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Partir pour vivre : ces femmes qui refusent que la violence soit une fatalité

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Les drames se multiplient, et la question demeure : pourquoi la violence domestique persiste-t-elle malgré les lois et les campagnes ? Plutôt que de théoriser, nous avons écouté celles qui ont survécu. Leurs témoignages rappellent une vérité essentielle : la violence cesse non par peur, mais par le choix de vivre.

Marie-Michèle Pyday, 59 ans : « Si partir fait mal, rester tue »

Changer demande du courage, pas des excuses.
Changer demande du courage, pas des excuses. 

« J’ai connu la violence là où je pensais trouver le réconfort. On parle souvent d’amour, de confiance, mais moi j’ai appris que l’amour ne suffit pas quand il blesse, lorsqu’il humilie, quand il détruit. Pendant des années, j’ai vécu en apnée. Chaque jour, je me battais pour ma survie et celle de mes enfants. Et pourtant, je restais », confie Marie-Michèle Pyday qui a décidé un jour que la peur ne dicterait plus sa vie.

Elle ne cherche plus à se justifier, mais explique simplement ce qu’on ne veut pas entendre. « Les gens jugent facilement. Ils disent : ‘Pourquoi ne part-elle pas ?' Mais partir, ce n’est pas ouvrir une porte et s’en aller. C’est affronter la peur, la honte, la dépendance. Si c’était aussi simple que cela, la violence domestique aurait disparu depuis longtemps », dit-elle.

Marie-Michèle parle d’un système qui, dès l’enfance, pousse les femmes à porter la charge du foyer comme un devoir sacré. « Dans notre société, on apprend à la femme à tenir, à supporter, à sauver le foyer coûte que coûte. Si elle tombe, tout s’écroule du moins, c’est ce qu’on nous fait croire. Alors, on serre les dents et on se persuade que la tempête passera, mais elle ne passe jamais. La violence, elle s’installe, elle ronge, elle prend toute la place », ajoute-t-elle.

Elle a longtemps cru qu’aimer suffisait à réparer. « Avec le recul, je me dis que j’aurais dû réagir dès les premiers coups. Puis, quand la main qui frappe est celle qu’on a tenue le jour de son mariage, on veut croire que ce n’est qu’un écart, qu’il changera. Mais non. On ne change pas un bourreau, on se change soi-même en décidant de partir », ajoute-t-elle.

Le départ a été douloureux, mais vital. « Recomposer sa vie, ce n’est pas simple, mais mourir à petit feu, c’est pire. J’ai compris que protéger mes enfants, c’était aussi me protéger moi-même. Quand on est en vie, on peut tout reconstruire. Partir, c’est choisir la vie », dit-elle.

Aujourd’hui, elle regarde avec inquiétude une jeunesse trop souvent aveuglée par l’illusion du couple parfait. « On idéalise l’amour. On veut du romantisme, des promesses, de la passion. Mais la vie à deux, ce n’est pas un conte de fées. C’est un travail d’équilibre. Quand on n’est pas préparé à affronter les frustrations, la colère prend racine. Et la colère, si on la laisse grandir, finit toujours par détruire », fait-elle ressortir. 

Son message est clair, presque tranchant : « Ne laissez pas le temps faire à votre place. La violence ne s’arrête jamais d’elle-même. Aimer, ce n’est pas souffrir. Changer demande du courage, pas des excuses. On ne choisit pas toujours la violence, mais on peut choisir d’en sortir. Tant qu’on respire, on peut recommencer ».


Ces dernières semaines, deux féminicides ont fait la une des divers médias et ravivent un débat trop souvent étouffé. D’abord celui de Danaa Laeticia Malabar, tuée par son mari. Puis, quelques jours plus tard, la mort brutale de Natasha Vidushi Cornet, 35 ans, mère de trois enfants. Cette dernière a été retrouvée sans vie près d’une rivière à Pamplemousses. Deux tragédies, deux femmes parties trop tôt, et une même question : pourquoi la violence domestique continue-t-elle de ronger notre société, malgré les lois renforcées et les campagnes de prévention ?

Derrière ces chiffres et ces drames, il y a des vies silencieuses, suspendues entre peur et espoir. Certaines femmes en réchappent, marquées, mais debout et c’est à elles qu’on a choisi de donner la parole.

Se reconstruire après la violence

Pour les femmes victimes de violence domestique, s’en sortir ne se résume pas à quitter un partenaire violent. Il s’agit d’un travail sur soi, parfois long et exigeant, pour retrouver confiance, identité et sécurité. Selon Virginie Lebon Appou, thérapeute, « travailler sur l’estime de soi est crucial pour celles qui ont subi la violence. La perte d’identité doit être reconstruite, pas à pas ».

Certaines femmes réussissent à s’en sortir seules, mais le chemin est progressif. « Elles commencent par reprendre confiance en elles, à créer un refuge intérieur, à rediriger l’amour qu’elles avaient sacrifié vers elles-mêmes », explique-t-elle.

L’amour de soi devient alors un outil de survie : apprendre à écouter son corps, comprendre ses besoins, se protéger émotionnellement et financièrement, et trouver un lieu sûr loin de l’agresseur. Virginie Lebon Appou insiste : « Il ne s’agit pas seulement de fuir, mais de se préparer à vivre pleinement, sans l’étiquette de ‘femme battue’ ».

Pour beaucoup, le refuge n’est pas uniquement un lieu physique, mais un espace de sécurité et de reconstruction, où la femme peut réapprendre à s’aimer et à reprendre le contrôle de sa vie. 

Marie Letandrine, 46 ans : « Briser le cercle, penser aux enfants, reconstruire »

La reconstruction ne se limite  pas à quitter le foyer.
La reconstruction ne se limite pas à quitter le foyer. 

Se relever, c’est aussi affronter la solitude et les obstacles du quotidien. Toutes les femmes n’ont pas une famille sur qui compter ni un réseau pour les soutenir. Marie Letandrine sait combien il est difficile de reconstruire sa vie après avoir fui une relation violente, même lorsque les structures d’aide existent. Elle confie : « La violence, c’est comme un cercle dont on pense ne jamais pouvoir sortir. Il faut beaucoup de courage pour dire : ‘Stop. Je ne veux plus’ ».

Pour Marie, la reconstruction ne se limite pas à quitter le foyer. « Les centres d’accueil existent et offrent un soutien temporaire, mais ils ne peuvent pas tout résoudre. Reprendre sa vie en main est un processus semé d’embûches : trouver un logement, reconstruire sa stabilité financière, s’intégrer dans une société qui regarde souvent les femmes seules différemment… Cela peut être épuisant. On m’a même demandé la carte d’identité de mon mari, alors que c’est lui que je fuyais. Cela montre à quel point les obstacles sont parfois absurdes et injustes », fait-elle ressortir.

Elle souligne l’importance de structures solides pour accompagner les femmes sur le long terme : « Il faut plus que des solutions temporaires. Je pense à un soutien réel, qui aide à se remettre sur pied, à reconstruire un quotidien stable, à retrouver confiance et dignité ».

Toutefois, l’un des aspects les plus douloureux, selon elle, est l’impact sur les enfants. « Être témoin de violence laisse des traces. J’ai vu, en tant que mère, enseignante et travailleuse sociale, combien cela affecte les enfants émotionnellement, cognitivement et socialement. Les mamans pensent souvent qu’elles restent pour leurs enfants, mais rester dans la violence peut leur nuire profondément. Protéger ses enfants, c’est aussi parfois partir pour que leur vie continue dans un environnement sûr », dit-elle.

Marie insiste sur la nécessité d’une éducation émotionnelle dès le plus jeune âge : « La prévention commence dès l’enfance. Apprendre aux enfants à reconnaître leurs émotions, à les gérer, à respecter les autres et à comprendre que la violence n’est jamais acceptable est essentiel. Si nous voulons un monde meilleur, il faut commencer par les plus jeunes ».

Son message est clair, direct et porteur d’espoir : « Briser le cercle de la violence demande du courage, de la force et un soutien concret. La société doit offrir ces repères et ces structures. Mais surtout, chaque femme doit se rappeler que sa vie compte pour elle-même, pour ses enfants, pour ceux qui l’aiment. La violence n’est jamais une fatalité. On peut se relever, se reconstruire et avancer ». 


Doosha Sooklall, 37 ans : « Rise, Woman, Rise »

La vie ne s’arrête pas à une personne toxique.
La vie ne s’arrête pas à une personne toxique. 

Certaines blessures ne laissent pas de marques visibles. La violence ne s’exprime pas toujours dans les coups, mais dans les mots qui humilient, dans les regards qui rabaissent, dans le silence qui enferme.

Doosha Sooklall a passé des années dans une relation toxique, prisonnière d’une emprise psychique qui grignotait peu à peu son estime d’elle-même jusqu’au jour où elle a décidé que cela suffisait.

« Je suis une femme qui a traversé des tempêtes, la douleur, la perte, le silence après un chapitre brisé. Le divorce a testé ma force, mais il ne m’a pas définie. J’ai choisi de me relever », explique-t-elle. Derrière ces mots, il y a des années de lutte invisible. 

Elle raconte une relation où la peur ne venait pas des coups, mais du contrôle, des reproches constants, de cette voix qui finit par s’infiltrer dans la tête et faire douter de tout : de sa valeur, de son intelligence, de son droit au bonheur. « L’emprise, c’est quand on commence à s’excuser. On vit pour ne pas déclencher la colère de l’autre. On marche sur des œufs, on s’efface petit à petit. Aimer ne devrait jamais vouloir dire subir », confie-t-elle.

Et pourtant, partir n’est pas toujours simple. La trentenaire ajoute : « Le qu’en-dira-t-on pèse lourd. Les voisins, la famille, les regards… On se tait pour ne pas faire honte à ses parents, on se dit que supporter, c’est protéger son foyer. Mais dites-vous bien une chose : il n’y a pas de honte qui vaille la perte d’une fille, d’une sœur, d’une amie. Avoir son enfant en vie dépasse toutes les convenances. La vraie honte, c’est de se taire quand une vie est en danger ».

Ce jour-là, Doosha a décidé de se choisir : « On croit souvent que sa vie ne compte plus, qu’on ne vaut plus rien. Mais vous comptez. Pour vous-même, d’abord. Pour vos parents qui vous ont donné la vie. Pour vos amis qui vous aiment. La vie ne s’arrête pas à une personne toxique. Elle commence le jour où vous dites : assez ».

Elle s’est reconstruite à travers le sport. « Le sport m’a sauvée. L’aérobic, la musculation, le rythme du corps qui se remet à vivre, c’est devenu ma thérapie. Chaque goutte de sueur effaçait un peu de douleur, chaque effort me rappelait que la guérison est possible », relate-t-elle.

Aujourd’hui, elle veut transmettre un message simple, mais vital : « À chaque femme qui traverse ses propres batailles : commencez aujourd’hui. Même un pas, même un souffle, même un battement de cœur suffit. Vous avez le droit de vivre, d’espérer, de respirer librement. Lève-toi. Bouge. Respire. Crois. Tu es capable de bien plus que tu ne l’imagines ».

 

 

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