Législatives 2024

Quand l’abstention devient un message

Les élections législatives de 2010, 2014 et 2019 ont été marquées par une érosion progressive de la participation citoyenne. En effet, le taux d’abstention a fluctué entre 22,18 % et 25,89 %, atteignant un niveau sans précédent depuis 1967, avec le plus faible taux de participation enregistré en 2014 (voir tableau). Pour l’anthropologue Daniella Bastien, ce taux d’abstention est « inquiétant ».

Cette situation s’expliquerait par plusieurs raisons. Parmi celles-ci, le manque d’éducation politique et le fait que l’on oublie souvent que chaque citoyen dispose du vote comme outil d’expression dans une démocratie, souligne-t-elle. Elle observe également une érosion de la confiance dans les institutions censées garantir la transparence des élections. En outre, le vote ne répond plus à un impératif moral et social. « Face à un ras-le-bol généralisé, les citoyens se demandent si cela en vaut vraiment la peine », dit-elle. 

L’anthropologue va plus loin et se demande même si cela ne serait pas une forme d’expression politique. « Dans les théories de la communication, on apprend que ne pas communiquer est toujours une forme de communication, c’est-à-dire qu’on exprime son refus de communiquer. De la même manière, l’abstention choisie et réfléchie pourrait être une forme de vote silencieux, affirmant un manque de confiance envers ceux qui nous gouverneront », explique Daniella Bastien. 

En Europe, indique l’anthropologue, la question de l’abstention est prise au sérieux par les responsables politiques, qui multiplient les campagnes de sensibilisation, notamment auprès des jeunes votant pour la première fois. Cependant, dans une société valorisant l’individualisme, l’abstention n’est-elle pas le choix ultime, s’interroge-t-elle. Pour Daniella Bastien, il incombe aux institutions et aux partis politiques de donner du sens à l’action politique, de redonner goût à l’avenir à ceux qui l’ont perdu, ou ne connaissent pas encore sa saveur.

L’abstention choisie et réfléchie pourrait être une forme de vote silencieux, affirmant un manque de confiance envers ceux qui nous gouverneront»

À la veille des élections, certains électeurs étaient encore indécis et disaient : « Nou kone pou ki nou pa pou vote, me nou pa kone pou ki pou vote. » Cela peut refléter la difficulté de choisir parmi les candidats proposés, un sentiment de lassitude, une déception envers ceux pour qui ils ont voté par le passé, ou encore un ras-le-bol de la politique telle qu’elle est pratiquée. Daniella Bastien reconnaît que choisir des candidats devient de plus en plus difficile d’un camp à l’autre. Selon elle, c’est là que le bilan d’un gouvernement ou les programmes électoraux des partis en lice prennent toute leur importance.

Éducation politique

« Combien de personnes prennent le temps de lire ces programmes ? » se demande-t-elle. Ceux qui le font recherchent probablement des mesures populaires, dit-elle. « Qu’en est-il de la philosophie qui sous-tend un programme électoral ? » poursuit l’anthropologue. De la même manière qu’un curriculum scolaire reflète la manière dont un pays entend former ses citoyens, la philosophie d’un programme électoral indique la direction que compte emprunter un parti politique, soutient-elle. « Je suis convaincue que l’éducation politique devrait faire partie de nos programmes scolaires, car cela aiderait nos jeunes non seulement à connaître l’histoire politique du pays, mais aussi à développer une réflexion critique et responsable sur leur place et leur pouvoir dans la société », souligne Daniella Bastien.

Elle ajoute que l’abstention pourrait également traduire une méfiance envers les politiciens en raison des récents scandales, du manque de renouvellement, des promesses électorales non tenues, etc. « Nous assistons à tellement de situations qui dépassent l’entendement en cette période électorale. De faux sondages, des ‘fake news’, les cotes des ‘bookmakers’... On nage dans un univers kafkaïen », lance-t-elle. 

Un taux de participation inférieur à 75 % signale un désintérêt pour les affaires politiques et, par ricochet, un ‘loose attachment’ au destin politique du pays»

Pour Daniella Bastien, il est impératif que nous ayons collectivement un sursaut moral. « J’imagine difficilement un Mauricien qui ne suit pas du tout la politique. Si les politiciens sont des exemples de droiture et de sincérité, les citoyens n’auraient plus cette méfiance envers la classe politique », insiste-t-elle. L’anthropologue reconnaît cependant que cela peut sembler utopique, mais elle précise qu’elle fait partie de ceux qui sont des optimistes invétérés, convaincus que ce que nous avons de plus précieux, ce sont nos citoyens.

Impact multidimensionnel 

Avec près de 130 000 électeurs de 18 à 25 ans votant pour la première fois ce 10 novembre, Daniella Bastien estime que ces jeunes pourraient faire basculer les résultats dans n’importe quelle circonscription. Elle pense qu’avec le taux de chômage dans cette tranche d’âge, les défis socioéconomiques devraient les encourager à aller voter. L’anthropologue les invite donc à consulter les programmes électoraux, à les évaluer et à choisir un programme qui répond à leurs aspirations.

Avec un taux de participation de 77,01 % aux dernières législatives, Daniella Bastien estime que l’impact d’un fort taux d’abstention serait multidimensionnel. « Un taux de participation inférieur à 75 % signale un désintérêt pour les affaires politiques et, par ricochet, un ‘loose attachment’ au destin politique du pays. » Voter fait partie de l’arsenal démocratique et moins les gens ressentent le besoin de voter, moins ils ressentent le besoin de s’engager à comprendre et à participer aux actions politiques, fait-elle comprendre. « Cette ‘panne’ de civisme est symptomatique de notre époque et y remédier nécessite une refonte de nos systèmes de pensée, à l’échelle de la planète. »

Taux de participation aux législatives et les élections de l'Assemblée nationale

Année No. d'électeurs No. de votants Taux de partipation (%) Abstention (%)
1967 314 004 278 562 88,71 11,29
1976 462 149 415 949 90,00 10,00
1982 552 204 490 579 88,84 11,16
1983 551 708 470 008 85,19 14,81
1987 639 434 567 481 88,74 11,26
1991 680 836 581 470 85,41 14,59
1995 715 179 567 837 79,40 20,60
2000 779 431 630 292 80,87 19,13
2005 817 305 666 298 81,52 18,48
2010 879 897 684 769 77,82 22,18
2014 936 975 694 360 74,11 25,89
2019 941 719 725 236 77,01 22,99
Source: Office of Electoral Commissioner  

 

Les évêques appellent à une participation éclairée pour l’avenir de la nation

« Dans une démocratie, le vote est le moyen par lequel chacun peut participer à l’exercice du pouvoir », rappellent Mgrs Jean Michaël Durhône du diocèse de Port-Louis, Michel Moura du vicariat apostolique de Rodrigues et Sténio André du diocèse anglican de Maurice.

Selon les trois évêques, un vote ne doit pas être simplement dicté par l’habitude, l’appartenance à une classe sociale ou la poursuite d’intérêts particuliers. Il doit tenir compte des défis actuels et viser ce qui rendra le pays plus agréable à vivre et plus humain pour tous. « Dans une démocratie, le vote est le moyen par lequel chacun peut participer à l’exercice du pouvoir », rappellent-ils dans une lettre écrite en marge des législatives.

Mgr Durhône estime que la responsabilité politique va au-delà de l’acte de voter. Selon lui, responsabilité politique et foi ne s’opposent pas. « Il n’y a pas de séparation entre prier et voter, entre aller à la messe, à la mosquée, au temple, au kovil, à la pagode et s’intéresser à la politique », souligne-t-il. 

L’évêque de Port-Louis invite chacun à rester vigilant et impliqué. S’adressant aux jeunes, il leur rappelle, en tant que citoyens consciencieux et responsables, qu’ils ont le devoir de bien choisir leurs représentants et gestionnaires de leur avenir. « Par ton vote, tu écris l’histoire et génères progrès, emploi, sécurité, honnêteté, justice », dit Mgr Durhône.

Les trois évêques leur adressent aussi un appel : « Vous avez le droit et le devoir de bien choisir les représentants et gestionnaires de votre avenir. Que votre vote soit fondamentalement aligné avec vos valeurs et vos rêves, tout en respectant ceux qui pensent différemment de vous. »

Democracy Watch appelle les citoyens à préserver leur droit 

Chacun doit pleinement faire valoir ce droit en se rendant aux urnes ce dimanche 10 novembre. « C’est votre devoir de citoyen », souligne Democracy Watch. Dans des termes très clairs, Democracy Watch rappelle que voter est non seulement un droit, mais aussi un devoir et une nécessité. « Participer au scrutin du 10 novembre 2024 permettra à chacun de nous d’exprimer sa gratitude envers ceux et celles qui se sont battus pour nous donner ce droit. »

Selon l’observatoire, ce droit n’est pas acquis partout dans le monde. « Ils sont encore moins nombreux, ceux qui, comme nous, ont majoritairement la chance de faire confiance au bon fonctionnement d’un système électoral, même s’il reste des améliorations à apporter pour le rendre plus équitable et crédible », affirme-t-il. 

Pour Democracy Watch, chaque électeur doit réfléchir à la portée de son vote, ses répercussions positives ou négatives pour notre pays et ses citoyens, ainsi que pour les générations futures. « Chaque votant doit savoir qui il est, quelle est sa place dans la société et quel rôle il souhaite y jouer », souligne Democracy Watch.

« Votons, non pour des hommes et des femmes faillibles, mais pour des valeurs immortelles et épanouissantes ; pour celles et ceux qui peuvent le mieux les promouvoir, pour l’avènement d’un monde meilleur et plus fraternel », plaide Democracy Watch. 

Lors du dépouillement des voix, le lundi 11 novembre, Democracy Watch souhaite que chaque électeur puisse être fier d’avoir rempli son devoir civique avec la responsabilité qu’impose un acte aussi noble et gratifiant.

Infos pratiques

Afin de guider les électeurs, voici quelques informations pratiques pour les aider :

  • Les centres de vote sont ouverts de 7 h à 18 h.
  • Un électeur doit voter uniquement pour trois (3) candidats.
  • Il doit mettre une croix (X) à côté du nom du candidat pour lequel il souhaite voter.
  • Un électeur peut apporter son propre stylo pour voter.
  • Chaque électeur doit présenter sa carte d’identité nationale ou un passeport valide.
  • Des salles (Special Needs Voting Room) ont été aménagées au rez-de-chaussée pour les personnes en situation de handicap, les femmes enceintes et les personnes âgées.
  • Seules les personnes dont le nom figure sur la liste électorale pourront voter.
  • Tout employeur doit accorder à un employé la possibilité de s’absenter de son lieu de travail pendant trois heures afin de pouvoir voter.

Pour vérifier où aller voter et dans quelle salle, les électeurs peuvent :

  • Visiter le site https://electoral.govmu.org/
  • Ou taper Elec <espace> <NID> et envoyer le message au 789. Ce service est disponible pour les abonnés de MyT, Emtel et MTML.

À noter qu’en vertu des règlements 30 (6) et 30 (7) du National Assembly Elections Regulations 2014, il est interdit de prendre des photos à travers :

  • Un appareil photo,
  • Un téléphone portable,
  • Ou tout autre appareil électronique.

Les personnes non autorisées ne devraient pas être en possession d’un bulletin de vote en dehors de la salle de vote ou de décompte des voix. 

 

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