
Les récentes élections municipales ont été marquée par un taux d’abstention important. Ce désintérêt soulève des questions sur le lien entre citoyenneté et participation électorale. Le sociologue Rajen Suntoo, chargé de cours à l’Université de Maurice, analyse ce phénomène.
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Le vote est-il encore un acte politique à Maurice ?
Oui, le vote reste un acte politique, même lorsqu’il mobilise peu. Ce n’est pas parce que les taux de participation sont faibles que le vote perd sa signification. Il demeure un moyen d’expression, une prise de position.
Le problème vient surtout du fait que de nombreux citoyens, notamment lors des élections locales, ont le sentiment que leur vote ne produit pas de changement réel.
Beaucoup de jeunes disent ne plus croire que leur vote puisse changer les choses. Ce scepticisme est-il une menace ou une opportunité pour renouveler la démocratie ?
C’est avant tout un signal. Les jeunes ne sont pas déconnectés ; ils sont lucides. Ils constatent que les structures actuelles ne répondent pas à leurs attentes. Leur distance n’est pas de l’indifférence, mais le résultat d’une observation critique.
Cela peut être une opportunité si l’on prend en compte leurs revendications, et si on leur donne des espaces pour s’exprimer.
Peut-on encore parler de « vote éclairé » quand le débat public reste dominé par des discours populistes ?
Il est difficile de parler de vote éclairé lorsque le débat public est réduit à des slogans ou à des stratégies populistes. Pour que le vote soit réellement éclairé, il faut que les citoyens aient accès à des informations fiables et puissent débattre des enjeux en toute transparence. Aujourd’hui, cette possibilité est souvent compromise.
Les jeunes s’engagent autrement (écologie, réseaux sociaux, art engagé). Ces formes d’expression sont-elles des extensions modernes de la citoyenneté politique ?
Oui, ces formes d’engagement sont bien des manifestations de la citoyenneté. Elles traduisent un intérêt pour la chose publique, mais à travers d’autres canaux. Les jeunes privilégient les causes qui résonnent avec leur quotidien : environnement, justice sociale, égalité. Le système électoral classique ne capte pas toujours ces priorités.
Ce n’est pas parce que les taux de participation sont faibles que le vote perd sa signification»
Aujourd’hui, que signifie être citoyen à Maurice ? Est-ce un rôle actif ou un simple statut administratif ?
La citoyenneté est souvent réduite à un statut. Mais, il faut dire que le citoyen mauricien est un vrai patriote malgré les circonstances actuelles. Être citoyen, ce n’est pas seulement avoir une carte d’identité, payer ses impôts, voter. La citoyenneté devrait être vécue comme un rôle actif, impliquant une participation régulière aux décisions publiques. Cette vision n’est pas encore assez partagée dans la société mauricienne.
On parle souvent d’un manque d’éducation civique à Maurice. Permet-elle vraiment de former des citoyens engagés ? Que faudrait-il changer pour la rendre plus vivante ?
Il ne suffit pas de parler de droits et devoirs dans les manuels. L’éducation civique doit être repensée pour être plus concrète, plus interactive, et ancrée dans les réalités du pays. Elle devrait commencer dès l’école primaire, et être adaptée à l’âge et au vécu des élèves. Sans cette base, on ne peut pas espérer un engagement citoyen fort.
À Maurice, le citoyen est-il perçu comme un acteur de la société… ou comme un demandeur face à un système clientéliste ?
Malheureusement, beaucoup se positionnent comme demandeurs, et le système clientéliste renforce cette posture. Cela affaiblit l’idée que chaque citoyen peut être un acteur du changement. Pour inverser cette tendance, il faut valoriser le mérite, la compétence, et donner plus de place à la participation directe.
Comment réconcilier le citoyen avec l’État dans un contexte où beaucoup se sentent oubliés ou traités de manière inéquitable ?
La réconciliation passe par la transparence et la consultation. Les nominations politiques, par exemple, doivent être fondées sur les compétences, pas sur les affiliations. Il faut restaurer la confiance, et cela implique d’écouter les citoyens et de répondre à leurs besoins avec cohérence.
Qu’est-ce qui pourrait, aujourd’hui, ranimer un vrai désir de citoyenneté active, et par extension, redonner sens au vote ?
Il faut commencer par créer des espaces d’expression, notamment pour les jeunes. Il faut aussi agir de manière cohérente : si l’on parle de mérite, il faut le valoriser ; si l’on parle de participation, il faut l’organiser.
La citoyenneté ne peut pas être imposée ; elle se construit dans l’écoute, la reconnaissance et l’inclusion. Ce n’est qu’à cette condition que le vote retrouvera son sens.

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