de 11,4 %, contre une baisse de 9,4 % en 2020. Les derniers chiffres publiés par Statistics Mauritius le 9 août 2024 indiquent que de 2013 à 2023, le facteur travail pour l’ensemble de l’économie a augmenté en moyenne de 0,5 % par an, tandis que celui du domaine manufacturier et de l’«Export Oriented Enterprises » (EOE) a diminué respectivement de 1,2 % et de 4,5 %. La productivité du travail, mesurée par la production réelle par personne occupée, s’est accrue en règle générale de 2 % par an pour la globalité de l’économie. Au cours de la même période, celle dans l’industrie manufacturière a enregistré une croissance annuelle moyenne de 1,7 % et celle du secteur des professions libérales une hausse annuelle de 1,4 %.

La publication des données sur la productivité au travail a devancé de quelques heures l’annonce des ministres Padayachy, Callichurn et Ramdhany concernant la relativité salariale. Dès lors, la communauté des affaires et de nombreux opérateurs ont soulevé leurs préoccupations, alors que le réajustement salarial ne découle pas ou ne tend pas à augmenter la productivité.  Vidia Mooneegan, Managing Director de Ceridian, confie que les récentes annonces du gouvernement ont suscité beaucoup d’inquiétude dans les entreprises. Cette mesure, dit-il, aura un impact sur toutes les compagnies. Il se peut même que certaines PME ferment leurs portes. « Les sièges sociaux des entreprises internationales s’inquiéteront de l’absence de certitude et de prévisibilité à Maurice. Le coût des affaires a augmenté de façon spectaculaire ces dernières années, ce qui a poussé les firmes à réduire leurs embauches et leurs investissements. La revalorisation des salaires devrait suivre les gains de productivité pour assurer la viabilité des entreprises. Nous sommes dans un environnement mondialement compétitif », avance-t-il. 

Pour Eddy Jolicoeur, consultant en ressources humaines, c’est d’ailleurs sans surprise que cette décision a suscité une réaction douce-amère de la part des employés, par l’intermédiaire de leurs syndicats. Pour cause, elle soulève de graves préoccupations socio-économiques, notamment en raison du manque de consultation des parties prenantes concernées et de l’absence de mesures d’amélioration de la productivité. « L’un des effets immédiats d’une augmentation générale des salaires sans gains de productivité est le risque d’inflation. Cela ne laisse pas les employés dans une meilleure situation qu’auparavant et entraîne un cercle vicieux d’inflation des salaires et des prix », explique-t-il. Le chef d’entreprise et industriel, François de Grivel abonde dans le même sens. Il exprime donc sa crainte que le pouvoir d’achat des employés soit affecté, ce qui pourrait également réduire leur productivité au travail.

Compétitivité

La stagflation a toujours été compliquée à gérer et peut conduire à des périodes prolongées de difficultés économiques. Pour Maurice, dont l’économie est déjà confrontée à des défis tels qu’un ratio dette/PIB élevé et des vulnérabilités liées aux chocs extérieurs, la stagflation pourrait, selon Eddy Jolicoeur, être particulièrement déstabilisante. Une hausse des salaires sans progression de la productivité n’est pas sans conséquence pour le secteur privé, en particulier dans les industries qui dépendent des marchés d’exportation. Elle peut éroder la compétitivité, entraînant une baisse des exportations, une réduction des recettes en devises et, potentiellement, des pertes d’emplois à long terme, poursuit le consultant en ressources humaines. 

Cependant, la productivité est contrôlée dans les entreprises à Maurice fait ressortir François de Grivel. Il affirme que les compagnies définissent des indicateurs pour mesurer la productivité. Ces derniers peuvent inclure la production par employé, le rendement du travail ou la rentabilité par unité de production. « La productivité des employés ne peut pas augmenter subitement avec un effet à court terme. Au contraire, pour atteindre un niveau de productivité plus élevé à long terme, des investissements nécessaires seront indispensables », explique-t-il.

Pour sa part, Jean Claude Ip Man Pun, directeur de Mac & Allan Ltée, entreprise spécialisée dans la production de sacs en cuir, salue la décision du gouvernement de mettre en place la relativité salariale. « C’est une très bonne initiative qui vient corriger les présentes anomalies entre les salaires. Elle aidera à réduire la frustration de certains employés », explique-t-il. Cependant, l’augmentation récente des rémunérations ne permettra pas de relever la productivité des salariés dans les entreprises. « Depuis l’année dernière, quand les paies ont été revues à la hausse, les employés n’ont pas montré plus d’intérêt pour effectuer des heures supplémentaires. Maintenant, avec la relativité salariale, je crains que la situation empire. Par conséquent, cela aura un impact néfaste sur la productivité », fait-il remarquer. 

François de Grivel évoque aussi le mécanisme d’une compagnie. D’une part, si une entreprise est plus « capital intensive », ce n’est pas l’augmentation des salaires qui va perfectionner sa productivité, mais plutôt des investissements dans l’amélioration des techniques de fabrication, notamment dans les nouvelles technologies et les machines plus sophistiquées. 

De l’autre côté, poursuit l’industriel, s’il s’agit d’une entreprise plus « labour intensive », une hausse salariale n’aura pas d’impact direct sur la productivité. « Il est important de souligner que l’homme a des limites physiques. Avec un salaire plus élevé, il ne peut pas être contraint de travailler davantage », ajoute-t-il. D’où la nécessité, selon Eddy Jolicoeur, que les mesures annoncées soient accompagnées de stratégies visant à stimuler la productivité et la compétitivité. Il est d’avis que le gouvernement devrait engager un dialogue constructif avec toutes les parties prenantes. Le but serait d’élaborer un plan global qui aligne les augmentations de salaire sur les améliorations de la productivité. « Il pourrait s’agir d’investir dans le développement des compétences, les mises à jour technologiques et la promotion d’une culture de l’innovation dans les secteurs public et privé », indique-t-il.

Recommandations pour booster davantage la productivité dans les entreprises

Les propositions de François de Grivel 

Renforcer l’engagement personnel des employés : pour augmenter la productivité des travailleurs, il faut tout d’abord assurer un engagement personnel des employés au sein de l’entreprise. Cela peut se faire en créant un environnement de travail où ils se sentent valorisés et respectés.

Formations continues : proposer des formations, ainsi que des opportunités de croissance, afin que les employés puissent développer de nouvelles compétences et progresser dans leur carrière.

Une gouvernance adaptée dans les entreprises : cette dernière peut jouer un rôle crucial dans l’augmentation de la productivité des travailleurs. Une gouvernance efficace définit clairement les objectifs et la vision de la compagnie. Lorsque les employés comprennent la direction et les attentes de l’entreprise, ils sont plus susceptibles de travailler avec un but commun en tête, ce qui peut améliorer leur productivité.


Les propositions de Jean Claude Ip Man Pun

Le travail à la pièce : cette méthode peut être un moyen efficace pour rehausser la productivité dans certaines industries, notamment celles où le travail manuel ou répétitif prédomine. Il s’agit d’un modèle où les employés sont payés en fonction du nombre d’unités fabriquées ou de tâches accomplies, plutôt qu’en fonction d’un salaire horaire ou mensuel. Dès lors, ils sont plus motivés à faire le maximum, augmentant ainsi la rentabilité.

Des soutiens pour investir dans la mécanisation : si une entreprise veut augmenter la productivité, elle ne peut le faire qu’à travers l’automatisation et les nouvelles technologies. Selon lui, tout a été fait pour améliorer la productivité des travailleurs, mais c’est hors de notre contrôle. Ainsi, il estime qu’il serait plus efficace d’investir dans la mécanisation. Pour cela, il considère que le soutien du gouvernement est crucial. Aujourd’hui, on parle du secteur manufacturier 4.0, mais il faut nous donner les moyens d’aller dans cette direction, indique-t-il.

Hausse de la productivité sur papier ?

Jean Claude Ip Man Pun contredit les chiffres de Statistics Mauritius. Il s’interroge sur la façon dont cet organisme a calculé le taux de productivité pour soutenir qu’il y a une hausse depuis 2013, alors que cette dernière a drastiquement baissé. Il estime que les travailleurs d’aujourd’hui ne sont pas aussi motivés et engagés envers leurs employeurs qu’ils ne l’étaient auparavant. « Dans mon entreprise, les travailleurs les plus productifs sont ceux de plus de 50 ans et qui sont avec moi depuis la création de la compagnie », affirme-t-il. Selon lui, il n’y a plus de goût pour l’effort parmi les travailleurs de nos jours. « De plus, on ne peut pas leur imposer de tâches ou de responsabilités supplémentaires, sinon, ils risquent de quitter l’entreprise ou de porter plainte aux autorités », avance notre interlocuteur.

Relativité salariale

 

 

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