Les critiques ne manquent pas sur la mesure visant à accorder la citoyenneté et le passeport mauriciens aux étrangers moyennant une certaine somme d’argent. Que comporte ce scheme ? Combien d’étrangers sont ciblés ? Pourquoi cette décision budgétaire déplaît autant ? Explications !
Publicité
En quoi consiste la mesure : Il s’agit de deux schemes qui seront gérés par l’Economic Development Board. Le premier permettra aux high net worth individuals d’obtenir la nationalité mauricienne s’ils font une contribution non remboursable de USD 1 M (environ Rs 35 M) au Mauritius Sovereign Fund. Leur épouse ainsi que leurs dépendants auront aussi droit à la citoyenneté s’ils font une contribution additionnelle de USD 100 000 dollars (environ Rs 3,5 M) chacun. Le deuxième scheme permet aux étrangers d’obtenir le passeport mauricien s’ils contribuent USD 500 000 (environ Rs 17,5 M) au Mauritius Sovereign Fund. La contribution additionnelle est de USD 50 000 (environ Rs 1,75 M) pour chaque autre membre de la famille.
Nombre d’étrangers visés : « 100 étrangers sont visés dans un premier temps et un millier à terme. Nous ne comptons pas dépasser ce nombre », indique Ken Arian, le Senior Adviser du PM.
Profil des étrangers ciblés : « Nous voulons attirer des ‘ultra high net worth individuals’, soit des influenceurs. Ce n’est pas une question d’argent, mais une question de valeur ajoutée », précise Ken Arian. Le gouvernement, indique-t-il, vise des étrangers aux profils tels que Richard Branson, le fondateur de Virgin Group, à titre d’exemple. « Nous visons des gens qui vont apporter de la valeur et qui sont connus pour leur sens novateur et leur cercle d’influence ».
Combien d’argent cette mesure rapportera-t-elle au pays : « Le calcul est simple. Comme nous visons 100 étrangers dans un premier temps, nous pensons obtenir USD 100 M », avance Ken Arian. Cet argent, notons-le, sera versé dans le Mauritius Sovereign Fund.
À quoi servira le Mauritius Sovereign Fund : « Ce sera un fonds d’actifs pour les générations à venir. Il permettra de veiller à ce que le pays ne s’endette pas à un point critique. En d’autres mots, il servira à baisser l’endettement, mais également à développer les infrastructures », indique Ken Arian. D’ailleurs, ajoute-t-il, le Mauritius Sovereign Fund sera séparé du Budget du gouvernement et « sera géré de manière à laisser un legacy pour les générations futures ».
Quel est l’objectif du gouvernement en introduisant ces schemes : « L’objectif principal est de créer une dynamique d’investissement et de développement dans le pays. Ce scheme va positionner Maurice comme un endroit de choix pour les influenceurs. Ce sera notamment un game changer », explique notre interlocuteur.
Pourquoi cette mesure fait-elle polémique : Certains politiciens y compris plusieurs économistes et opérateurs économiques s’élèvent contre cette mesure. Pour eux, le gouvernement est en train de vendre ni plus ni moins la citoyenneté et le passeport mauricien. Certains craignent aussi que ces étrangers achètent nos terres et font flamber les prix sur le marché foncier. D’autres pensent que cette décision peut avoir un effet néfaste sur la réputation de Maurice dans la mesure où ce sont les petites économies qui ont recours à ce moyen pour attirer des investisseurs.
Qu’en est-il des modalités pour bénéficier de cette mesure : « Une équipe travaille sur les modalités. Des paramètres sont pris en compte pour permettre qu’il y ait de la valeur ajoutée. Tout est fait de façon professionnelle et scientifique. Ces modalités seront dévoilées en temps et lieu et en toute transparence », indique notre interlocuteur. Et Ken Arian d’ajouter : « C’est de la démagogie de venir dire que ces étrangers vont acheter les terrains des Mauriciens. Il y a déjà des plans fonciers tels que l’Integrated Resorts Scheme (IRS), le Real Estate Scheme (RES) ou encore le Property Development Scheme (PDS) pour les gens fortunés. »
Quelle est la différence ?
Le gouvernement permet désormais d’acheter le passeport mauricien et la nationalité mauricienne. Si le premier sera vendu à USD 500 000, le second le sera à USD 1 million. Mais pourquoi cette différence de prix, et quel avantage de l’un par rapport à l’autre ?
Celui qui achète la nationalité sera un Mauricien à part entière. Outre la possibilité de voyager sous nationalité mauricienne, il pourra aussi voter, se présenter à des élection et acheter des propriétés sans avoir besoin de l’autorisation du Bureau du Premier ministre.
Par contre, l’acquéreur du passeport ne pourra accéder à ces privilèges. Il pourra voyager avec. Et ce n’est pas rien. Ce document facilité l’accès sans visa à de nombreux pays.
Le Passport Index 2017 le place d’ailleurs au 30e rang en matière d’accès libre dans les pays du monde et second en Afrique derrière les Seychelles. Les détenteurs du passeport mauricien peuvent entrer librement dans 121 pays à travers le monde. Les titulaires de passeport mauricien peuvent entrer librement et y séjourner entre deux semaines et neuf mois sans visa dans 67 pays.
Vijay Makhan, ancien secrétaire aux Affaires étrangères, a bien des appréhensions par rapport à cette décision. « L’argent reçu par la vente du passeport et de la nationalité ira dans le fonds souverain. Mais qui va le gérer ? Sommes-nous suffisamment équipés et avons-nous assez d’expertise pour pouvoir retracer l’origine de l’argent et faire les vérifications nécessaires pour savoir si l’acheteur est honnête ? »
À son avis, « c’est un bout de la mère-patrie qu’on s’apprête à vendre. »
Les Pour
Dev Chamroo : «Il y avait cette option dans le passé»
« C’est une très bonne mesure qui va ramener pas mal d’investissement qui peuvent financer plusieurs projets. Dans le passé, il y avait cette option. D’ailleurs, des étrangers qui ont investi dans le pays ont pu obtenir la citoyenneté mais, à l’époque, il n’y avait pas de régime défini », indique Dev Chamroo, Senior consultant à la Banque africaine de développement. Ce qui est intéressant, dit-il, c’est qu’il y aura cette fois un cadre légal. « Tout va être clair et transparent. Il est évident qu’il y aura des garde-fous », soutient Dev Chamroo. Le danger, dit-il : cela risque d’attirer des « indésirables ».
Samade Jhummun : «Une mesure intéressante»
« C’est une mesure intéressante qui permettra d’attirer des investissements dans le pays et de créer de l’emploi », indique Samade Jhummun. Le Chief Executive Officer de Global Finance Mauritius soutient, cependant, que les autorités être « prudentes » en fixant certaines conditions. « D’autant plus qu’il y a cette crainte que ceux qui seront naturalisés voudront acquérir des propriétés. Ce qui peut entraîner une certaine spéculation ».
Les Contre
Kugan Parappen : «Une direction dangereuse»
« Depuis 2000, nous avons noté que plusieurs Budgets comportaient des mesures visant à libéraliser le marché foncier en faveur des étrangers. Cette nouvelle mesure sur le passeport et la citoyenneté est en ligne avec ces précédentes mesures car elle donne la possibilité aux étrangers de devenir Mauriciens et de jouir des mêmes avantages que les locaux », déplore Kugan Parappen. Pour l’économiste, le pays prend une « direction dangereuse » . « La croissance qui émanera du marché foncier ne sera pas une croissance inclusive dans la mesure où elle bénéficiera presque exclusivement aux grands propriétaires terriens ».
Laval Savreemootoo : «On ne peut y mettre un prix»
« On ne peut distribuer le passeport mauricien à des étrangers. Le passeport est un droit et on ne peut pas y mettre un prix dessus », fulmine Laval Savreemootoo. Le président de l’Association des agents immobiliers à Maurice craint une spéculation des prix sur les terrains avec l’introduction de cette mesure. « Comme le pouvoir d’achat de ces étrangers est incomparable avec celui des Mauriciens, les prix des terres vont flamber au détriment de la population ».
Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !