Les Rs 323 200 de Vijaya Samputh ont fait sensation cette semaine. L’occasion est propice de voir d’un peu plus près les mécanismes déterminant ces salaires et les sommes perçues par les nominés politiques et autres professionnels à la tête des institutions gouvernementales.
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Vijaya Samputh n’est pas la seule nominée politique à jouir d’un salaire et d’allocations conséquentes. La somme mirobolante de Rs 323 200 que touchait la nominée d’Anil Gayan en salaire et allocations est cependant supérieure à ce que touchent la plupart des directeurs affectés dans les corps paraétatiques.
Le rapport du Pay Research Bureau (PRB), en 2016, préconise un salaire de Rs 113 000 pour ce poste et la différence se trouve dans les allocations. Si on se réfère aux dernières recommandations du PRB, le plus bas salaire est de Rs 86 000 (le directeur de la Mauritius Film Development Corporation) et le plus haut est de Rs 164 000 (le directeur de l’University of Technology of Mauritius). Mais ces chiffres n’incluent pas les allocations.
Un directeur d’un corps paraétatique, qui a requis l’anonymat, explique que les allocations servent généralement à pallier ce qui est retranché pour le paiement de la taxe. «Il y a un salaire de base, explique cette source, et la façon dont les allocations sont faites compense les 15 % de la taxe. Au final, vous ressortez avec plus ou moins le salaire de base.»
Un deuxième directeur estime qu’en moyenne un directeur d’un organisme parapublic peut toucher environ Rs 75 000 en termes d’allocations. Mais il peut aussi toucher bien plus. « Pour chaque extra-duty que vous effectuez, vous pouvez demander au board d’approuver des paiements additionnels, explique cette source. Tout dépend de la personne qui occupe le poste. C’est rare qu’un conseil d’administration refuse une telle demande. »
Pour les compagnies où l’État est actionnaire, il n’y a pas de PRB pour servir de guide. Le salaire du CEO ainsi que ses allocations sont généralement négociés avec le board ou par un salary commisssioner. Il y a plus de marge pour les négociations.
Nous avons interrogé les directeurs de plusieurs institutions gouvernementales, qu’ils soient des nominés politiques ou autres, pour avoir une meilleure idée des sommes qu’ils touchent. Plusieurs se sont prêtés au jeu.
Koomaren Chetty, BPML : Rs 100 000 + 10 750 (Petrol Allowance) + 8 400 (Driver’s Allowance) + 20 000 (Inducement Allowance)
Le candidat battu de l’Alliance Lepep au No 18 pour les élections estime que son salaire est amplement mérité. « Pour gérer une grosse compagnie, il faut pouvoir soutenir ce poids, explique-t-il. Normalement, le CEO d’une grosse entreprise doit obtenir un salaire raisonnable. Il ne faut pas dévaloriser le poste. »Guillume Ollivry, FIU : Rs 150 000 + 16 980 (Petrol Allowance) + 1 500 (Appels locaux)
Le directeur de la Financial Intelligence Unit, Guillaume Ollivry, est un cas particulier. Si la FIU figure sur la liste des corps paraétatiques du PRB, le salaire du directeur n’y est pas. « Mon salaire de Rs 150 000 est aligné sur celui du Commissaire de Police et du DPP, explique Guillaume Ollivry, c’est le Premier ministre qui me nomme et le conseil d’administration ne peut pas m’éjecter. »
Sunjiv Soyjaudah, ex-ICTA : Rs 225 000 + Rs 19 000 (Petrol Allowance) + Rs 20 000 (allowance pour représenter les subsidiaires)
L’ICTA est actuellement sans directeur, mais le dernier en poste a joué le jeu en révélant ce qu’il touchait. Les Rs 20 000 d’allocations sont pour la représentation des subsidiaires de l’ICTA sur les réunions des conseils d’administration.
Ram Bahadoor, CIDB : Rs 101 000
Le directeur du Construction Industry Development Board assure qu’il ne touche pas d’allocations et se contente de son salaire de base. Ses revenues sont strictement conformes à ce que préconise le PRB.
Vikram Jootun, Mauritius Film Development Corporation (MFDC) : Rs 86 000 + 10 000 (Petrol Allowance)
L’ancien caméraman du Mouvement Socialiste Militant (MSM), qui avait d’ailleurs participé activement à la dernière campagne électorale du parti soleil en 2014, a été nommé à la tête de cet organisme en juin 2015.
Dhuneeroy Bissessur, Beach Authority : Rs 101 000
Dhuneeroy Bissessur a déjà été conseiller municipal à Vacoas et occupe depuis mars 2015 le poste de General Manager à la Beach Authority.
Yousuf Ismael, Central Water Authority : Rs 110 000
Nommé en janvier 2016 par Ivan Collendavelloo, il est économiste de formation et a, par le passé, déjà travaillé aussi pour le compte de la Banque de Maurice (BoM).
Jugdish Bundhoo, Mauritius Cane Industry Authority (MCIA) : Rs 113 000
Nommé sans appel à candidature par le ministre de l’Agro-industrie, Mayen Seeruttun, Jugdish Bundhoo occupe le poste de General Manager à la Mauritius Cane Industry Authority (MCIA). Ce dernier se trouve aussi être le beau-frère du ministre.
Soorya Gayan, Mahatma Gandhi Institute (MGI) : Rs 116 000
L’épouse de l’ex-ministre de la Santé, Anil Gayan a, en 2015, retrouvé son poste de Directrice Générale pour la deuxième fois de sa carrière.
Brenda Thanacody-Soborun : Mauritius Examination Syndicate (MES) : Rs 110 000
Celle qui avait fait polémique après avoir participé à un congrès politique à Grand-Bois a été nommée directrice du MES en avril 2015.
Bhagwat Daumoo, Mauritius Meat Authority (MMA) : Rs 110 000
Un des principaux agents du ministre de l’Agro-industrie dans la circonscription No 11 (Vieux-Grand-Port/Rose-Belle), Bhagwat Daumoo est aussi propriétaire d’une quincaillerie dans la région de Grand-Sable.
Arjoon Sudhoo, Mauritius Research Council : Rs 152 000
Outre ses fonctions de président du conseil d’administration d’Air Mauritius, Arjoon Sudhoo est aussi le directeur du Mauritius Research Council. Il est à la tête de cette institution depuis le début des années 2000.
Kaviraj Sukon, Open University of Mauritius : Rs 116 000
Il s’agit d’un des rescapés politiques du Parti travailliste, nommé au temps où Rajesh Jeetah était le ministre de l’Enseignement supérieur.
Phalraj Servansingh, Small Medium Enterprise Development Authority (SMEDA) : Rs 95 000
Après avoir occupé le poste d’adjoint maire à la mairie de Port-Louis sous la bannière du MSM, Phalraj Servansingh s’est vu propulser à la tête de l’autorité responsable des Petites et Moyennes Entreprises (PME).
Rajanah Daliah, State Trading Corporation (STC) : Rs 110 000
Ce membre du Bureau Politique (BP) du Mouvement Socialiste Militant (MSM) a été propulsé à la tête de la State Trading Corporation (STC) pour assumer les responsabilités de General Manager.
Sharmila Seetulsingh Goorah, Université de Technologie de Maurice : Rs 164 000
Après avoir travaillé pendant des années à l’Université de Maurice (UoM), Sharmila Seetulsingh Goorah a été nommée directrice de l’Université de Technologie de Maurice (UTM) quelque temps après avoir adhéré aux instances du parti soleil.
Les salaires et responsabilités des CEO
Un ancien haut fonctionnaire explique comment le salaire d’un directeur ou d’un CEO d’une institution gouvernementale est déterminé. Dépendant de la nature de l’institution, qu’elle soit un corps paraétatique ou une compagnie, les procédures sont très différentes.
« Pour les corps paraétatiques, on suit les recommandations du PRB, explique notre source, pour les entreprises publiques, il y a en général un rapport indépendant. » C’est le cas notamment pour les entreprises comme Air Mauritius, explique cette source. Mais les corps paraétatiques sont aussi classés en catégories (A, B, C…) dont dépendent les salaires. « Mais pour les directeurs, les salaires sont largement déterminés par le conseil d’administration avec l’approbation du ministre pour les corps paraétatiques », précise cette source.
Autrefois, les contrats des ces entreprises publiques contenaient presque systématiquement une clause prévoyant le paiement du salaire restant du directeur en cas de renvoi prématuré. « L’État a dû payer de folles sommes dans le passé et ce n’est plus la pratique depuis au moins 2008 », explique notre source. Le gouvernement, selon cette source, serait devenu frileux aux contrats en béton.
Qu’en est-il des allocations ? La décision revient une nouvelle fois au conseil d’administration. « Les membres du conseil d’administration peuvent approuver des allocations pour chaque travail additionnel que fait le directeur », confirme notre source.
Un ancien directeur d’une entreprise publique importante explique aussi qu’il y a une différence de taille entre un simple directeur (Vijaya Samputh était Executive Director, par exemple) et un Chief Executive Officer (CEO). « Pour un CEO, Rs 300 000 ce n’est pas un big deal, assure cette source, un CEO est redevable et peut être poursuivi. Le board lui délègue une partie de ses pouvoirs. C’est pourquoi il négocie souvent des assurances et des indemnités dans son contrat. » En clair, le CEO est le seul responsable des succès et, le cas échéant, des naufrages de la compagnie.
C’est toute la différence avec un simple directeur d’un corps paraétatique, qui doit obéir aux instructions de son maître politique. Notre source cite Mahé de Laboudonnais, qui avait été poursuivi pour s’être enrichi alors que la Compagnie des Indes orientales s’appauvrissait : « C’est que j’ai fait mes affaires selon mes lumières et celles de la compagnie selon vos instructions. »
Les présidents et leurs salaires
Outre les CEOs, les présidents de conseil d’administration des corps paraétatiques ont aussi le privilège de salaires conséquents. Si l’Alliance Lepep avait promis de limiter leurs salaires à Rs 20 000 ou Rs 30 000, en fait, certains sont plus égaux que d’autres. Les corps paraétatiques sont en effet classés en catégories A, B et C par le ministère des Finances et ceux de la catégorie A touchent bien plus que tous les autres. Au niveau de l’Hôtel du gouvernement, on justifie en expliquant que « certains Chairmen travaillent à plein temps ». Beaucoup des corps paraétatiques qui sont sous la tutelle des finances figurent parmi ceux qui peuvent touche bien plus que Rs 30 000.
Le Défi Quotidien avait déjà procédé à un exercice similaire en octobre 2015 qui a révélé que Racheed Daureeawoo, président de la Mauritius Duty Free Paradise recevait Rs 52 000, plus Rs 10 000 d’allocations, Ramalingum Maistry, président de la Mauritius Ports Authority, touchait Rs 70 000 plus Rs 5 000 d’allocations, Roshan Seetohul, alors président d’Airports of Mauritius Ltd, touchait Rs 52 000, Chand Bhadain, à la Development Bank of Mauritius percevait Rs 70 000 et Arjoon Sudhoo, président d’Air Mauritius, recevait Rs 75 000, en sus du salaire de Rs 152 000 qu’il touche comme directeur du Mauritius Research Council.
Vanessa Napal, chargée de cours en éthique : «Le citoyen mauricien a perdu confiance face à l’élite qui gouverne»
Plus de Rs 300 000 pour un nominé politique, cela vous choque-t-il ?
Oui et non. Oui, compte tenu des réalités de notre société, avec la pauvreté et autres, et non parce que tout est possible quand on détient le pouvoir.
Le gouvernement avait promis de cesser de nommer des proches à la direction des institutions. Cet incident vient-il prouver que c’est plus que nécessaire ?
Est-ce normal de continuer à suivre la formule du favoritisme, voire du népotisme, sachant que cette « culture » nuit à notre réputation sur tous les plans ? Il faut faire ressortir que cette tradition nuit aussi à la réputation des décisionnaires, et ce malgré le fait que ces derniers se considèrent parfois exemptés de toute responsabilité. On est arrivé à un point où le citoyen mauricien a perdu confiance face à l'élite qui gouverne, quelle que soit l’idéologie du parti au pouvoir. Comment rétablir cet élément de confiance face à un public sceptique ?
Le PRB recommande pourtant un salaire de Rs 113 000 pour le poste de directeur de Trust Fund for Specialised Medical Care. Le reste des Rs 323 200 est composé d’allocations dont on ne sait rien. Faudrait-il plus de transparence sur ce sujet ?
Transparence n’est qu’un mot quand on parle de controverse. La transparence n’est qu’une mince dimension de l’éthique. D’un côté, la question des salaires est très sensible et on peut dire qu’elle est sujette à interprétation. Mais vu d’un autre angle, est-ce que divulguer des informations sur la composition du « reste » comme vous dites, justifierait un tel montant ?
Le ministre de la Santé dit que le conseil d’administration n’a pas suivi ses instructions dans cette affaire. Est-ce une entorse aux règles de la bonne gouvernance ?
Les règles doivent être suivies si l’on veut respecter les conditions liées à la bonne gouvernance. Les décisions d’un conseil d’administration doivent être basées sur des données objectives, reflétant logique et justice. Est-ce normal que les instructions que donne un ministre ne soient pas respectées ? N’y a-t-il pas un système de contrôle qui a fauté quelque part ? Ou est-ce les conséquences d’une démocratie qui opère sous un système de contrôle minimal, voire inadéquat ? Si l’on tient à limiter les abus de pouvoir de la part des décisionnaires, les faiblesses d’une démocratie émanant de gouvernements parlementaires doivent être surmontées. Cela aiderait à limiter de graves problèmes de responsabilité qui ont pour résultat une mauvaise gouvernance.
Un CEO doit justifier son salaire aux yeux des actionnaires qui peuvent même le poursuivre s’il ne sert pas les intérêts de la compagnie. Devrait-il en être de même pour les corps paraétatiques ?
Oui, parce qu’il s’agit de l’argent du contribuable. C’est encore plus nécessaire de justifier son salaire. On a tendance à associer les systèmes administratifs avec les procédures fastidieuses, c’est-à-dire des systèmes de contrôle bien définis. Corps paraétatique rime avec bureaucratie, et bureaucratie rime avec contrôle. Comment justifier des dérapages dans un système où l’on doit des comptes au public ? Une bonne démocratie doit éviter toute forme d’abus de pouvoir. Attribuer ce privilège de pouvoir à la classe politique est synonyme de promouvoir une culture d’asservissement, ce qui est loin de constituer un mode de vie sain dans une société qui se dit moderne.
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