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Proches des toxicomanes : ces victimes collatérales oubliées…

Le Dr Siddick Maudarbocus, addictologue et directeur de la Clinique Les Mariannes Wellness.

La drogue synthétique continue de faire des ravages à Maurice. Le drame survenu à La Caverne, où Marie Christine Louise Foolchand, 51 ans, a perdu la vie après avoir été agressée par son fils Hansley, en est une illustration tragique. Au-delà du fléau de la dépendance, cette affaire soulève des questions pressantes sur la manière dont notre société accompagne — ou délaisse — les proches des toxicomanes, souvent confrontés seuls à des situations extrêmes.

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Le mardi 18 mars 2025, Hansley Foolchand, 20 ans, a violemment agressé sa mère sous l’emprise de son addiction à la drogue. Selon les témoignages, il lui a réclamé de l’argent pour s’en procurer, la menaçant lorsqu’elle refusait. Après plusieurs jours d’hospitalisation, Marie Christine Louise Foolchand a succombé à ses blessures le 10 mai.

Cette tragédie, loin d’être un cas isolé, met en lumière la détresse psychologique, émotionnelle et physique vécue par les familles de toxicomanes. Trop souvent, ces victimes collatérales sont livrées à elles-mêmes, sans soutien structuré ni accompagnement pour affronter ces situations dramatiques. Ce drame soulève aussi de sérieuses interrogations sur la prise en charge des proches de personnes toxicomanes, souvent laissés-pour-compte dans la lutte contre ce fléau.

Les travailleurs sociaux, en première ligne face à ces situations, plaident pour des mesures concrètes afin de mieux gérer les crises liées à la toxicomanie. Ils réclament notamment la mise en place d’un comité de crise capable d’intervenir rapidement, d’écouter les préoccupations des ONG et des familles, et de leur offrir un accompagnement adapté — en attendant que la National Agency for Drug Control (NADC) soit pleinement opérationnelle.

Danny Philippe, représentant de l’ONG Développement-Rassemblement-Information-Prevention (DRIP), souligne le rôle crucial joué par Lakaz A, qui accompagne les familles confrontées à la détresse liée à la toxicomanie.

Cependant, il estime que cet encadrement, aussi précieux soit-il, demeure insuffisant face à l’ampleur du phénomène. « Il faut renforcer cet accompagnement, mais cela doit s’accompagner de moyens financiers accrus », affirme-t-il. Pour Danny Philippe, seule une coordination nationale permettra de faire face à un problème qui dépasse largement les capacités des ONG agissant seules.

« La violence a toujours existé, disons, depuis 25 ans, mais elle s’est amplifiée », souligne Danny Philippe. Il reconnaît la montée en intensité des actes violents et précise : « Nous n’excusons pas la violence. Le combat contre la toxicomanie et ses ravages ne doit pas occulter la responsabilité individuelle. Mais pour avancer, il faut impérativement renforcer le soutien institutionnel. »

De son côté, le Dr Siddick Maudarbacus, addictologue et directeur du Centre Les Mariannes, alerte sur l’impact dévastateur de la toxicomanie sur l’entourage des personnes dépendantes. Il rappelle que « la toxicomanie affecte l’ensemble de l’entourage » et que, par conséquent, « la famille doit bénéficier de sessions d’interaction et de soutien psychologique » pour faire face à cette réalité complexe. « Comment doivent-ils réagir selon les situations ? Il est essentiel qu’ils ne deviennent pas, à leur tour, des victimes de la personne dépendante », prévient-il. L’addictologue souligne l’importance pour les proches de savoir poser des limites et de ne pas se laisser submerger par les comportements destructeurs liés à la dépendance.

Quid du rôle des autorités ? « Malheureusement, à Maurice, nous ne disposons ni des structures adéquates ni des professionnels nécessaires pour accompagner les familles. Le monde a évolué si rapidement que les garde-fous institutionnels ont disparu », déplore-t-il.

Écoute et analyse des troubles

La psychologue Zakkiyah Wareshallee insiste, elle aussi, sur l’importance d’un accompagnement psychologique pour les proches de personnes dépendantes, souvent profondément marqués par cette réalité. Pour elle, la première étape de la prise en charge consiste à offrir un espace où ces proches peuvent « se vider ». « C’est tout à fait normal de pleurer », affirme-t-elle.

Dans les situations de stress post-traumatique – un trouble fréquent chez les familles de toxicomanes – l’écoute active est primordiale. « Il faut d’abord entendre leur souffrance et analyser leurs troubles », explique la psychologue. Elle recommande des approches comme l’art-thérapie, qui peut inclure des exercices d’expression écrite ou encore la « technique de la chaise vide », où la personne s’adresse symboliquement à un proche, représenté par une chaise. « Mais avant tout, il est essentiel d’être dans l’écoute », conclut Zakkiyah Wareshallee.

Par ailleurs, il revient que de nombreux parents ont exprimé leur détresse lors de l’admission de leurs enfants dans un centre de désintoxication et de réhabilitation. « Il faut les aider à garder le moral. Beaucoup de parents se disent épuisés, découragés face à cette épreuve. Ce qui les éprouve le plus, c’est de voir leurs enfants rechuter, impuissants », confie une source proche du dossier. Certains proches finissent par douter de l’efficacité du processus de désintoxication et de réhabilitation, laissant transparaître une perte de confiance : « On ne sait plus si ça servira à quelque chose… »

Parween a entamé des démarches pour que son fils Reza puisse bénéficier d’un programme de désintoxication et de réhabilitation. En vain : le jeune homme, aujourd’hui âgé de 23 ans, n’a pas rempli les critères de sélection. Reza consomme de la drogue depuis l’âge de 14 ans, débutant avec le « brown sugar ». Selon sa mère, c’est à Karo Kalyptis, à Roche-Bois, qu’il s’approvisionne. Le plus douloureux pour Parween reste de constater que son fils a dilapidé l’argent de son mariage dans la drogue, soit environ Rs 100 000. « Inn aste ladrog ar tou kas-la ! Enn sou pa reste. Tou seki Reza dimande nou donn li… » confie-t-elle.

Le ministère de la Sécurité sociale sollicité

Le ministère de la Sécurité sociale a été sollicité pour une déclaration sur la situation des familles confrontées à la dépendance. « On reviendra vers vous sous peu », nous a-t-on promis.

Sam Lauthan, president de la National Agency for Drug Control : «C’est inimaginable que tant de personnes souffrent dans l’ombre»

Sam Lauthan, président de la National Agency for Drug Control (NADC), plaide en faveur d’une refonte urgente de l’accompagnement destiné aux familles touchées par la dépendance. « Les experts disent qu’il est temps de réinventer la famille », affirme-t-il. Selon lui, de nombreuses familles se retrouvent déboussolées face à la toxicomanie d’un proche. « Elles ne savent plus à quelle porte frapper », regrette-t-il, soulignant l’isolement croissant dans lequel ces familles sombrent.

Dans le cadre de son plan d’action, Sam Lauthan préconise la mise en place de deux hotlines : l’une dédiée aux dénonciations anonymes en lien avec la drogue, et l’autre spécifiquement destinée aux appels de détresse des proches de toxicomanes. « Ces services permettront d’offrir une aide rapide et confidentielle. Une équipe spécialement formée sera déployée dans différentes régions du pays afin d’assurer un accompagnement de proximité », annonce-t-il au Défi Quotidien.

Cette équipe, qui sera opérationnelle à partir du 15 du mois, aura également pour mission de présenter le plan d’action lors d’une réunion avec le conseil de la NADC. Face à cette détresse, Sam Lauthan estime qu’il est impératif de briser le silence. « C’est inimaginable que tant de personnes souffrent dans l’ombre », dit-il. Et d’ajouter que cette hotline se veut être « une lueur d’espoir » pour toutes les familles en quête d’écoute et de soutien.

 

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