
Le ministère de l’Agro-industrie pointe de graves irrégularités dans la gestion du domaine sucrier national. Une déclaration du ministre Arvin Boolell est attendue au Parlement mardi.
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Le gouvernement veut faire toute la lumière sur une la gestion de la Rose-Belle Sugar Estate. Le ministère de l’Agro-industrie et de la Sécurité alimentaire mène actuellement une enquête approfondie sur la gestion de la Rose-Belle Sugar Estate, le seul domaine sucrier appartenant à l’État. Les premiers éléments obtenus par le ministère ont révélé de sérieux manquements, des décisions financières controversées, ainsi que de possibles cas de corruption et de mauvaise gestion.
Créée en 1855 par G. Rochery, la Rose-Belle Sugar Estate a été rachetée par l’État en juillet 1973 pour la somme de Rs 18 millions, alors que l’entreprise était au bord de la faillite. À son apogée, elle exploitait environ 6 600 arpents de terres agricoles et jouait un rôle crucial dans l’économie locale, en particulier dans les districts de Grand-Port et de Savanne. Elle est devenue une entité publique gérée par le Rose Belle Sugar Estate Board (RBSEB), constitué par une loi votée au Parlement.
Mais au fil des décennies, la situation de l’entreprise s’est dégradée. Selon des éléments de l’enquête en cours, l’étendue du domaine a fondu à moins de 1 000 arpents, conséquence d’une série de ventes de terres parfois réalisées à des prix inférieurs à ceux du marché. Des sources proches du dossier évoquent également des baux commerciaux accordés à des tarifs préférentiels, des impayés persistants de la part de certains locataires, notamment au niveau du centre commercial de Rose-Belle, ainsi que des joint-ventures qualifiées de « très douteuses ».
Les audits en cours ont également mis en évidence l’absence d’audits comptables réguliers durant des années, une accumulation de dettes, des recrutements jugés arbitraires, ainsi que des augmentations salariales sans justification économique apparente. « Il n’y a eu aucun respect des normes comptables internationales », souffle-t-on au ministère.
Le ministre de l’Agro-industrie, Arvin Boolell, devrait, pour sa part, faire une déclaration formelle à ce sujet à l’Assemblée nationale mardi. Selon nos informations, le gouvernement envisage de rétablir un Conseil d’administration opérationnel au sein du RBSEB, mais souhaite au préalable « clarifier les responsabilités » et comprendre les causes profondes du déclin du domaine.
« Il faut situer les responsabilités, établir les manquements, et mettre en place une politique de redressement », a indiqué une source gouvernementale. La situation préoccupante du domaine n’est pas nouvelle, mais semble avoir atteint un point critique ces dernières années, à la suite de décisions jugées incohérentes et d’une gouvernance déficiente. La Financial Crimes Commission pourrait également être sollicitée pour mener des investigations complémentaires.
Alors que généralement, les compagnies sucrières privées ont pu se restructurer au cours des dernières décennies, et diversifier leurs activités, Rose-Belle demeurait une exception.
Pour l’heure, le ministère poursuit son audit. La déclaration de mardi pourrait ouvrir la voie à des réformes structurelles majeures, voire à des poursuites judiciaires si les éléments recueillis le justifient.
Lacunes
En août 2023, l’Office of Public Sector Governance (OPSG) avait remis un rapport détaillé au ministère de l’Agro-industrie, mettant en lumière de graves lacunes dans la gestion du RBSEB. Malgré ses 144 pages de constats, de critiques et de recommandations urgentes, ce rapport avait été ignoré, tandis que le RBSEB poursuivait sa dérive financière et managériale.
L’organisme détient pourtant un portefeuille d’actifs évalué à plus de Rs 3 milliards, mais souffre d’une gouvernance défaillante, d’un manque criant de compétences professionnelles et de dérives administratives. L’OPSG soulignait que seulement trois cadres qualifiés sont en poste pour gérer une entité de cette taille. Le rapport fait état de pertes de Rs 21 millions en 2017 et de Rs 89 millions en 2018. Bien qu’un redressement financier apparent ait eu lieu en 2019 et 2020, avec des bénéfices de Rs 117 millions et Rs 142 millions, cette amélioration repose essentiellement sur la vente d’actifs, non sur une véritable performance opérationnelle.
Le RBSEB fait, selon le rapport de l’OPSG, aussi face à une situation de trésorerie critique. Le ratio de liquidité est défavorable entre 2016 et 2018, les passifs courants dépassant les actifs disponibles. À fin 2022, le découvert bancaire atteignait Rs 1,2 milliard, tandis que Rs 98,8 millions de prêts anciens auprès du ministère des Finances restaient impayées.
Parmi les dérives notées : des dettes irrécouvrables de Rs 14,6 millions ont été effacées sans évaluation indépendante ; Rs 77 millions, initialement allouées à un plan de départ volontaire, ont été utilisées pour financer les opérations courantes et des allocations mensuelles ont été versées à des agents non qualifiés. Des projets tels que Le Moulin ont conduit à des pertes substantielles : le RBSEB a contribué des terrains valant Rs 90 millions mais ne détient que 17 % des actions, sans certificat à ce jour. Un Business Park de Rs 161 millions a été lancé sans étude de faisabilité. De plus, une joint-venture avec Corexsolar, conclue sans appel d’offres, attribue 80 % des bénéfices au partenaire privé, en contradiction avec les principes de transparence.
Le RBSEB peine aussi à gérer ses créances. Le montant des loyers impayés atteignait Rs 53,87 millions fin mars 2023. Des dettes datant de plus de 25 ans n’ont jamais été recouvrées. La section « Land and Lease » souffre d’une organisation floue et est dirigée par des employés sans qualifications en aménagement du territoire. Même la base de données des terrains à louer est incomplète. Face à cette accumulation de failles, le rapport recommandait des réformes urgentes et une refonte en profondeur de la gestion de la Rose-Belle Sugar Estate.

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