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Recomptage des votes dans la circonscription No 19 : À quitte ou double

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Cela va se jouer à quelques votes près. Jenny Adebiro et Ivan Collendavelloo se battent pour une poignée de voix. Elle, pour entrer au Parlement, et lui, pour conserver son siège. Des erreurs commises lors du comptage dans la circonscription No 19 (Stanley/Rose-Hill) et reconnues par le Commissaire électoral, surtout sur trois points capitaux, sont à la base de cet exercice. Quelle que soit l’issue, il y aura des chamboulements lors de la répartition des quatre derniers sièges de Best Losers. Dans les camps mauve et orange, on croise les doigts. C’est à la roulette russe que cela se joue.

Qu’est-ce qui n’avait pas marché ?

Ivan Collendavelloo.
Jenny Adebiro.

C’est la Cour suprême, à travers les juges Aruna Devi Narain et Denis Claude Mootoo, qui ordonne le 21 janvier un recomptage partiel des bulletins de vote de la circonscription No 19 (Stanley/Rose-Hill) pour les élections générales du 7 novembre 2019. Par partiel, il faut comprendre que seuls les votes obtenus par Jenny Adebiro, candidate du MMM, et Ivan Collendavelloo, candidat de l’alliance gouvernementale, sont concernés. Le leader du ML est élu en 3e position (8 959 votes), alors que Jenny Adebiro prend la 4e place avec 8 867 votes, soit un écart de 92 voix. Le 28 novembre, avant l’expiration du délai légal de 21 jours, Jenny Adebiro loge une pétition électorale où elle parle de « irregularities, shortcomings, mistake or miscount » lors de ces élections et demande un recomptage des bulletins.

Ce qu’a dit la cour

Dans leur jugement, les juges Narain et Mootoo indiquent qu’il y a lieu de croire qu’il y a eu des erreurs dans le décompte des voix, que les chiffres du « Recapitulation of Votes Form » sur lesquels le Returning Officer s’est basé pour déclarer les candidats élus n’étaient pas fiables. Par conséquent, un recomptage des votes est tout à fait justifié. Les juges ont également pris en considération la faible marge entre Collendavelloo et Adebiro et pensent que la différence des voix entre les deux puisse être différente à cause des erreurs commises lors du dépouillement. Par contre, les juges ne se prononcent pas sur le fait qu’il puisse y avoir eu des irrégularités spécifiques.

Qu’est-ce qui a été établi en cour ?

Le 13 janvier dernier, Dharmajai Mulloo, conseiller auprès du bureau du Commissaire électoral, qui était Deputy Chief Electoral Officer lors des élections générales de 2019, est venu affirmer que le nombre de votes obtenus dans chaque Counting Room doit être divisible par trois. Or, ce n’était pas le cas dans 18 des 25 salles de dépouillement, à savoir les salles 1, 4, 5, 6 7, 9, 10, 12, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 24 et 25.

Ivan Collendavelloo.
Ivan Collendavelloo.

Le nombre maximum de Ballot Papers (bulletins de vote) alloués dans chaque salle de dépouillement pour la circonscription No 19 était de 1 200. Or, dans les salles 7, 10 et 11, il y en avait plus de 1 200. Ivan Collendavelloo, constate la Cour dans son jugement, « a obtenu davantage de votes que la contestataire dans ces trois salles de dépouillement ». Après calcul, il est apparu qu’il y avait 56 votes en plus. Et, il n’est pas possible d’attribuer ces votes.

Le Commissaire électoral, Irfan Abdool Rahman, n’a pas objecté à ce qu’il y ait un nouvel exercice de comptage des voix obtenus par Ivan Collendavelloo et Jenny Adebiro au nom des « values of transparency and fairness and the need for public confidence in the election process ». Il a précisé que ce sont des principes qu’il a toujours portés en très haute estime et a ajouté qu’il « y a un besoin pour qu’il n’y ait aucun doute sur l’intégrité du processus de dépouillement en général ».

Agents politiques : Ont-ils failli dans leur rôle de chien de garde ?

Les agents politiques postés dans les centres de vote et dans les salles de dépouillement sont supposés être des chiens de garde. Ont-ils failli dans leurs tâches ?

Pour plusieurs observateurs politiques, les anomalies mises en lumière par la cour auraient pu être évitées si les agents politiques avaient pleinement joué leur rôle de chien de garde. 

Un avis que ne partage cependant pas Iqbal Calcateea, principal agent politique de Jenny Adebiro, candidate du Mouvement militant mauricien (MMM), aux élections générales de 2019. 

Contacté par Le Défi Plus, il est revenu sur le déroulement de cette élection à Stanley/Rose-Hill. Il a soutenu que tout avait été mis en œuvre ce jour-là afin de limiter l’accès des agents proches de Jenny Adebiro à la Computer room. 

D’ailleurs, soutient Iqbal Calcateea, ce n’est que lors du jour du dépouillement des bulletins de vote qu’il a découvert l’existence de la Computer Room. Il ajoute que l'accès au bureau du Returning Officer lui avait été refusé, alors que des proches de certains adversaires politiques y étaient autorisés. 

Autre anomalie décelée ce jour-là par l’agent mauve, la façon dont les résultats avaient été proclamées. « Je n’en suis pas à ma première élection. Généralement, les résultats partiels sont annoncés aur courant de la journée avant de proclamer les résultats officiels. Mais lors de ce fameux jour, on n'avait fait qu'une première annonce avant de proclamer les résultats officiels », dit-il. 

Gupta Gopaul, qui est, lui, le principal agent d’Ivan Collendavelloo, ne partage pas le même avis. « Il n’y avait rien d’anormal ce jour-là. Aussi, je ne pense pas qu’un homme de la trempe de Paul Bérenger aurait laissé passer la moindre erreur s’il avait été informé de la moindre anomalie », s’est-il contenté de dire.

Zoom sur le processus électoral

Selon les procédures établies, chaque centre de vote d’une circonscription tombe sous le contrôle d’un officier de la Fonction publique. Tout ce qui se passe dans le centre de vote tombe sous sa responsabilité. 

  • Chaque classe est dotée d’un registre électoral
  • Chaque bulletin de vote doit porter le tampon de la Commission électorale
  • Un agent de chaque parti politique est présent dans chaque classe. Cet agent, qui habite généralement la localité, s’assure qu’il n’y ait pas de tentative d’usurpation d’identité
  • Une fois l’exercice de vote complété, chaque boîte, qui est sous scellés, est alors acheminée vers un véhicule de la Special Mobile Force (SMF).
  • Les bulletins de vote, non utilisés, doivent aussi être placés dans une boîte mise sous scellés.
  • Les boîtes sont acheminées vers le centre de dépouillement. Chaque parti politique s’assure aussi à ce qu’un de ses agents soit dans le véhicule acheminant les bulletins de vote.
  • Les bulletins de vote sont ensuite placés dans une salle du centre de dépouillement sous la stricte surveillance d’un élément de la SMF armé. Les agents politiques passent également la nuit au centre de dépouillement pour veiller à ce qu’il n’y ait aucune anomalie.

Les enseignements à tirer de ce jugement

Quels sont les enseignements à tirer du jugement de la cour qui a ordonné un recount dans la circonscription No 19 (Stanley/Rose-Hill)  ? Quelles sont les propositions pour améliorer le processus du décompte des voix ? Plusieurs observateurs politiques s’expriment sur ce sujet.

Lindsay Rivière : « Il faut prendre du temps avant de proclamer les résultats »

« Je trouve dommage que tout cela se produit à la veille des élections municipales et avant les élections à Rodrigues ». C’est l’avis exprimé par l’observateur et ancien rédacteur en chef de différentses publications, Lindsay Rivière, au sujet des observations faites par la cour sur le déroulement du décompte des voix dans la circonscription No 19 (Stanley/Rose-Hill) lors des élections générales de 2019.

« Il est évident que c’est un jugement qui embarrasse beaucoup d’officiels de la Commission électorale », fait-il ressortir. Pour éviter que de telles erreurs ne se reproduisent, Lindsay Rivière plaide pour que les autorités responsables passent la journée du décompte en revue à travers une « check-list ». « Il faut, à la fin de la journée, que toutes les parties concernées soient d’accord avec le déroulement du décompte et signent un document qui attestera de l’approbation des parties concernées. C’est-à-dire les fonctionnaires et les candidats, entre autres », soutient Lindsay Rivière. 

Ce dernier tient toutefois à préciser que ce processus ne doit pas empêcher un candidat de loger une pétition électorale par la suite. Lindsay Rivière est également d’avis qu’il est à présent temps pour que le folklore des élections ne vienne pas perturber l’exercice de décompte. « C'est perturbant de laisser les partisans gagner l’enceinte des centres du dépouillement. C’est très malsain et dangereux », avance-t-il, Et de rappeler que par le passé certains candidats se sont fait agresser par des partisans adverses. 

L’observateur politique plaide également pour qu’il n’y ait pas d’empressement pour procéder à la proclamation des résultats. « Je constate que dès que l’exercice de décompte a été complété, on s’empresse d'annoncer les résultats. Il faudrait, selon moi, attendre un peu et ainsi bien vérifier que tout a été correctement fait. Et proclamer les résultats à tête reposée », propose-t-il.

Sateeaved Seebaluck : « Il faut le vote électronique » 

S’il estime que Maurice jouit d’un système électoral robuste qui a parfaitement bien fonctionné jusqu’ici, l’ancien chef de la Fonction publique est d’avis qu’il y a eu un relâchement à différents niveaux, que ce soit du côté des candidats ou encore du côté des autorités.  

Pour Sateeaved Seebaluck, Maurice ne peut plus se permettre de résister à l’évolution numérique et plaide pour que le vote électronique devienne très une réalité. « C’est un système qui a fait ses preuves dans plusieurs pays. Politiciens et citoyens ont une confiance absolue dans ce système. On pourrait solliciter les pays qui ont mis en œuvre le vote électronique. Il faut venir de l’avant avec ce projet », dit-il.

Jean Claude de l’Estrac : « Pas de psychodrame » : L’ancien ministre a une différente lecture de la situation. 

Pour Jean Claude de l’Estrac, il ne faut pas en faire un « psychodrame », car un exercice de recount dans un système électoral n’a rien de dramatique. 
« Le principe de recount existe dans nos lois comme dans beaucoup de démocraties. Le premier recount à Maurice a eu lieu en 1891 et, depuis, nous avons eu droit à une dizaine de pétitions électorales ou de motions sollicitant un recount ». 

Il se souvient d’ailleurs d’une fois où le Commissaire électoral avait lui-même demandé un recount à l'issue d’une élection villageoise. Cela après que le Returning Officer lui a fait part d'anomalies dans l’exercice du décompte.

Jean Claude de l’Estrac souligne que les marges d’erreurs existent, même aux États-Unis qui ont pourtant adopté le vote électronique. « Mais dans ce cas précis, l’exercice de recount se fait immédiatement sans passer par les pétitions électorales », dit-il.

Selon le Dr Didier Samfat : Le vote électronique laisse la porte ouverte aux fraudes

Le Dr Didier Samfat, consultant en cybersécurité, estime que le vote électronique est complexe à mettre en place et comporte des risques de fraude s’il n’est pas contrôlé par des professionnels indépendants.

Introduire le vote électronique à Maurice demande du temps et une logistique qu’on n’a pas. « Maurice n’a pas les infrastructures sophistiquées pour introduire le vote électronique afin d’éviter des fraudes électorales. Je ne sais si les lois mauriciennes le permettent aussi et si ce n’est pas contre notre Constitution. Si c’est le cas, il faudra l’amender », dit le Dr Samfat.

Pour lui, le vote électronique « laisse la place aux fraudes parce que c’est complexe et sensibl. Si le système est mal fait ou fait à la va-vite, il y a de réélles chances de fraudes. On peut créer des votes fantômes, comme en Arizona, aux États-Unis, aux dernières présidentielles. C’est pour cela qu’il faut un organisme indépendant pour tout contrôler. En revanche, si le système de vote électronique est contrôlé par des ingénieurs du pouvoir en place, il peut y avoir des fraudes ».

Dans les faits, chaque votant, precise-t-il, « doit se faire enregistrer auprès d’un notaire pour la certification. Il faut une « trusted 3rd party » dûment reconnue pour la certification et une clé secrète. C’est comme un système de cryptage pour autentifier sans aucun doute possible le votant. C’est très  complexe. Ce sera impossible de venir le vote électronique en 2024. Cela demande du temps et une logistique que Maurice ne possède pas ».

Les consignes pour le 1er février 2022 

Le 26 janvier 2022, l’Acting Master and Registrar, Wendy Rangan, a donné les consignes aux officiers de justice qui seront engagés dans l’exercice de recount. Cela, au cours d’une réunion qui a suivi celle avec les candidats. 

Quatre « counting agents » seront admis par classe, soit deux pour chaque candidat. Également trois membres du personnel judiciaire par salle de classe, dont un responsable (head), un « caller » et un « recorder » Seuls ceux ayant reçu une double dose du vaccin contre la Covid-19 participeront à cet exercice. Aussi, pas de vêtements aux couleurs des partis politiques pour le personnel qui va travailler le 1er février 2022. Pas de journalistes également dans l’enceinte du collège GMD Atchia, à Port-Louis. 

L’accès y sera restreint et sera sous le contrôle des officiers de la Special Mobile Force (SMF). Le transfert des urnes, avec les bulletins de vote, se fera sous de strictes mesures de sécurité. Le Returning Officer, Kevin Moorghen, sera escorté par la police jusqu’à l’école Notre-Dame-des-Victoires pour la proclamation des résultats.

L’exercice se fera sous la supervision des deux Acting Deputy Master and Registrar, Raj Seebaluck et Mehdi Manrakhan.

Le vote électronique dans le monde

Selon Wikipedia, le vote électronique consiste à utiliser les technologies de l’informatique et des télécommunications dans le processus de vote. Un dispositif (ordinateur, téléphone) permet d’exprimer son vote et de compter automatiquement l’ensemble des suffrages. Les avantages ainsi visés sont les suivants : faciliter le vote et, ce faisant, augmenter la participation aux élections, tout en rendant immédiats leurs résultats. L’articulation entre la signification de l’acte de vote, les valeurs juridiques auxquelles il est attaché et ses conditions d’exercice, devrait se subordonner aux règles d’un management efficace.

Pour participer au scrutin, on ne peut voter par Internet. On doit se rendre au bureau de vote avec les justificatifs d'identité nécessaires. Si toutefois vous êtes absent le jour du scrutin, vous pouvez donner une procuration à un électeur de votre endroit pour qu'il vote à votre place.
Aux US,  Donald Trump aavait des doutes sur des votes dans quelques États et avait même contesté en cour les résultats qui ont donné Joe Biden vainqueur.

Les pays qui utilisent le vote électronique sont : Allemagne, Belgique, Brésil, Estonie, États-Unis, Irlande, Namibie et Pays-Bas.

 

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