La Financial Crimes Commission continue de susciter la controverse. Son processus de création est actuellement plongé dans une opacité totale, car la loi n’a toujours pas été promulguée. Cette situation ne fait qu’accroître le malaise autour de cet organisme.
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La création de la Financial Crimes Commission (FCC) suscite un certain malaise. Bien que le vote ait eu lieu en novembre 2023, la promulgation du FCC Act se fait attendre trois mois plus tard. Le 6 mars dernier, le Premier ministre a officiellement proposé la nomination de Navin Beekarry au poste de directeur général de la FCC. Et depuis, silence radio, jusqu’au mercredi 20 mars, quand le Directeur des poursuites publiques (DPP) a déposé en Cour suprême une plainte constitutionnelle pour réclamer que le FCC Act soit rendu nul et non avenu.
Selon plusieurs sources au sein de l’Independent Commission against Corruption (Icac), il est impossible de déterminer quelle étape doit désormais être franchie pour que la FCC Act soit enfin promulguée. Le sentiment général est qu’avec l’introduction de la plainte constitutionnelle du DPP, sa mise en opération pourrait être considérée comme un « contempt of Court ».
Ainsi, cette situation suscite actuellement un grand malaise parmi plusieurs membres de la commission anticorruption, qui se disent pleinement conscients de l’importance de la plainte du DPP remettant en question toute la légitimité de la FCC. « Avec la situation conflictuelle actuelle entre le bureau du DPP et la force policière, il est évident qu’une éventuelle entrée en opération de la FCC va créer d’autres tensions. Au sein de l’Icac, nous ne sommes pas tous à l’aise avec cette situation », souligne une source de la commission anticorruption, s’exprimant sous le couvert de l’anonymat.
Une autre situation qui laisse transparaître un malaise évident au niveau de l’Icac a trait aux noms proposés pour assurer les rôles de commissaires. Nommément Narainkrishna Peerun, Abdool Carrim Namdarkhan, Jugdish Dev Phokeer et Marie Claudine Josiane Lilette Paya. Ces nominations ne font pas forcément l’unanimité parmi les enquêteurs, qui auraient souhaité des commissaires d’« une qualité bien supérieure ».
Le contexte électoral actuel est un autre élément qui semble provoquer énormément de gêne parmi plusieurs membres de l’Icac. En effet, avec la possibilité que les prochaines élections générales puissent intervenir dans quelques mois, et qu’un autre parti prennent les rênes du pays, la question se pose de savoir si la FCC ne finira pas par être un projet mort-né. En se basant sur les déclarations et prises de position de l’opposition contre la création de la FCC, il semble que les chances que cet organisme prenne une direction différente de celle proposée par le gouvernement actuel soient bien réelles, si jamais elle remportait les élections.
Pour l’avocat Penny Hack, la création de la FCC s’inscrit dans un chaos constitutionnel sans précédent, avec la bataille acharnée engagée entre le bureau du DPP et la force policière. « Il ne faut donc pas perdre de vue le fait que le DPP est en train d’être attaqué de toutes parts », souligne-t-il.
Ne serait-il pas plus judicieux de retarder la mise en opération de la FCC en attendant que la Cour suprême se prononce sur la plainte du DPP ? Me Penny Hack affirme que la situation actuelle ajoute encore plus de confusion. « La vérité est que, jusqu’à présent, la loi sur la FCC n’a toujours pas été promulguée et demander une injonction contre une institution qui n’existe pas encore est très problématique », explique-t-il.
Il convient, selon lui, de noter que l’opacité totale entourant la promulgation de cette loi démontre que le gouvernement est également embarrassé par la situation actuelle. « Il est évident qu’au niveau du gouvernement, on se pose aussi des questions sur la constitutionnalité de la FCC. Cela me fait penser que le retard dans la mise en opération de cet organisme n’est pas anodin », dit-il.
De son côté, l’avocat Samad Goolamally est d’avis qu’étant donné que la FCC n’a pas encore été mise en opération, la décision du DPP de recourir à une plainte constitutionnelle est prématurée. « Ce sera toutefois à la cour de décider s’il faudra mettre l’entrée en opération de la FCC en suspens. Mais nous savons tous combien de temps prennent les procès à Maurice. Si la cour venait à ordonner le gel de l’entrée en opération de la FCC, Maurice risque de prendre du retard dans la lutte contre les crimes financiers. Il ne faut pas oublier que Maurice a des obligations envers la FATF, le FMI et d’autres institutions », souligne-t-il.
Pour l’homme de loi, ce serait une erreur d’abolir la FCC. Il considère qu’il serait plus juste d’apporter certains amendements à la FCC Act, en lien avec les points soulevés par le DPP. Il en profite pour lancer un débat. « L’article 72 de la Constitution stipule que seul le DPP est apte à initier une poursuite, mais après 56 ans d’indépendance, n’est-il pas temps d’avoir un regard neuf sur cette question et d’autoriser des autorités autres que le DPP à engager des poursuites ? » se demande-t-il.
La création de la FCC continue ainsi d’alimenter les débats et la controverse. Malgré l’adoption du texte de loi en décembre 2023, ce projet demeure toujours aussi brûlant. Et maintenant qu’il est entre les mains de la justice, il semble que les discussions ne font que s’intensifier, promettant un avenir incertain et potentiellement tumultueux.
La contestation du DPP
Invoquant l’article 83 de la Constitution, le DPP, Me Rashid Ahmine, conteste la légalité du FCC Act devant la Cour suprême, arguant qu’il contrevient aux articles 1 et 72 de la Constitution, ce qui le rendrait invalide. De plus, il soutient que l’adoption de cette loi par une majorité simple viole l’article 47(3) de la Constitution.
Il affirme que le FCC Act jette les bases pour l’établissement de la FCC, qui deviendrait l’entité principale à Maurice pour la détection, l’enquête et la poursuite des crimes financiers et infractions associées. Cependant, il argue que le FCC Act cherche à substituer le DPP par la FCC comme autorité principale pour les poursuites des délits financiers.
Le DPP déplore l’absence d’une disposition dans le FCC Act obligeant la FCC à lui fournir le dossier complet d’une affaire. Il craint que si la FCC décide d’interrompre une enquête, il ne soit pas informé ou qu’il le soit trop tard.
Le DPP maintient que l’indépendance de l’administration de la justice pénale de toute influence politique est un principe fondamental de l’État démocratique, établi par l’article 1 de la Constitution. Il soulève des préoccupations quant à l’influence politique sur les poursuites menées sous l’égide du FCC Act, en raison du rôle du Premier ministre dans la nomination du directeur général de la FCC et de ses commissaires.
L’audience de cette affaire est prévue pour le 9 mai 2024. Le DPP a engagé les services de Mes Sanjay Bhuckory et Narghis Bundhun, Senior Counsel, ainsi que Vimalen Reddi, Amira Peeroo et Sanjana Bhuckory.
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