L’introduction de la sécurité routière comme sujet au primaire à partir de janvier 2023 est une excellente initiative dans le fond. Dans la forme, le projet suscite des interrogations. Le point.
Vingt-cinq minutes par semaine. Durée d’enseignement de la classe de sécurité routière qui sera introduite au primaire ce mois-ci. C’est du moins ce qu’a annoncé le ministre du Transport terrestre, Alan Ganoo. Un projet qui se fait avec le soutien du ministère de l’Éducation. Selon le ministre, 800 éducateurs ont déjà été formés par le Mauritius Institute of Education (MIE).
Si cette initiative est bien accueillie, le projet suscite néanmoins des interrogations. Peu d’informations transpirent sur la mise en pratique de cette nouvelle matière, pour laquelle les écoliers prendront part à un examen.
« Nous sommes dans l’attente d’avoir plus d’éclaircissements sur la mise en œuvre du projet », dit Vishal Baujeet, président de la Government Teachers Union (GTU). Il parle d’un manque de consultations. « On ne peut pas mettre cela sur le dos des enseignants, qui enseignent déjà les matières principales. »
Il estime que la sécurité routière doit être enseignée par des éducateurs ayant reçu une formation spécialisée. C’est notamment le cas pour des matières telles que Health and Physical Education et les classes d’Information and Communication Technology. Cela permettra d’avoir les résultats escomptés, affirme-t-il.
Toujours est-il que Vishal Baujeet accueille favorablement cette initiative du ministère du Transport terrestre. Cela contribuera, dit-il, à une meilleure sensibilisation des enfants qui vont, à leur tour, sensibiliser leurs parents. « Il faut initier les enfants à la sécurité routière dès le plus jeune âge. Avec les classes qui vont s’étendre jusqu’au secondaire, nous aurons à la longue une population sensibilisée, permettant ainsi de réduire le nombre d’accidents de la route. » Les parents en bénéficieront, ainsi que le pays dans son ensemble, par effet boule de neige, car la sécurité routière concerne tout le monde indistinctement, maintient-il.
Le président de la GTU souligne également que des sessions sur la sécurité routière se faisaient déjà dans les écoles de manière informelle par les Deputy Head Masters. Avec son introduction comme matière, il estime que les cours seront plus structurés. Il attend néanmoins d’avoir des précisions sur la façon de procéder. « Nous avons compris que la formation des instructeurs a déjà été effectuée. Nous ne savons cependant pas comment cela va être intégré dans l’emploi du temps et le cursus scolaire déjà établi », fait-il ressortir.
Enseignement attractif
« Enseigner la sécurité routière dans les écoles est une façon de permettre aux jeunes d’acquérir les règles essentielles sur l’utilisation de la route en toute sécurité. Les connaissances qu’ils vont acquérir vont permettre de développer une culture de la sécurité routière, dont les fruits seront récoltés à long terme. » Tel est l’avis de Barlen Munusami, expert en sécurité routière. Pour lui, le sujet va leur donner des bases pour un meilleur comportement sur la route.
Bien que favorable au projet, Barlen Munusami se demande cependant comment cela sera mis en pratique. « Copier-coller ce qui se fait à l’étranger ne va pas marcher, car le contexte mauricien est différent de ce qui se fait ailleurs, notamment dans les pays européens. Dans ces pays, il y a une discipline déjà établie, comme la courtoisie, qui semble faire défaut à Maurice », fait-il remarquer.
En France, par exemple, poursuit-il, l’éducation à la sécurité routière comprend une bonne partie qui se fait à bicyclette. Il note qu’à Maurice, il y a de moins en moins de jeunes utilisant la bicyclette pour leurs différents déplacements. « Avant, les enfants allaient à l’école à bicyclette, mais aujourd’hui c’est par le transport scolaire. »
En raison du nombre de véhicules sur nos routes et les risque d’accidents associés, de nombreux parents ont peur d’envoyer leur enfant à l’école par ce moyen de transport. Ainsi, dupliquer ce qui se fait ailleurs ne correspond pas du tout au contexte mauricien, selon l’expert en sécurité routière.
De plus, poursuit-il, l’enseignement de cette matière devrait être suffisamment attractif, avec une pédagogique passive (des classes théoriques avec les règles de la circulation) et active (en les emmenant sur la route par petits groupes). Un coin peut aussi être aménagé dans la cour de l’école avec un parcours routier (Children trafic playground) comprenant les différents panneaux de signalisation, propose Barlen Munusami.
« Si c’est uniquement dans la classe, ce sera lassant pour les élèves et n’apportera pas grand-chose », estime-t-il. Il suggère l’introduction de jeux ou de quiz qui aideront les élèves à maîtriser le sujet et à discerner le comportement à adopter en chemin, ainsi que ce qui est proscrit.
Nous avons aussi sollicité un représentant de la police sur ces sessions de formation. La cellule de communication nous a fait comprendre que le projet concerne le ministère du Transport et que la police n’a pas de commentaire à ce sujet.
Enfant éducateur
Selon Barlen Munusami, les études ont démontré qu’un enfant qui apprend la sécurité routière à l’école transmet ses connaissances à ses parents. Il peut, de ce fait, les « rappeler à l’ordre » pour tout mauvais comportement. Pour lui, il sera important d’attirer leur attention s’ils ne respectent pas le code de la route, par exemple. Un parent qui est « rabroué » par son enfant pour son « mauvais comportement » sur la route réfléchira à deux fois avant de commettre la même bêtise, selon l’expert en sécurité routière.
Bénéfices à long terme
L’introduction de la sécurité routière comme une matière à l’école est un projet dont on récoltera les bénéfices à long terme aussi bien qu’à court et moyen termes, selon Alain Jeannot, président du National Road Safety Council (NRSC). « À long terme, cela va préparer les quelque 90 000 élèves du primaire à être des citoyens disciplinés et conscients des enjeux de la route. À court et moyen termes, ces mêmes enfants vont changer et influencer l’attitude et la mentalité de leur entourage », dit-il.
Tout doit cependant être mis en œuvre afin qu’ils soient encouragés à suivre ces classes. « Ce serait souhaitable qu’il y ait des exercices impliquant les parents d’une manière ou d’une autre », ajoute Alain Jeannot.
Ce qui est prévu
Les classes de sécurité routière enseigneront aux élèves comment se comporter en chemin en tant que piéton, passager et cycliste sur les routes, selon les renseignements que nous avons pu glaner de diverses sources. Les élèves apprendront à connaître le code de la route, faire la différence entre le passage pour piétons et le passage clouté, connaître et reconnaître les dangers auxquels ils peuvent être confrontés, et apprendre quels sont les comportements qu’il ne faudrait pas avoir en chemin, dans le bus, le métro, le transport scolaire, explique-t-on. Des activités manuelles sont prévues.
Les enseignants holistiques ont suivi des sessions de formation dispensées par des experts de la sécurité routière de la Réunion. Les cours ont été adaptés au contexte mauricien. La Road Safety Unit (RSU) de la police et la Traffic Management and Road Safety Unit (TMRSU) du ministère du Transport terrestre ont complété la formation avec des sessions pour la bicyclette.
Ces cours seront donnés aux élèves des Grades 1 à 6. Il est prévu que ces classes se poursuivent au secondaire. On s’attend à ce que les enfants aident leurs parents à mieux maîtriser la sécurité routière en leur rappelant les bons gestes.
L’introduction de la sécurité routière dans les écoles est en ligne avec le Sustainable Development Goal de moins de morts sur nos routes d’ici 2030.
Pas de maîtrise du code de la route
« La grosse majorité des conducteurs qui ont réussi leur examen oral en vue d’obtenir par la suite leur permis de conduire, ont appris par cœur. Même s’ils ont réussi cet examen avec brio, nombreux sont ceux qui ne maîtrisent pas le sens technique des panneaux de signalisation et pourquoi ils ont plusieurs formes : triangle, rond et rectangulaire », constate Barlen Munusami.
Il déplore aussi que certains instructeurs sont « exam oriented » et ne prennent pas le temps d’expliquer la conduite défensive et les autres situations qu’un automobiliste peut rencontrer quand il aura son permis en main : la conduite sur l’autoroute, pendant la nuit et en temps de pluie, par exemple. « Il ne faut pas former des conducteurs pour qu’ils puissent obtenir leur permis, mais il faut leur apprendre à être de bons conducteurs », plaide-t-il.
La route est un espace social qu’il faut savoir partager avec les différents usagers de la route. Chacun devrait développer un sens des responsabilités et les assumer pour une meilleure sécurité routière, poursuit-il.
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