Actualités

Prevention of Terrorism Act : Les libertés civiles face à la sécurité de l’État

Ajay Daby et Rishi Pursem

Les débats autour des amendements à la Prevention of Terrorism Act (PoTA) ont été lancés au Parlement mardi. Du côté de l’opposition, les critiques sont virulentes.

Publicité

Entre la nécessité de durcir le texte existant qui n’a que très rarement servi et des pouvoirs jugés exagérés accordés à la police, la majorité parlementaire assure que la menace terroriste a changé de visage et de méthodologie et qu’il faut donc adapter nos lois.

Ajay Daby, avocat : « C’est permis de déroger à la règle générale dans un pays démocratique »

Que pensez-vous des amendements proposés à la PoTA ?
On va créer deux institutions et prévoir des pouvoirs d’enquête à des cas spécifiques liés aux comportements douteux des personnes. Le projet prévoit la création d’une Counter Terrorism Unit et d’une institution à l’intérieur de laquelle elle fonctionnera. La force policière et le ministère de l’Intérieur travailleront de concert. Cela existe dans d’autres pays. Sinon, au niveau du concept, c’est toujours basé sur la protection de l’État.

Ne craignez-vous pas que la police abuse de ses pouvoirs ?
Depuis quelque temps déjà, elle est confrontée à de nouveaux défis. On a, par exemple, le problème de la criminalité en mer et on a dû créer des cours spéciaux. Mais le monde change et il faut changer avec. La police doit s’y préparer. De notre côté, nous devons nous poser la question de savoir si la police est équipée pour faire face à ces défis. Il y va de la sécurité des institutions démocratiques. Oui, il faut remettre en question la capacité de la police à gérer ce pouvoir. Il faut revoir la formation. La Police Training School n’a pas donné l’impression, jusqu’ici, d’être préparée à ce genre de choses. Donner le pouvoir en soi n’est pas un problème du tout. C’est nécessaire.

Certains éléments du texte de loi, comme la définition de « items of clothing » ne sont-ils pas trop flous ?
Cette loi ne fait que répéter ce qui existe déjà. Un policier peut arrêter quelqu’un s’il considère qu’il commet un délit basé sur des reasonable suspicions. Autrefois, le fait de marcher dans les rues avec un pied de biche pouvait vous valoir une arrestation pour tentative de hold-up dans une banque. Maintenant, c’est le port d’un casque intégral en pleine rue qui peut justifier cela.

Mais bien sûr, il ne s’agit pas de tourner cela vers le ridicule. On ne peut arrêter quelqu’un avec un imperméable et laisser passer celui avec le nœud papillon, alors que c’est ce dernier qui est le terroriste. Il y va de la formation de nos policiers dans le domaine du profiling. Cette mesure s’assure que la police peut arrêter n’importe quel terroriste, mais c’est aussi vrai qu’elle peut arrêter quelqu’un qui ne l’est pas.

La lutte contre le terrorisme justifie-t-elle la suspension des droits fondamentaux ?
Maurice n’est pas le premier pays à s’attaquer au transnational organised crime. En Angleterre, il y a déjà eu ce débat. Les plus hautes Cours ont trouvé que le droit local doit faire place au droit international. Il est permis dans un pays démocratique de déroger à la règle générale. Le concept de l’État passe avant tout. Cela fait souvent polémique, mais l’État est disposé à la subir pour éviter un meurtre de masse. Il y a un prix à payer.

Rishi Pursem, Senior Counsel : « On ne peut plus faire confiance à la police »

Votre opinion sur les amendements proposés à la PoTA ?
Ce qu’on essaie de faire, c’est, en fin de compte peut-être, de donner plus de pouvoirs à la police. Cela nous ramène à la question des pouvoirs de la police, notamment celui de loger les charges provisoires. Cela a toujours existé.

Mais auparavant, la police prenait beaucoup plus de soin avant de loger une charge provisoire. Le problème, c’est que depuis ces dix dernières années, on ne peut plus faire confiance à la police. Il y a eu des abus de la discrétion qui lui est accordée. Tout pouvoir additionnel qu’on lui accorde doit être examinée sous la lumière de ces abus. Malheureusement, lui donner trop de pouvoirs, ce serait inviter les abus.

Les critiques des amendements soulignent les imprécisions, notamment sur les termes comme « items of clothing ». Est-ce un problème ?
Dans la mesure où certaines sections ne sont pas bien définies, ça l’est. Cela laisse trop de doute. Et je vous ramène sur la police qui peut se permettre d’abuser de ce pouvoir d’interprétation. Il faut des définitions claires et nettes.

La PoTA n’a que rarement servi depuis son existence. Est-ce une loi nécessaire à Maurice ?
Avoir une loi est une chose. Comment s’en servir en est une autre. Je ne dirais pas qu’il ne faut pas une telle loi. Le problème demeure le pouvoir trop accru ou mal défini. Sinon, je suis pour les changements dans le bon sens.

La lutte contre le terrorisme justifie-t-elle des dérogations aux droits fondamentaux des citoyens ?
La Constitution prévoit déjà des situations où on peut y déroger. Je n’ai pas de problème fondamental avec le concept, du moment qu’il y a les garde-fous nécessaires.

Vous voulez dire le judiciaire ?
Exactement. Je me répète : le texte de loi doit être clair sur les pouvoirs de chacun et sur les offenses. Quand on fait des dérogations concernant certaines libertés fondamentales, il faut absolument un safeguard.

Le recours à un juge en chambre, plutôt qu’une « open court », pour émettre un « control order » qui peut restreindre le mouvement d’un individu est-il justifié ?

Dans la mesure où on prévoit qu’un juge en chambre exercera le pouvoir, cela ne me pose pas de gros soucis. La grande différence, c’est que devant un juge en chambre, ce sera fait à travers un affidavit.

C’est le juge qui devra être satisfait que les circonstances soient réunies. Une open court, c’est lourd comme procédure. Dans les circonstances, un juge en chambre convient parfaitement.

 

Débats animés autour du rôle de la police

Shakeel Mohamed, du Parti travailliste
Le chef de file du Parti travailliste au Parlement s’est montré virulent dans ses critiques concernant les amendements à la PoTA. Le principal problème est l’excès de pouvoir placé entre leurs mains. Vu les abus des charges provisoires, ce serait mal avisé, selon Shakeel Mohamed. « Est-ce que la force policière comprend ce qu’est un ‘reasonable suspicion’ ? » s’est-il demandé. Le commissaire de police, surtout, a fait l’objet de vives critiques.

Sir Anerood Jugnauth, Premier ministre
Pour sir Anerood Jugnauth, la menace terroriste est toujours réelle et justifie les amendements à la PoTA. L’objectif du Constitutional (Amendment) Bill, dit-il, est de restreindre les mouvements à l’intérieur du pays et d’interdire à un individu de quitter le pays s’il est accusé d’activités terroristes. « Le nouveau texte renforcera la législation existante, avec des provisions pour des arrestations sans mandat. Il faut agir avant qu’il ne soit trop tard », a-t-il indiqué.

Paul Bérenger, leader de l’opposition
Le leader des mauves a souligné qu’il ne fallait pas proposer ces amendements. «La Prevention of Terrorism Act 2002 est suffisamment sévère pour combattre le terrorisme», estime-t-il. « La loi de 2002 autorise à la police d’arrêter un individu même sans mandat. Il ne faut pas présenter ces amendements. C’est notre position sur ce projet de loi », a-t-il dit.

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !