
Le gouvernement veut clarifier les rôles du DPP et du commissaire de policeen matière de libération sous caution. Pour ce faire, des amendements seront apportés au Bail Act, lesquels seront présentés à l’Assemblée nationale ce mardi. Si certains saluent une réforme nécessaire pour éviter les conflits d’interprétation, d’autres dénoncent une approche précipitée.
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Se dirige-t-on vers la fin des passes d’armes entre la police et le Directeur des poursuites publiques (DPP) ? Le gouvernement veut mettre fin aux incohérences. Ce mardi 4 mars 2025, l’Attorney General Gavin Glover présentera en première lecture à l’Assemblée nationale un projet de loi visant à apporter des amendements au Bail Act. Cette initiative vise à redéfinir les prérogatives du DPP et du commissaire de police (CP) en matière de libération sous caution. Mais ces changements divisent.
Me Sanjeev Teeluckdharry explique que les amendements visent à éclaircir une situation jusque-là ambiguë. Il explique qu’actuellement, la police et le DPP peuvent avoir des avis divergents lorsqu’il s’agit de traiter une demande de libération sous caution. Selon lui, si la police s’oppose à une libération sous caution, elle transmet le dossier au DPP, qui évalue les « reasonable suspicions » et les « grounds of objections ». Si ces motifs sont jugés infondés, ce dernier n’émettra pas d’objection, une décision considérée comme finale.
Or, des affaires récentes – notamment celles d’Akil Bissessur et de Bruneau Laurette – ont mis en lumière un dysfonctionnement : le DPP peut changer d’avis et retirer son objection, comme cela a été le cas dans ces affaires, mais le CP, lui, peut malgré tout contester la libération devant la Cour suprême en déposant une nouvelle demande. Une situation qui a semé la confusion et révélé un problème d’articulation des pouvoirs. « Le CP est censé suivre les avis juridiques du DPP et ne dispose pas de conseils juridiques internes pour évaluer la validité des objections », fait ressortir Me Sanjeev Teeluckdharry.
Les amendements au Bail Act visent donc à prévenir ces conflits. Dorénavant, si le DPP ne s’oppose pas à une demande de libération sous caution, le CP ne pourra plus saisir la Cour suprême pour contester cette décision à travers une demande de « judicial review ». Toute objection devra être validée par le DPP, seul habilité à saisir la Cour suprême pour contester une décision de mise en liberté.
Cohérence judiciaire
Me Sanjeev Teeluckdharry explique que cette réforme vise à renforcer la cohérence judiciaire et à éviter les conflits d’interprétation, tout en réaffirmant la primauté et l’autorité du DPP en matière de poursuites et de conseils juridiques, conformément à l’article 72 de la Constitution. Mais ce projet de loi, dans sa forme actuelle, ne fait pas l’unanimité. Me Rama Valayden fustige des amendements qu’il qualifie de « bâclés », estimant qu’ils ont été introduits de manière précipitée. Selon lui, la question de la libération sous caution mérite une réflexion plus approfondie et un débat plus large.
Il plaide pour une révision globale du Bail Act, notamment la durée de la détention provisoire ainsi que la lenteur des procédures judiciaires et la nécessité d’accélérer le traitement des affaires devant les cours de district. Il alerte sur le sort des prévenus qui restent en prison pendant plusieurs années sans jugement, rappelant que certains ont été retrouvés morts en cellule.
L’avocat propose la création d’une Bail Remand Court fonctionnant en soirée, comme cela a été le cas lors de l’arrestation de l’ancien Premier ministre, Pravind Jugnauth. Il estime qu’il ne devrait pas y avoir d’exception quant aux audiences sur la liberté sous caution. Il s’interroge sur un possible traitement différencié entre citoyens ordinaires et les VIP (Very Important Persons ; NdlR). Autre proposition de
Me Rama Valayden : l’introduction de conditions de caution non financières (« non-monetary conditions ») pour éviter que l’accès à la justice ne dépende uniquement des moyens de l’accusé.
Intolérance juridique
Au-delà des aspects techniques, Me Valayden redoute une « dérive autoritaire », voyant dans ces amendements les premiers signes d’une intolérance juridique allant à l’encontre des principes de la démocratie, de la liberté et de la justice. Il critique également l’inexpérience de certains jeunes magistrats, amenés à décider du sort des suspects en matière de libération sous caution. Il propose aussi l’utilisation de bracelets électroniques comme alternative à la détention provisoire, tout en insistant sur le fait qu’il regrette l’absence d’une réflexion approfondie sur ces aspects.
Me Valayden souligne un autre point : les disparités raciales dans le système judiciaire mauricien, qu’il compare à celles des États-Unis. Selon lui, 70 % des détenus seraient en attente de procès. Il regrette que ce projet de loi ne définisse pas clairement son objectif. « S’agit-il d’une mesure pour renforcer la liberté, assurer un équilibre entre les pouvoirs, ou simplement combler une faille juridique ? » demande-t-il. Pour lui, les lois introduites dans la précipitation finissent souvent par poser plus de problèmes qu’elles n’en résolvent.

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