
Certains ne mangent pas à leur faim, d’autres jettent de la nourriture, consommée ou non. Que dit le gaspillage alimentaire sur notre manière de consommer à Maurice aujourd’hui ?
Le gaspillage alimentaire montre bien que notre manière de consommer a changé, à Maurice et ailleurs. On achète plus que nécessaire. Souvent, nous sommes attirés par des produits séduisants sur les rayons des supermarchés. Mais une bonne partie de ce que nous achetons n’est pas consommée à temps. Résultat : on jette les produits dont la date de péremption est dépassée, ceux qui se sont détériorés ou encore ceux que nous n’avons pas eu le temps de cuisiner avec nos vies trop chargées.
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Il y a aussi un autre phénomène : on veut voir son assiette bien remplie, mais on finit par jeter. C’est le reflet d’un mode de vie où l’abondance est devenue normale, alors qu’avant, chaque grain de riz avait sa valeur.
Ma maman racontait comment sa propre mère, qui travaillait pour le personnel de la Royal Navy à Vacoas, ramassait des grains de riz jetés pour les rapporter à la maison, afin que les enfants puissent au moins goûter un peu de riz pendant la Seconde Guerre mondiale. Peut-être avons-nous perdu la mémoire de ces temps difficiles traversés par nos aïeux pour construire ce pays. Tout est lié.
Dire à son enfant que d’autres personnes ne mangent pas à leur faim vous semble-t-il important ?
Cela sensibilise, certes, mais cela reste un peu abstrait pour lui. Ce qui marche mieux, c’est de l’impliquer, lui servir de petites portions, lui apprendre à finir son assiette. Ou encore cuisiner avec lui pour qu’il comprenne l’effort qu’il y a derrière un repas. Il est important de transmettre certaines valeurs en les engageant dans des tâches simples.
Les enfants n’aiment pas seulement « être sermonnés ». Vous seriez étonné de voir à quel point les petits aiment s’impliquer aux côtés de leurs parents. Les premières années sont idéales.
On peut aussi les impliquer dans le jardinage, les initier à planter et à prendre soin des plantes, pour qu’ils comprennent le travail qu’il faut avant qu’un aliment n’arrive dans l’assiette.
Maurice a connu la rareté et le rationnement : comment sommes-nous passés d’une culture de la préservation à une culture du gaspillage ?
Les temps ont changé. Avant, il fallait économiser, recycler, valoriser chaque reste. Aujourd’hui, avec les supermarchés, les promotions et cette impression que tout est disponible en permanence, on consomme différemment. Nous sommes entrés dans une logique de facilité.
À l’époque, on allait dans les boutiques avec nos bouteilles vides pour l’huile ou le pétrole destiné au four, et avec un sac en vacoas pour le riz. Ce sac, qui était alors ordinaire, est devenu aujourd’hui un objet de luxe que les riches achètent quand ils visitent Rodrigues.
La farine et le sucre étaient vendus dans de petits sachets en papier journal que le boutiquier fabriquait lui-même. Aujourd’hui, tout est emballé dans du plastique, avec la pollution que cela entraîne. Quand les sachets plastiques ont été interdits dans les supermarchés, beaucoup de gens ont ressenti de la gêne, mais souvenez-vous : avant, certains prenaient plusieurs sachets uniquement parce qu’ils étaient gratuits.
Nos traditions de partage et de générosité favorisent-elles, malgré elles, le gaspillage ?
Oui, nos traditions de partage favorisent parfois le gaspillage. Dans un mariage ou une grande fête, on préfère toujours avoir trop que pas assez. C’est un signe de générosité. Mais cela signifie aussi que beaucoup de plats finissent à la poubelle. Même quand on aimerait redistribuer, ce n’est pas toujours possible. Il faudrait mieux organiser la récupération des surplus pour réduire le gaspillage.
Si on réalisait combien d’argent, d’eau, d’énergie et de temps se cachent derrière chaque aliment jeté, on réfléchirait à deux fois»
Les transformations récentes ont-elles changé notre rapport aux aliments ?
Oui, énormément. Avec l’urbanisation, les fast-foods, la vie pressée… on cuisine moins, on mange sur le pouce, un petit en-cas vite fait, parfois même debout, et on fait moins attention aux restes. La nourriture est devenue quelque chose de rapide, parfois même jetable.
On voit des gens jeter leur café simplement parce qu’il a refroidi, alors qu’avant on l’aurait réchauffé. Idem pour les restes. Autrefois, même sans frigo, on ne jetait rien. Aujourd’hui, tout est facilité par les supermarchés, et on accepte de payer cher pour des plats « modernes » souvent moins bons pour la santé.
Résultat : l’obésité, qui touche plus d’un tiers de notre population, est directement liée à ces nouvelles habitudes.
Pourquoi avons-nous du mal à consommer les restes ?
Parce qu’on les juge moins appétissants. Les plus âgés, qui ont connu la rareté, savent les réinventer en de nouveaux plats. Il y avait même des recettes spécifiques pour les restes.
Mes parents planifiaient toujours la quantité à cuisiner, soit pour éviter les restes, soit pour s’assurer qu’ils soient consommés. On nous enseignait aussi le respect de la nourriture, à penser à ceux qui n’ont pas les moyens, garder une part pour les oiseaux, ou même offrir un peu de nourriture cuite au feu, en signe de reconnaissance pour cette force divine. Ces petits gestes se perdent aujourd’hui.
Nos comportements changeraient-ils si l’on voyait concrètement ce que cela coûte ?
Oui, sans aucun doute. Si on réalisait combien d’argent, d’eau, d’énergie et de temps se cachent derrière chaque aliment jeté, on réfléchirait à deux fois. Ce serait même un bon exercice familial, prendre un moment pour réfléchir ensemble à notre consommation, et voir comment réorienter nos ressources. Cela impliquerait aussi les enfants et leur apprendrait de bonnes habitudes dès le départ.
Le gaspillage traduit-il des inégalités sociales ?
Oui, le gaspillage reflète aussi les inégalités. Les familles modestes gaspillent moins, parce qu’elles planifient et valorisent chaque aliment. Les familles aisées gaspillent plus, parce qu’elles ont les moyens et ressentent moins la contrainte.
Mais au-delà des inégalités, il faudrait aussi redonner du sens aux gestes simples, comme dire le bénédicité avant un repas – non pas comme une formalité, mais comme un vrai rappel de gratitude et de partage avec ceux qui ont moins.

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