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Monde des affaires : Cash & Carry, fin d’un modèle fragile et dépassé

Cash & Carry

L’histoire semble se répéter en moins de deux décennies. Maurice a témoigné de la chute de deux géants de l’électroménager. Après la mise en liquidation d’Howard & Sang et des magasins faisant partie de la nébuleuse au début des années 2000, le pays a appris la signature de l’arrêt de mort des entités opérant sous l’enseigne Cash & Carry, le mardi 22 décembre. Les promoteurs des deux chaînes sont les mêmes. Éclairage.

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La Covid-19 a si bon dos qu’on serait tenté de lui porter la croix de Cash & Carry. Or, des recoupements d’informations dans le secteur très compétitif de l’électroménager révèlent que l’enseigne a assuré son développement en misant sur un modèle que ses concurrents ont évité à tout prix. Quantité et minces profits, des accords différents à la pratique auprès des fournisseurs et synonymes de pression sur les finances, et une gestion que pointent du doigt des partenaires d’affaires d’antan et des nouveaux prestataires.

Première liquidation

Et ces critiques nous ramènent au début des années 2000. À l’époque, la famille Li Sung Sang domine l’univers de l’électroménager et de l’ameublement. Un symbole de ce statut est le Super Centre, bâtiment sis à rue Dumas, à un jet de pierre de la gare routière Victoria. Nombreux d’entre nous se sont fait un devoir d’y entrer et de s’y balader sans en ressortir avec un achat.

Tout bascule du jour au lendemain. À la demande d’une banque commerciale, le processus de mise en liquidation est entamé avec l’approbation de la Cour suprême pour chacune des succursales faisant partie du groupe. Un audit révèle le pire : mauvaise gestion, transferts d’argent vers des comptes personnels. Bref, il est question d’une fébrilité financière que personne n’aurait attribuée au Super Centre, JVC House, Li Sung Sang Electronics…

Disparaître avant de réapparaître

Cash & Carry se dévoile à l’acheteur. Dans chaque ville, par exemple, l’enseigne concurrence celles s’étant maintenues à flot. Dans les grands centres commerciaux, sa présence est incontournable. Le Mauricien friand de bonnes affaires trouve une alternative et lui fait confiance.
Ce succès, que nous rappelle d’emblée un concurrent, repose sur une formule qui pourrait craquer à tout moment. Auprès des fournisseurs en électroménager et téléphonie mobile, Cash & Carry prend un stock. Le paiement se fera dans un délai de 90 jours, voire 120 jours. Donc, la vente auprès du public devrait se faire dans ce laps de temps. Afin que ces ventes soient conclues dans les plus brefs délais, les prix sont inférieurs à ceux pratiqués chez la concurrence.

Vente de Rs 641, 9 millions

Jusqu’ici, le modèle fonctionne. À cet effet, prenons l’exemple de la compagnie Electron Ltd, incorporée en août 1998, et opérant en tant que Cash & Carry. Pour l’année fiscale se terminant au 31 juillet 2018, les ventes sont de Rs 641,9 millions. Après déduction des frais de distribution et d’administration et taxes, le bénéfice net est de Rs 4,27 millions.

Arrive la pandémie de Covid-19 et la fermeture des commerces non-essentiels pendant deux mois et demi. Pendant cette période, la direction de chaque magasin (un point de vente = une compagnie) s’assure de payer les salaires et la somme due aux fournisseurs. L’embellie intervient à la reprise avec les Mauriciens sevrés de shopping et désormais friands d’achats.

Il nous revient que vers la fin du troisième trimestre de 2020, la direction a payé Rs 300 millions à ses fournisseurs en produits électroménagers. Il leur serait resté une somme quasi similaire à rembourser. La confiance est de mise, car tout porte à croire que le volume d’affaires augmentera pour atteindre un niveau similaire à la période de pré-pandémie. 

Sauf que la direction s’est trompée dans ses calculs. Les ventes, comme partout ailleurs, ne suivent pas la tendance voulue après le redémarrage de l’économie locale. D’une part, il y a le paiement des fournisseurs. Et d’autre part, chacune des succursales a des charges récurrentes, dont la location et les salaires. 

Factoring

Intervient le 16 novembre, la nomination par les directeurs de Huns Biltoo comme administrateur. Cette décision drastique intervient sur le tard. Car, sous le couvert de l’anonymat, explique-t-on dans les milieux de Cash & Carry, la direction aura dû solliciter une firme dès septembre pour mettre les entités sous administration volontaire au lieu d’attendre que la situation s’envenime. Avec les Rs 300 millions en mains, des négociations aux retombées positives seraient dans le domaine du possible.

Qu’est-ce qui a précipité ce recours à Hans Biltoo et son équipe de proches collaborateurs de KPMG ? La réponse se trouve dans une formule qu’on appelle factoring. Ce service est offert par des banques et groupes financiers. D’habitude, dans une transaction normale entre un grand commerce et un fournisseur, ce dernier offre une période de 60, 90 ou 120 jours pour le paiement. Aujourd’hui, les banques et groupes financiers paient le fournisseur jusqu’à 90% de la facture. Après, la somme totale est recherchée auprès de l’acheteur.

Dans le cas de Cash & Carry, le ralentissement des ventes signifie une trésorerie quasi à sec. Décision est prise pour que les fournisseurs n’alimentent plus l’enseigne jusqu’à ce que le montant dû soit recouvré. Sans nouveau stock depuis fin octobre, les ventes s’assèchent. Les équipements affichés en succursales n’ont pas le même attrait auprès d’une clientèle habituée au neuf et au dernier cri. 

Cependant, la situation s’avère être plus compliquée. Les différents audits effectués, souligne une source proche de Cash & Carry, dévoilent de multiples manquements et des décisions illogiques : (i) si chaque compagnie et son magasin passent des commandes auprès des fournisseurs, tout le stock se retrouve au même endroit, dans un entrepôt loué auprès de la Banque de développement, (ii) les salaires pratiqués ne correspondent pas à ceux d’une compagnie ou d’un groupe ayant la capacité de se le permettre, (iii) des incohérences dans les rentrées d’argent et le montant crédité en banque, (iv) locations impayées pendant de multiples mois, (v) un stock n’ayant de la valeur que sur papier parce que la réalité aura démontré que l’électroménager est endommagé, entre autres.

Injections conséquentes

Afin de maintenir les différentes compagnies faisant partie de la nébuleuse Cash & Carry, des injections conséquentes auraient été requises dans les plus brefs délais. Dans le cas d’Electron Ltd, ce sont Rs 260 millions pour que la compagnie puisse continuer à exister. De plus, afin de couvrir les dépenses, des ventes supérieures à Rs 200 millions devraient se matérialiser sur les prochains six mois. Et les directeurs ont affirmé qu’ils n’ont pas accès à de tels fonds.

« À l’exception d’un miracle ou de l’arrivée d’un repreneur, la liquidation est inévitable », a résumé un interlocuteur. Au final, ce sont de telles accumulations d’erreurs et d’absence de décisions qui auront précipité la résolution fatidique, touchant 250 employés. Cette liquidation, dans un environnement légal certes plus moderne, ne cesse de rappeler les déboires des années 2000. Et les banques et institutions financières se retrouvent avec des montants à recouvrer, sans garantie aucune.

Pour la concurrence, les affaires moroses pourront se poursuivre dans un environnement où les prix et les pratiques commerciales reflèteront la réalité.

Dettes : CIM Finance et MCB arrivent en tête

L’audit effectué par KPMG Advisory Services de chacune des compagnies affichant l’enseigne Cash & Carry démontre que les principaux créanciers (des facilités non-garanties) sont CIM Financial Services et la Mauritius Commercial Bank Limited. Ces deux entités offrent des services de Factoring aux fournisseurs (paiement en amont aux fournisseurs sur les livraisons et récupération en aval auprès de Cash & Carry).

Une fois de plus, prenons en considération l’exemple d’Electron Limited. La compagnie doit une somme avoisinant les Rs 115 millions à CIM Financial Services. Envers la première banque commerciale du pays, la dette est de quelque Rs 54 millions. Autre créancier est King Bros Co Limited avec un montant de Rs 31 millions.

Voyons ensuite l’exemple de Discount Hyper Stores Ltd. Pour cette compagnie, l’endettement est à hauteur d’environ Rs 28 millions envers CIM Financial Services et Rs 17,47 millions envers la Mauritius Commercial Bank.

Autre exemple de sommes dues aux fournisseurs est le montant d’environ Rs 33 millions de Smart Point Ltd envers Three G Mobile (Mauritius) Ltd. Selon son site Web, c’est une entité régionale ayant une représentation à Maurice dont la ligne principale d’activité est la distribution de cellulaires et de tablettes. 


CIM Finance évoque la confidentialité

Tout en affirmant qu’elle ne peut aborder dans les détails la nature de ses engagements avec Cash & Carry, la direction de CIM Finance affirme que le partenariat s’est joué à deux niveaux : les clients au détail se prévalant des offres d’achat à crédit, et les fournisseurs optant pour les services de factoring. Ci-dessous, les commentaires de la direction de CIM Finance : « Cash and Carry était un partenaire « retail » de Cim Finance et de ce fait, les clients de Cash and Carry pouvaient se prévaloir de nos offres d’achats à crédit. (…) Nous travaillions aussi avec les fournisseurs de Cash and Carry à travers nos offres de Factoring. Le Factoring se décline en deux formules : le Factoring avec recours et le Factoring sans recours. À savoir que le Factoring sans recours est couvert par une assurance-crédit qui permet d’atténuer les pertes en cas de réclamations. (…) Cim Finance étant tenue par des clauses de confidentialité, nous ne pouvons malheureusement pas vous communiquer plus de détails sur le sujet. » 


Locations : des retards dans le loyer

Que ce soit les propriétaires du centre commercial de Bagatelle, du bâtiment Deramann, ou la Banque de développement qui lui louent un entrepôt, ils veulent tous que Cash & Carry vide les lieux. Raison : un retard conséquent sur les loyers. 

Des recoupements d’informations indiquent qu’un montant proche des Rs 8 millions est dû à Bagaprop (Bagatelle) ; quelque Rs 1,6 million envers la DBM (entrepôt de Coromandel) ; Rs 1,6 million à Deramann Limited (l’emplacement étant sis à rue Sir William Newton, Port Louis, une artère très fréquentée de la capitale). Ces retards de loyer s’étendent à d’autres emplacements, soit au Phoenix Mall, Plaisance Mall, l’emplacement sis à Route Royale, Quatre-Bornes et Manhattan, Curepipe.


Licenciements injustifiés ? : la direction de Cash & Carry devant le Redundancy Board

Le ministère du Travail ne lâche pas la direction de Cash & Carry d’une semelle. Les employés ont été priés d’alerter le Redundancy Board en raison de la situation à laquelle ils font face. Au niveau du ministère du Travail, on avance qu’une enquête est en cours afin de déterminer les raisons qui ont poussé la direction de Cash & Carry à avoir recours à la mise sous administration volontaire et pourquoi les employés des 11 enseignes n’ont pas perçu leurs salaires.

Un département du ministère du Travail est en train d’enquêter sur les raisons ayant contribué à la chute de l’enseigne qui comprend 11 filiales, à savoir : Discount Hyper Stores Ltd, Computer & Office Gallery Ltd, Discount Point Ltd, Electron Ltd, Smart Point Ltd, Discount Paradise Ltd, Cash Express Ltd, Discount Zone Ltd, Discount Stores Ltd, Cash and Carry Ltd et Cash & Discount Ltd. Selon des renseignements, « le dossier est en train d’être examiné » et des sanctions, si nécessaire, s’ensuivront. Des sources basées au ministère du Travail avancent que la direction de Cash & Carry devra s’expliquer sous peu devant le Redundancy Board dudit ministère. À partir de là, il sera décidé s’il faudra payer des indemnités de licenciement ou pas. Le paiement du temps de service des quelque 250 employés sera également évoqué.

Chômage technique

La mise sous administration volontaire de Cash & Carry n’a pu empêcher la fermeture du géant local de l’electromenager et de produits électroniques. Décision prise mardi par l’administrateur de la firme KPMG, Bhavesh Huns Biltoo. Les créanciers ont voté en faveur de la liquidation des 11 compagnies. Trois raisons ont été évoquées : la chute drastique de la vente, le loyer impayé durant ces six derniers mois et les fournisseurs ont cessé de fournir les 11 entités depuis que l’enseigne a été placée sous administration volontaire. Une réunion s’est tenue entre les représentants des employés, leur homme de loi et des préposés du ministère du Travail mercredi matin au siège du ministère du Travail, à la Victoria House, Port-Louis. Les employés ont été priés d’enclencher les démarches nécessaires, surtout qu’ils se retrouvent maintenant au chômage technique.

Wage Assistance Scheme

Contacté, Mariahven Caremben, conseiller auprès du ministère du Travail, confirme qu’une enquête a été initiée auprès dudit ministère afin de déterminer les causes du non-paiement des salaires des employés. Surtout que, précise notre interlocuteur, la compagnie a bénéficié du Wage Assistance Scheme (WAS) durant la période de confinement. « La loi est claire. Les compagnies qui ont bénéficié du WAS durant la période de confinement n’ont pas le droit de procéder au licenciement de leurs salariés », souligne Mariahven Caremben. Ce dernier confirme également que la direction de Cash & Carry sera appelée devant le Redundancy Board.

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