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Nage aux côtés des baleines - Hugues Vitry : «Stop au harcèlement de nos cachalots»

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Depuis plusieurs années, une pratique controversée se poursuit dans les lagons mauriciens : la nage aux côtés des baleines et des cachalots. Bien que strictement interdite par la loi, cette activité attire de plus en plus de touristes et de plaisanciers. 

Seul le whale watching, c’est-à-dire l’observation respectueuse des mammifères marins depuis une embarcation autorisée, est toléré. Pourtant, depuis 2020, le phénomène a pris de l’ampleur : le nombre de bateaux proposant des sorties pour nager avec ces animaux a littéralement décuplé, donnant naissance à une véritable industrie parallèle devenue extrêmement lucrative. Ce tourisme sauvage, pratiqué en toute impunité, soulève depuis longtemps l’indignation des ONG locales qui ne cessent d’alerter sur les conséquences de ce harcèlement quotidien pour les mammifères marins.

Demande d’injonction 

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Hugues Vitry, spécialiste de la faune marine, alerte sur le harcèlement quotidien subi par les baleines et les cachalots dans les eaux mauriciennes.

Face à une situation jugée intenable, l’ONG Eco-Sud a décidé de franchir une nouvelle étape en saisissant la justice. Le 27 août 2025, elle a déposé une demande d’injonction en Cour suprême contre 23 parties locales et internationales impliquées dans le commerce illégal de la nage avec les cachalots, baleines et tortues marines. Les défendeurs visés par cette action incluent des opérateurs de bateaux, des skippers, des moniteurs d’apnée de renommée mondiale, des photographes sous-marins, des guides marins, des influenceurs et des directeurs de compagnies touristiques. L’affaire est emblématique : c’est la première fois qu’une telle procédure est engagée contre un réseau d’acteurs aussi vaste.

Le juge en Chambre, saisi en urgence, n’a toutefois pas souhaité émettre une injonction ex parte à ce stade et a décidé d’entendre d’abord les défendeurs. Eco-Sud demande que ces opérateurs cessent immédiatement leurs activités en attendant une action civile en responsabilité qui sera déposée prochainement. Dans cette action principale, l’ONG prévoit également de poursuivre la Tourism Authority, accusée d’avoir fermé les yeux durant de longues années et d’avoir ainsi permis aux contrevenants de s’enrichir sur le dos des mammifères marins. Le ministère des Pêches est aussi pointé du doigt pour n’avoir pas assumé son rôle depuis l’entrée en vigueur de la Fisheries Act 2023, qui lui confère la responsabilité d’assurer que les baleines, cachalots et tortues ne soient pas harcelés.

Harcèlement quotidien des cétacés

Le communiqué d’Eco-Sud est sans concession. Il décrit un harcèlement quotidien des cétacés, sous couvert d’une activité que certains présentent comme « respectueuse » et « durable ». En réalité, les investigations menées par l’ONG révèlent des dizaines de bateaux et des centaines de nageurs encerclant les animaux chaque jour, dans une mise en scène agressivement promue sur les réseaux sociaux.

L’organisation parle d’une véritable industrie aux tentacules internationales, dont le marketing tapageur attire chaque année des milliers de touristes venus du monde entier pour plonger aux côtés des cachalots et des baleines dans les eaux mauriciennes.

Les conséquences sur la faune marine sont graves. En plus des blessures causées par les moteurs de bateaux, ces intrusions incessantes perturbent le repos des cétacés et augmentent leur dépense énergétique. Des activités vitales comme la socialisation, la reproduction et l’allaitement sont perturbées par le bruit des moteurs, la proximité des nageurs et l’omniprésence des embarcations. Cette situation altère leur qualité de vie, réduit leur espérance de vie et menace la pérennité des populations.  Des études de la Mauritius Marine Megafauna Conservation Organisation soulignent que le nombre de cachalots résidents est passé d’une trentaine d’individus avant 2022 à environ 25 à la fin de 2024, confirmant une tendance inquiétante. La coïncidence entre ce déclin marqué et l’essor du commerce de la nage avec les baleines ne serait pas fortuite. Des photos de bébés cachalots grièvement blessés à la tête, diffusées sur les réseaux sociaux, ont choqué l’opinion publique et illustrent les préjudices subis par ces mammifères marins.

Situation alarmante

Pour Hugues Vitry, de la Mauritius Marine Megafauna Conservation Organisation, la situation est alarmante. « Les baleines et les cachalots ne sont pas des poissons mais des cétacés, des mammifères qui, comme les humains, ont le sang chaud. Ils sont devenus une attraction et ils sont harcelés à longueur de journée. Ils ne peuvent pas se nourrir, ni allaiter leurs petits, ni vivre tranquillement. Si cela continue, ces familles de cachalots vont quitter la zone pour aller vivre loin de l’activité humaine », explique-t-il. Selon lui, le déclin observé, de 55 cachalots autrefois recensés à environ 25 ou 30 aujourd’hui, est une preuve tangible de l’impact direct de ce harcèlement.

Sébastien Sauvage, responsable d’Eco-Sud, insiste lui aussi sur l’urgence d’agir. « Nous avons passé 10 ans à dire que c’était interdit et malgré la loi, l’activité a perduré. Ce ne sont pas seulement les grands mammifères qui sont impactés, mais aussi les dauphins et nos tortues. La loi existe, mais comment se fait-il qu’il y ait toujours des gens qui pratiquent ce genre d’activités avec un marketing stupéfiant ? Il faut un véritable changement de mentalité », martèle-t-il. Pour lui, cette action judiciaire n’est pas seulement une bataille légale, mais aussi un appel à une prise de conscience collective.

Les baleines jouent pourtant un rôle essentiel dans l’équilibre des océans. Elles contribuent à la régénération des écosystèmes marins, à la séquestration du carbone, au cycle des nutriments et à la production de phytoplancton, qui fournit une grande partie de l’oxygène de la planète. Leur disparition ou leur migration vers des zones éloignées de l’activité humaine représenterait une perte inestimable pour la biodiversité et pour l’environnement global.

Eco-Sud dénonce l’inaction des autorités, accusées de complicité passive. Les lois existent, mais elles ne sont pas appliquées. L’ONG reconnaît toutefois un changement récent à la Tourism Authority et salue la volonté de sa nouvelle direction d’inclure les ONG dans les discussions sur de futures réformes législatives. Les opérations menées en mer avec l’appui de la National Coast Guard sont également mentionnées, mais leur impact reste limité. Selon Eco-Sud, la bataille se joue autant, sinon davantage, sur les réseaux sociaux, où la promotion de cette activité illégale échappe encore au contrôle des autorités.

La demande d’injonction en Cour suprême, même si elle risque de prendre du temps en raison du nombre élevé de parties citées, marque une étape décisive dans la lutte contre ce commerce illicite. Pour les ONG, cette affaire pourrait constituer un test grandeur nature de la volonté réelle des institutions mauriciennes de faire appliquer la loi et de protéger durablement les mammifères marins. Car au-delà des enjeux touristiques immédiats, c’est la crédibilité du pays en matière de protection de l’environnement et de gestion de ses ressources naturelles qui est désormais en jeu.

 

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