Interview

Razack Peeroo, ancien Speaker : «La qualité des débats au Parlement s’est appauvrie depuis 2000»

Razack Peeroo

Razack Peeroo, ancien parlementaire et ancien Speaker, ne passe pas par quatre chemins. Depuis 2000, le niveau de la prestation des parlementaires est en baisse. Il évoque aussi l’avenir du Parti Travailliste.

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La retransmission en direct des travaux parlementaires semble être un couteau à double tranchant pour nos élus, car le public est témoin de leur comportement. N’est-ce pas ?
Je ne dirais pas un couteau à double tranchant. Pour moi, ça va plutôt dans la bonne direction. C’est donner l’occasion au peuple de suivre les travaux parlementaires, de savoir ce qui se fait et se dit en son nom.

Tout ça a commencé un peu avec moi, quand il y avait des débats sur le projet de loi portant réforme à la Constitution pour que Maurice devienne une république, avec un partage de pouvoirs entre le Premier ministre et le président de la République. Les débats étaient retransmis pour la première fois en direct, ce qui a permis au public de comprendre et d’apprécier ce que le gouvernement voulait. On a  aussi eu l’occasion de prendre connaissance de l’opinion exprimée par l’opposition.

« Pour comprendre un politicien, il faut connaître ce milieu. C’est tout un art. N’importe qui ne peut être Speaker »

Concernant le com-portement des députés, c’est une affaire différente. Un député est appelé Honorable member. Donc, je comprends   la nécessité qu’un député se comporte de façon honorable et utilise un langage élégant. Il doit respecter sa culture, son intelligence et son expérience des affaires publiques.

Certains membres du public comparent notre auguste Assemblée nationale à un ring où opposition et gouvernement s’affrontent. D’autres ont l’impression que c’est une cour de recréation ou une foire en raison du bruit assourdissant provoqué par les vifs échanges. Qu’en pensez-vous ?
Ce serait injuste d’utiliser des termes pareils. L’Assemblée reste « auguste » malgré le comportement de certains membres. Il faut comprendre la nature humaine. Lorsque les débats sont chauds autour des sujets controversables, il n’y a rien de mal si les parties croisent le fer. Au cours des débats, il arrive très souvent qu’on fasse des commentaires, qu’on interrompe les orateurs en soulevant des points of order. Ce sont les règles du jeu de la démocratie parlementaire. Quand il y a un point of order, il est nécessaire que le président de l’Assemblée donne son ruling et ne fasse pas la sourde oreille. Il doit agir selon les Standing Orders. Il doit décider si le point of order est justifié.

« Depuis un certain temps, les parlementaires lisent leurs discours. Ce qui est contre les Standing Orders »

À quoi attribuez-vous cette cacophonie ?
Au cours des débats, bon nombre de députés pensent qu’ils doivent dire quelque chose, ce qui provoque des vacarmes. C’est comme ça.

En plusieurs occasions, des députés veulent exprimer toutes leurs idées à la fois. Le Speaker doit jouer son rôle et exercer son autorité, pour que les débats puissent se poursuivre dans de bonnes conditions. Si un président n’est pas impartial, comment pourra-t-il exercer son autorité ? Ce sera difficile pour lui.

L’opposition a toujours critiqué l’impartialité des Speakers, vu qu’ils sont des membres du parti au pouvoir. Ne serait-il pas salutaire de réserver ce poste à une personne neutre, comme un juge à la retraite ?
Il est préférable de garder les juges hors de la politique. Pour comprendre un politicien, il faut connaître ce milieu. C’est tout un art. N’importe qui ne peut être Speaker. Même si parfois, on nomme quelqu’un qui n’est pas à la hauteur, qui n’a pas d’expérience, qui ne comprend rien aux Standing Orders, et qui est, en conséquence, incapable d’appliquer les règlements. Un politicien de carrière, connu pour son intégrité et son impartialité, reste le meilleur choix. C’est la majorité qui suggère le nom du Speaker, qui peut ne pas être un membre de l’Assemblée nationale. Il faut néanmoins trouver un consensus avec les autres partis. Il faut que la personne pressentie soit respectée et respectable. Il faut qu’il y ait autour de cette personnalité le respect,  mais pas  seulement l’impartialité, l’expérience et la capacité d’appliquer les règles. Il lui faut aussi un sens de la justice et de l’équité.

Au fil des années, le walk-out semble être devenu une banalité. Est-ce le trop qui nuit ?
Le walk-out est un moyen pour manifester son désaccord ou parfois sa colère. C’est quand les membres de l’opposition pensent que justice ne leur a  pas été rendue,  comme ce qui s’est passé cette semaine. C’est là que je donne un avertissement : il faut bien comprendre que le Speaker doit être above party politics. Un arbitre contrôle un  match. Si l’arbitre commence à jouer lui-même et veut scorer, il n’est plus arbitre. Il montre sa couleur et sa tendance politique. C’est très mauvais s’il le fait et  il ne mérite pas d’être in the chair.

Comment voyez-vous l’évolution du niveau de nos parlementaires, entre le moment où vous avez fait votre entrée au Parlement et maintenant ?
J’y ai fait mon entrée en 1976. Jusqu’en 2000, le niveau était bon. On ne peut pas faire de comparaison entre avant et après 2000. Avant, il y avait beaucoup de respect pour l’adversaire, de la tolérance et de vrais débats concernant les mesures prises à l’Assemblée nationale. Celles-ci étaient axées sur une certaine philosophie du gouvernement et combattues par les membres de l’opposition avec une certaine philosophie. On ne préparait pas son discours. On notait les points de l’adversaire et on les réfutait de façon impromptue. Depuis un certain temps, les parlementaires lisent leurs discours. Ce qui est contre les Standing Orders. On peut se référer à un discours, mais pas le lire. J’étais, d’ailleurs, étonné quand j’exerçais comme Speaker, entre 2012 à 2014, car beaucoup de membres lisaient leurs discours. Le Hansard témoigne de l’appauvrissement de la qualité des débats au Parlement. Ce qui se passe aujourd’hui n’a rien de comparable à ce qui se faisait autrefois.

Faut-il imposer à tout nouveau parlementaire une formation poussée sur les Standing Orders et sur l’élocution ?
Écoutez, on ne peut pas les traiter comme des étudiants. Ils sont literate et peuvent comprendre les Standing Orders. D’ailleurs, pour être un bon parlementaire, il faut être un bon parleur. Il faut pouvoir dire les choses correctement et ne pas débiter des bêtises.

« Un parlementaire est le porte-parole des milliers d’électeurs de sa circonscription. Il faut faire attention avant de faire taire cette voix »

L’Assemblée nationale est une institution où l’on transmet ses idées et où on peut en débattre. Il faut, cependant, admettre que certains sont plus doués à l’écrit qu’à l’oral, et vice-versa.

En tant qu’ancien Speaker, pensez-vous que la motion de blâme de Shakeel Mohamed à l’encontre de Maya Hanoomanjee est justifiée ?
The mover of the motion doit avoir des raisons. Une motion est quelque chose de sérieux. Shakeel mohamed a certainement ses raisons. Je ne suis pas là pour juger de sa pertinence. C’est le droit d’un parlementaire de déposer  une motion, s’il est convaincu qu’il a suffisamment de raisons pour prouver sa thèse. La première motion contre un Speaker a été celle de Jules Koenig contre sir Harilall Vaghjee. J’ai, moi-même, logé une motion contre le Speaker Seetaram. Je dois dire que les débats étaient à la hauteur. On avait terminé les discussions et on a voté vers 1 h 30 du matin. Celui qui présidait, le Deputy Speaker, était un facilitateur des débats. Il y avait un libre échange. Même si la motion a été rejetée, on a lutté jusqu’au dernier moment. Il ne faut pas oublier qu’on était 6 contre 57. Les débats étaient, néanmoins, d’un niveau élevé, sans amertume et sans méchantes piques.

Madame la Speaker s’est servie de ses prérogatives pour ne pas accéder à la requête du leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval, de permettre au député Roshi Badhain de partager le Front Bench de l’opposition. Est-ce normal ou de la mesquinerie ?
Objectivement, un Speaker a la tâche de désigner le siège de chacun, après des discussions avec les leaders des partis. C’est le principe. Le leader du parti majoritaire de l’opposition devient le leader de l’opposition. Le PMSD, le MMM, le PTr et le MP constituent cette opposition. Roshi Bhadain vient de former son parti, donc c’est la Speaker qui décide. Le leader de l’opposition a fait une requête, la Speaker a appliqué les principes. Roshi Bhadain, il ne faut pas l’oublier, a été membre du gouvernement jusqu’ici.

« I order you out. » Dans quelles circonstances un Speaker peut-il avoir recours à cette sanction ?
Demander à un membre de se retirer est une exception, mais il faut bien faire attention. Si la mauvaise conduite du membre est répétitive, si le membre est récalcitrant et n’obéit pas aux ordres du Speaker à plusieurs reprises, ce dernier n’a d’autre choix que de lui demander de sortir. Toutefois, le Speaker doit justifier cette sanction aux membres.

Quand vous étiez Speaker, combien de fois avez-vous « order out » des parlementaires ?
Je n’ai jamais demandé à quiconque de quitter l’hémicycle. Pour moi, un parlementaire est le porte-parole des milliers d’électeurs de sa circonscription. Il faut faire attention avant de faire taire cette voix. J’ai fait preuve de beaucoup de compréhension. J’ai la chance d’avoir obtenu le respect de tous les membres. I was fair, just and impartial. Not only showed, but proved myself to be above party and ethnic politics. 

Les parlementaires, surtout ceux de l’opposition, se plaignent toujours du temps restreint pour la Private Notice Question, pour les questions au Premier ministre et aux ministres. N’est-il pas temps d’avoir plusieurs séances parlementaires par semaine – un jour pour les questions et les autres pour les projets de loi ?
Tout cela est réglementé par les Standing Orders. Il arrive qu’on fasse des abus. Cela n’est pas bon pour la démocratie parlementaire, Pourquoi donner une réponse trop longue, alors qu’on aurait pu la résumer ? Si on se sert de longues réponses pour gagner du temps, ce n’est pas juste. Des séances additionnelles dépendent aussi du calendrier que le gouvernement est disposé à y consacrer. Par exemple, après la présentation du budget, il y a des séances presque tous les jours. Ce qui manque dans notre Assemblée, ce sont de grands débats sur l’éducation, l’économie et d’autres thèmes fondamentaux. Il faudrait, de temps en temps, prendre un sujet et donner à tout le monde la chance de s’exprimer. Il faut que les débats soient nationaux et non partisans.

Un code de conduite pour les parlementaires. Qu’en-pensez-vous ?        
C’est une très bonne idée. Il faut essayer de prendre en exemple la France. Les politiciens ne sont pas above the law. Ce serait bien d’avoir un code de conduite.

Appartenez-vous toujours au PTr?
Je suis et je reste un travailliste. Je ne suis, certes, pas sur le terrain, mais je reste un travailliste. On verra. Pour le moment, comme le disait Mitterrand, il faut donner du temps au temps. Et le temps va dénouer beaucoup de nœuds. 

Trouvez-vous normal que Navin Ramgoolam reste aux commandes, malgré l’affaire des coffres-forts contenant Rs 220 millions ?
Navin Ramgoolam bénéficie toujours de la présomption d’innocence. Il faut laisser la justice suivre son cours. Il doit rester aux commandes du Parti Travailliste. Ce n’est pas le moment pour certains aspirants de diviser le parti. Au contraire, il faut préserver l’unité du parti et se rallier autour de son leader.

Avez-vous l’impression que Navin Ramgoolam est en train de plomber le PTr ?
Il faut jeter un coup d’œil ailleurs. Puis, je le redis, il n’y a pas eu de condamnation jusqu’ici. 

Êtes-vous de ceux qui pensent que Navin Ramgoolam aurait dû prendre sa retraite politique ?
Pourquoi doit-il prendre sa retraite ? Il n’y a pas de raison, surtout à ce stade. Le PTr est un parti démocratique. Chacun est libre d’exprimer son opinion. C’est toujours permis au PTr. Ce n’est pas un parti dit totalitaire, où on n’a pas droit à la parole. On exprime ses idées, mais on reste travailliste. Puis, jusqu’ici, il n’y a personne qui pourrait diriger le parti. Il y a, comme je dis, des aspirants, mais il n’y a personne qui pourrait rallier tous les membres autour de lui.

Comment résumez-vous les deux premiers mois de Pravind Jugnauth au poste de Premier ministre ?
Il est trop tôt pour passer un jugement. Il faut lui donner 100 jours. Après cela, nous pourrons faire part de nos observations.

 

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