Réparer, détourner, transformer : l’upcycling s’impose comme une alternative créative en cette fin d’année où le neuf s’impose trop souvent comme réflexe pour la rénovation des maisons. À Maurice, des initiatives locales prouvent qu’un changement durable peut commencer simplement, chez soi.
Un bocal de sauce qui devient vase, une palette reconvertie en canapé, des housses de coussins teintes avec des pelures d’oignons... À première vue, ces petits gestes peuvent sembler anodins. Pourtant, c’est toute une philosophie qui s’installe doucement dans les foyers mauriciens. En cette fin d’année où le réflexe du neuf domine encore largement la rénovation, des voix s’élèvent pour rappeler qu’il existe d’autres chemins possibles.
Stéphanie Bouloc et Victoria Desvaux font partie de ces pionnières. À travers Zero Waste Mauritius (ZWM), elles démontrent au quotidien que l’économie circulaire peut transformer nos maisons autant que nos mentalités. « Il n’existe pas de solution unique, mais une multitude de petits pas pour consommer plus consciemment », résume Stéphanie Bouloc, fondatrice de La Déchetèque et de Kase Ranze, deux initiatives créés pour donner une seconde vie aux matériaux issus de la rénovation, de la déconstruction ou des stocks dormants.
Les manières de pratiquer le « reuse » chez soi sont infinies : acheter de seconde main plutôt que du neuf, soutenir des artisans qui transforment des matériaux upcyclés, réparer, détourner ou métamorphoser des objets de leur fonction initiale. Autant de gestes simples qui prolongent la vie des choses.
Réparer ? « C’est plus simple qu’on ne le croit. »
Un meuble dont les poignées se sont desserrées, des textiles qu’un simple point de couture peut sauver : voilà qui permet d’éviter le réflexe du jeté. Victoria Desvaux, consultante en économie circulaire, en est convaincue. Il ne faut souvent que très peu de matériel. Un tournevis, un peu de colle, du fil et des aiguilles suffisent. Et pour apprendre, les ressources en ligne foisonnent.
« Si l’on veut rester dans l’esprit du ‘reuse’, inutile d’investir dans du matériel coûteux. On peut emprunter à des amis, à la famille, aux voisins ou même louer grâce aux services désormais disponibles à Maurice », explique Stéphanie Bouloc.
Selon elle, tout peut être réutilisé à condition d’un peu de créativité et que l’objet soit encore fonctionnel. Et souvent, nous le faisons déjà sans y penser : un bocal de sauce devient un récipient de rangement, une assiette ébréchée se transforme en soucoupe pour un pot de fleurs. « Les exemples sont innombrables », dit-elle.
Quand l’imagination devient le meilleur outil
Les exemples les plus emblématiques restent ceux du drum et de la palette : un simple bidon métallique transformé en table, ou encore une palette réinventée en sofa ou en mobilier de maison. Mais l’imagination va bien au-delà : baignoires ou éviers réemployés dans les champs comme abreuvoirs pour les animaux, vélos détournés en objets décoratifs dans les maisons ou les jardins. Les possibilités sont infinies.
Pour Victoria Desvaux, le textile de maison offre lui aussi un terrain infini de réinvention : quelques chutes de tissu deviennent des coussins patchwork ou des dessous de verre, tandis que de vieux T-shirts se transforment en fil pour être crochetés en tapis. « Vraiment, il y a une infinité d’exemples », souligne-t-elle.
Elle partage une expérience personnelle : « J’avais des housses de coussins tachées que j’ai reteintes au lieu de les jeter, en utilisant des pelures d'oignons. Oui, on peut en faire de la teinture textile naturelle ! J’ai eu la chance d’apprendre cela lors d’ateliers locaux, mais toutes ces techniques sont aussi accessibles en ligne. »
Quant aux freins les plus fréquents face à la réparation ? Le manque de connaissance, la peur de ne pas savoir faire ou le manque de temps. Où trouver la pièce manquante ? Où chercher l’information sur la réparabilité ? Où dénicher les bons artisans ? « Sur les réseaux sociaux, ZWM est là pour donner les bonnes adresses et très bientôt notre site web proposera un ‘mapping’ en ligne », répond Victoria Desvaux.
Valoriser les matériaux
Et si l’objet n’est plus fonctionnel ? Il reste la possibilité de valoriser ses matériaux. Le bois d’un meuble, par exemple, peut être réemployé pour un nouveau projet. Victoria Desvaux illustre par une expérience personnelle : « Dans mon ancien appartement, j’avais une table dont les pieds étaient fabriqués à partir du bois d’une rambarde d’escalier retirée, et un meuble de salle de bain conçu à partir de placards de cuisine récupérés lors d’une rénovation. Ces éléments n’avaient plus de sens dans leur usage initial, mais les matériaux étant encore solides, ils ont pu être détournés et réutilisés avec quelques modifications. »
Et si l’objet ne peut plus être réemployé, reste la question du recyclage. Victoria Desvaux insiste particulièrement sur les équipements électriques et électroniques : « Leur matière première a de la valeur et mérite d’être réutilisée, plutôt que d’extraire de nouveaux matériaux, qui est une opération extrêmement polluante. De plus, ces objets contiennent des substances nocives qui doivent être traitées correctement et non pas finir dans la nature. » Attention, toutefois : il est essentiel de s’y connaître un minimum. Mais là encore, c’est à la portée de tous, assure-t-elle.
Victoria Desvaux rappelle, dans la foulée, qu’il existe toujours des artisans capables de redonner vie aux objets, qu’il s’agisse de travailler le rotin, le bois, le métal ou d’autres matériaux.
Elle souligne également l’émergence d’une nouvelle génération de créateurs locaux qui misent sur l’upcycling. Bois de palettes transformé en meubles, voiles de bateaux métamorphosées en objets de décoration intérieure : des initiatives comme Save A Sail illustrent cette créativité mauricienne.
Nouvelle Usine en est également un bel exemple : une vieille table de machine à coudre industrielle y a été transformée en table de restaurant. Les bars et événements de Stage’in séduisent également par leur décoration inventive, preuve que la seule limite est l’imagination.
« Et n’oublions pas les nombreux garnisseurs répartis sur l’île. Ils peuvent offrir une seconde vie à vos chaises et canapés, évitant ainsi l’achat de mobilier neuf. Une manière simple et concrète de prolonger l’usage de ce que l’on possède déjà, tout en valorisant le savoir-faire artisanal local », souligne-t-elle.
Résister à la spirale de la surconsommation
La finalité ? Consommer de façon responsable. « Prolonger le cycle de vie d’un produit en le réparant ou en le réutilisant est un facteur clé d’une consommation responsable. On évite de jeter, on évite de racheter du neuf », affirme Stéphanie Bouloc.
Victoria Desvaux renchérit : « Encore une fois, nous revenons à la question de la surconsommation. Il est devenu trop facile de jeter et d’acheter à nouveau, sans mesurer l’impact que cela a sur la planète et sur les ressources nécessaires à la fabrication de ces nouveaux objets. » Elle rappelle qu’aujourd’hui, nous extrayons bien trop de ressources naturelles, à un rythme que la Terre ne peut supporter, comme l’a souligné le Earth Overshoot Day.
Pour Stéphanie Bouloc, le calcul est simple : fabriquer, transporter, souvent par importation, et acheter un nouvel appareil ou un nouveau meuble génère un impact carbone considérable. À cela s’ajoute une autre interrogation : que devient l’objet une fois jeté ? Peut-il être recyclé localement ? Réutilisé ? Ou finira-t-il à Mare-Chicose ?
Réutiliser, réparer, acheter de seconde main ou pratiquer l’upcycling réduit immédiatement cet impact. À cela s’ajoute la satisfaction personnelle de réparer ou transformer soi-même un objet, qui est une belle forme d’éducation positive et active à transmettre à ses enfants.
Ainsi, elle invite à réfléchir autrement : « Si vous n’utilisez plus un objet ou un meuble mais qu’il peut encore servir, pensez à lui offrir une seconde vie : le revendre, le donner à une personne qui saura l’utiliser, l’offrir à une ONG ou à un magasin de seconde main. »
Des leviers pour encourager la réparation
Comment encourager l’émergence de cette économie circulaire à travers la réparation ? « La réduction de la TVA sur les initiatives de seconde main ou de réparation serait une mesure concrète pour soutenir les démarches privées et les ONG. Ce type d’incitation fiscale permettrait de rendre la réparation plus accessible et attractive, tout en valorisant les acteurs locaux », affirme Stéphanie Bouloc.
Comment sensibiliser les consommateurs à voir le « vieux » comme une ressource plutôt qu’un rebut ? « On y vient déjà ! L’essor des magasins de seconde main, notamment pour les vêtements, témoigne d’une avancée culturelle majeure. Mais la sensibilisation reste essentielle : communication, campagnes et ‘case studies’ qui mettent en valeur des réussites concrètes sont les meilleurs leviers », explique-t-elle.
Du reste, estime Victoria Desvaux, le seconde main, l’upcycling, la réparation et la réutilisation peuvent être tout aussi trendy que le neuf. Mieux encore, cela permet d’affirmer son style avec des pièces uniques, tout en respectant l’environnement. Et souvent, c’est l’occasion d'apprendre de nouvelles compétences, notamment un plaisir en soi.
Un réflexe à déconstruire ?
Reste une question : le neuf, un réflexe ou une habitude à déconstruire ? Victoria Desvaux nuance : « Acheter neuf n’est pas interdit, mais il faut privilégier des matériaux durables, respectueux de l’environnement, et des marques locales ou transparentes sur leurs pratiques. Car derrière la fast-fashion ou le fast-furniture, il y a aussi un impact humain. »
À cela, Stéphanie Bouloc fait ressortir que le neuf est souvent associé à la mode et aux réseaux sociaux. Mais la seconde main devient un nouveau réflexe, permettant de s’afficher différemment et de réduire ses dépenses. « La vraie question reste : en ai-je réellement besoin ? »
Elle résume : « Repenser, repenser, repenser ! » Selon elle, il ne s’agit pas de se priver mais de questionner notre rapport aux objets. « Avant d’acheter, demandons-nous : puis-je réparer ? trouver en seconde main ? en upcyclé ? en local ? » conseille-t-elle.
Concernant une baguette magique anti-gaspi pour Maurice, Stéphanie Bouloc estime qu’intégrer des cours de réparation à l’école est nécessaire pour apprendre à manier les outils de base et découvrir la beauté du « faire soi-même ». Pour les adultes, elle imagine des repair cafés ou des lieux de réparation accessibles à tous, avec animateurs et matériel.
Victoria Desvaux conclut : « Mon souhait, c’est qu’il y ait dans chaque ville et village des espaces de co-création, de réutilisation et de réparation. L’accès aux matériaux issus du réemploi doit être facilité. Cela arrive déjà, et il faut continuer à les soutenir pour qu’ils prospèrent. »
3 réflexes à adopter chez soi
- Remplacer les bouteilles plastiques par une gourde réutilisable.
- Installer un compost pour réduire les déchets organiques de la cuisine.
- Donner aux ONG ou associations les vêtements et petits matériels encore fonctionnels plutôt que de les jeter.
Donner une seconde vie à un vieux meuble
Un simple ponçage, une couche de peinture ou de vernis, le changement des poignées et voilà un meuble transformé. Souvent, une petite réparation suffit : un pied dévissé, une colle bien placée. Avec un peu d’imagination, une porte peut devenir une table. Trop d’objets sont mis de côté alors qu’ils pourraient être sauvés par un geste simple, souligne Stéphanie Bouloc.
« Sur kaseranze.mu, chacun peut vendre ou acheter une fenêtre, une porte, un évier... Cela évite d’acheter du neuf trop cher, respecte l’environnement et permet de rénover sans se ruiner. Une démarche simple, mais déjà pleinement inscrite dans l’économie circulaire », dit Victoria Desvaux.
Et quels sont les objets du quotidien qui méritent une seconde chance ? Presque tout, répond-elle. Les magasins de seconde main regorgent de trésors à prix dérisoires : bocaux en verre, petit mobilier, livres, vaisselle, cadres photo, pots de fleurs en céramique, objets déco en bois, vaisselle en verre ou en céramique, filtres à eau. « Il suffit de chercher un peu : on ne trouvera pas tout, mais cela vaut toujours la peine », affirme Victoria Desvaux.
Des idées simples pour organiser un coin réparation chez soi
- Prévoir un espace dédié, même petit, pour éviter que le stockage n’envahisse.
- Séparer les matières pour retrouver facilement vis, couleurs ou pièces.
- Ne pas surconsommer d’outils : emprunter une perceuse ou un marteau auprès de voisins ou amis si l’usage est ponctuel.
La sensibilisation par la pratique
La sensibilisation passe notamment par l’information, l’éducation et l’accès à des ateliers pratiques pour démystifier la réparation.
« L’apprentissage par la pratique reste le meilleur moyen de convaincre », soutient Victoria Desvaux. Concernant les plateformes locales facilitant le troc et la réutilisation, elle cite des pages Facebook, brocantes, vide-greniers et magasins de seconde main.
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