Le porte-parole de la People’s Cooperative Renewable Energy Coalition exprime de sérieuses inquiétudes face à la tendance du gouvernement de poursuivre la privatisation du secteur de l’énergie. Il critique aussi les Independent Power Producers, en affirmant qu’ils voudront sans doute se lancer dans le secteur des énergies renouvelables, mais selon les mêmes conditions qu’auparavant.
Le secteur énergétique est de nouveau touché par des allégations de corruption dans le cadre du contrat attribué à Corexsolar International Ltd. Qui porte la plus grande part de responsabilité dans de telles affaires : le Central Electricity Board (CEB), le ministère de tutelle ou les participants aux appels d’offres ?
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Je pense que tout cela signifie que tous les gouvernements manquent de crédibilité. Surtout quand on sait ce qui s’est passé pendant la pandémie de Covid-19 avec les scandales entourant l’acquisition de médicaments et d’équipements médicaux.
Le CEB est une institution relevant d’un ministère, et nous savons qu’il y a de nombreuses interférences politiques, avec des problèmes de nominations politiques et de copinage qui nuisent à l’État et à ses institutions. C’est pourquoi une réforme profonde de l’ensemble du système administratif et politique est nécessaire pour remédier à ces lacunes. L’ingérence politique est monnaie courante, ce n’est pas nouveau.
En ce qui concerne le CEB et la transition énergétique, au cours des 40 dernières années, la politique néolibérale a tout transformé en une marchandise : la mer, la vie, la santé, les transports, l’énergie… tout a maintenant un prix.
Lorsqu’on examine la CEB Act, on constate que le CEB a une mission très noble et que c’est une institution qui a énormément œuvré dans l’intérêt du pays. Aujourd’hui, le CEB n’est plus ce qu’il a été dans le passé. Nous constatons que 60 % de la production énergétique du CEB a été privatisée. Maurice n’aurait jamais dû laisser cela arriver.
Je ne dis pas qu’un ministre de tutelle doit nécessairement être un ingénieur, mais on doit mettre en place les politiques nécessaires pour aller dans cette direction. Cependant, lorsque les politiciens manquent de vision, ça part dans tous les sens.
Le rôle du CEB devrait consister à organiser la transition énergétique plutôt qu’à servir d’intermédiaire pour satisfaire des intérêts particuliers»
Lorsque je lis la feuille de route qui prévoit l’élimination du charbon d’ici 2030, c’est bien sur le papier, mais il y a plusieurs questions qui se posent. Le métro express était-il inclus dans ce plan initial ? Le secteur privé construit des villas, des hôtels et des cliniques privées, et il y a même des smart cities en développement. Les centres commerciaux se multiplient. Tout cela fait-il partie du plan global pour assurer une source d’énergie durable ?
On constate que le gouvernement n’a pas de véritable projet. C’est le secteur privé qui propose des projets et le gouvernement agit comme un courtier pour en tirer profit.
Le gouvernement n’a pas de véritable projet. C’est le secteur privé qui propose des projets et le gouvernement agit comme un courtier pour en tirer profit»
Malgré les crises et les scandales de corruption, notamment les arrestations de cadres du CEB en 2020 et la révocation d’Ivan Collendavelloo dans l’affaire St-Louis, les mêmes problèmes persistent. On observe des appels d’offres suspects et des liens inappropriés entre les soumissionnaires et le CEB. En sommes-nous arrivés au point où la confiance dans le secteur énergétique à Maurice est ébranlée ?
Bien sûr, le secteur de l’énergie ne suscite plus confiance, et cela ne date pas d’aujourd’hui. Depuis 12 ans, nous nous battons pour une transition énergétique démocratique à Maurice, et ni le CEB ni aucun ministre n’ont réussi à inspirer confiance dans ce dossier. Aujourd’hui, chaque parti politique blâme l’autre. Par conséquent, ce secteur ne suscite pas la confiance.
Les procédures d’appel d’offres doivent être plus transparentes. Les contrats entre les Independent Power Producers (IPP) et le CEB ont été conclus dans le secret. Ce n’est qu’en 2013, à travers la National Energy Commission, que ces contrats ont été rendus publics après avoir demandé l’arrêt du projet de la centrale à charbon CT Power, ce qui a permis la publication des contrats avec les IPP. Lorsque nous avons examiné ces contrats, nous avons découvert l’ampleur des pertes financières du CEB avec les IPP.
Aujourd’hui, il est impératif de rendre le processus d’appel d’offres plus transparent, car le ministre et le CEB sont responsables devant le public. Ce n’est pas une entreprise privée qui fait le salaire du ministre, mais c’est bel et bien l’argent des contribuables. Le CEB tire trois quarts de son financement des factures d’électricité, ce qui veut dire qu’il est avant tout redevable au peuple, et non aux entreprises qui participent à des exercices d’appels d’offre.
Sommes-nous arrivés à un point où le CEB est aujourd’hui devenu une vache à lait pour le secteur privé ?
Le CEB est devenu un courtier pour quiconque veut gagner de l’argent dans le secteur de l’énergie, et chaque gouvernement a progressivement affaibli son autorité au fil des ans, ce qui a miné la confiance en cette institution. Pourtant, le CEB est une grande institution qui doit être ramenée à son niveau d’origine, afin que la confiance puisse être restaurée en son sein. Le rôle du CEB devrait consister à organiser la transition énergétique plutôt qu’à servir d’intermédiaire pour satisfaire des intérêts particuliers.
Les dénonciations de la députée Joanna Bérenger ont immédiatement incité le CEB, ainsi que le ministre Lesjongard, à déposer une plainte auprès de la police, considérant ces accusations comme diffamatoires. Selon la députée, la direction du CEB et le ministre auraient dû simplement envisager d’ouvrir une enquête. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
Il s’agit là de l’attitude typique de l’État et du gouvernement MSM. À chaque fois qu’un projet fait l’objet d’allégations, ils préfèrent réprimer les lanceurs d’alerte au lieu de chercher à faire la lumière.
Je suppose qu’il est compréhensible, d’un point de vue commercial, que certaines informations ne puissent pas être divulguées, mais le CEB aurait dû rendre publics tous les documents relatifs au projet CorexSolar. D’après ce que j’ai pu lire dans la presse, il semble qu’il n’y ait jamais eu d’accord entre Terra et CorexSolar pour la vente ou la location de leurs terres dans le cadre de ce projet.
La direction du CEB, et le comité d’évaluation des offres, doivent fournir des réponses, d’autant qu’il existe une clause obligatoire exigeant la présentation de tous les documents relatifs à la propriété foncière.
Avec l’attribution de ce contrat de Rs 5 milliards à CorexSolar International Ltd, une grande entreprise entre, une fois de plus, sur le marché du secteur énergétique. Une pratique que vous avez toujours critiquée. N’est-il pas normal de faire appel à des entreprises importantes dans un secteur aussi crucial, compte tenu des enjeux et des défis auxquels ce secteur est confronté ?
Nous avons besoin de l’expertise internationale, mais cela ne signifie pas que nous devons privatiser le secteur de l’énergie au profit de sociétés multinationales. Le secteur des énergies renouvelables est en train de se développer progressivement, avec des avancées technologiques réalisées au cours des 30 dernières années. Donc, oui, nous avons besoin d’une expertise internationale, mais ce que le gouvernement est en train de faire, c’est de la privatisation, ce qui signifie que 60 % du secteur énergétique est actuellement aux mains de sociétés privées, dont certaines sont des compagnies sucrières.
Lorsque Ivan Collendavelloo était ministre, en 2015 et 2016, des contrats sur-mesure ont été attribués à des multinationales sans que les entreprises mauriciennes aient la possibilité de participer à un véritable appel d’offres. Les spécifications des appels d’offres stipulaient qu’il fallait avoir 10 ans d’expérience dans le secteur des fermes photovoltaïques, ce que personne à Maurice ne possédait en termes d’années d’expérience. Cependant, certaines entreprises mauriciennes étaient prêtes à relever le défi malgré leur manque d’expérience. Les spécifications exigeaient également une garantie bancaire de Rs 45 millions, ce qui a exclu la plupart des entreprises mauriciennes. Finalement, c’est la multinationale Quadran qui a remporté le contrat.
Nous avons suggéré la mise en place de schémas coopératifs impliquant les planteurs et les coopératives pour produire environ 60 à 80 MW d’énergie solaire intermittente. Les planteurs disposent déjà de terres abandonnées couvrant environ 40 000 arpents, et s’ils acceptaient, nous pourrions avoir plusieurs fermes photovoltaïques à travers le pays.
Cependant, Collendavelloo n’était pas intéressé. Je me souviens qu’il nous a reçus dans son bureau pour une réunion qui n’a duré que trente minutes, mais il a ensuite déclaré qu’aussi longtemps qu’il sera ministre, il n’autoriserait jamais un tel projet.
Pour des politiciens, il est normal de vendre toutes nos ressources et de faire des affaires, et ils en profitent également»
Ces personnes, en tant que politiciens, ont une vision politique de droite, qui est néolibérale. Pour eux, il est normal de vendre toutes nos ressources et de faire des affaires, et ils en profitent également. Pour eux, les coopératives ne sont pas une bonne chose.
Nous constatons qu’il y a récemment eu des IPP qui ont vu leurs contrats être renouvelés, alors qu’ils produisent de l’électricité avec du charbon, ce qui est en contradiction avec la vision du gouvernement.
Malgré les critiques fréquentes à l’encontre du ministre Lesjongard concernant l’objectif de produire 60 % de l’énergie, celui-ci maintient son optimisme. Lors d’une conférence de presse jeudi, il a déclaré que grâce au National Biomass Framework et aux discussions sur le biofuel lors du sommet du G20 en Inde, Maurice serait en mesure, selon lui, d’atteindre largement cet objectif. Quel est votre avis à ce sujet ?
Joe Lesjongard n’a pas réussi à convaincre. Il a mis en avant ce qui a été discuté en faveur des énergies renouvelables lors du sommet du G20. Mais là encore, ce sont des discussions qui vont favoriser les grandes multinationales.
Il est essentiel d’avoir un plan clair pour mener à bien la transition énergétique. À Maurice, cette transition n’est pas compliquée, car nous ne sommes pas un continent. Nous avons la possibilité de mettre en place un mix énergétique qui inclut des panneaux solaires, de l’énergie éolienne, et nous pouvons même ajouter l’énergie des vagues. Le CEB dispose déjà de centrales hydrauliques. Il n’est pas nécessaire de faire appel au secteur privé pour montrer comment réaliser cette transition énergétique.
En revanche, nous pouvons anticiper que les entreprises sucrières chercheront progressivement à éliminer le charbon, car elles prennent conscience des dangers pour l’environnement et sur leur propre santé. Elles ne s’engageront plus dans les énergies fossiles et vont vouloir produire de l’électricité avec les énergies renouvelables. Mais elles chercheront simplement à obtenir des garanties comme elles l’ont fait avec les énergies fossiles par le passé.
Aujourd’hui, la prise de conscience concernant le changement climatique est évidente. Nous constatons que le MMM a créé une commission durable, bien que cela n’ait pas été facile au départ. Il y a beaucoup à faire, mais il faut avoir le courage de dire non aux lobbyistes et de rendre le débat public pour que tout le monde puisse y participer.
Lors de la dernière année financière, le CEB a dépensé plus de Rs 7 milliards. Selon Joe Lesjongard, cette dépense est attribuable à la réduction significative de la bagasse au cours des dernières années, ce qui a nécessité un recours accru au charbon. De plus, le prix du charbon a connu une nette augmentation sur le marché international en raison de la pandémie de Covid-19 et du conflit en Ukraine. Que pensez-vous de ses explications ?
En 2013, lorsque nous avons examiné les statistiques, l’importation de l’essence et de l’huile lourde coûtait au gouvernement mauricien environ Rs 35 milliards par an. J’ai également vérifié en 2019, sous le régime MSM, et les chiffres étaient passés à Rs 37 milliards, soit une augmentation de Rs 2 milliards dans les importations d’énergies fossiles.
Les IPP semblaient avoir compris qu’ils ne pouvaient pas rester dans le secteur sucrier, alors ils ont investi dans les smart cities et les hôtels sur les terres qui étaient autrefois utilisées pour cultiver la canne à sucre. Depuis les années 1998, lorsque l’accord sur le sucre a pris fin, ils ont conclu des accords avec l’Union européenne. Ils ont reçu des fonds pour réformer l’industrie sucrière et sont passés à la production de sucre raffiné, ce qui leur a rapporté des milliards.
Aujourd’hui, nous constatons que le MSM travaille en faveur de ces établissements, créant ainsi une classe sociale privilégiée qui ne se plaint pas, car elle bénéficie de tous les avantages des établissements sucriers.
Vous êtes également membre de Rezistans ek Alternativ (ReA), qui a entamé des pourparlers avec l’alliance entre le PTr, le MMM et le PMSD. Ces partis politiques ont été fortement critiqués pour leur soutien aux IPP et au charbon. Est-ce que ReA encourage cette alliance à envisager un changement stratégique dans le secteur de l’énergie en collaboration avec les partis politiques traditionnels ?
Si nous nous engageons dans la direction d’un gouvernement de transition avec les partis de l’opposition parlementaire et extraparlementaire, nous allons surtout jeter les bases d’une transition démocratique. La question économique viendra plus tard.
Pour l’heure, nous sommes conscients que le gouvernement MSM a franchi une ligne rouge avec le meurtre de Soopramanien Kistnen et il est important de s’engager dans un projet de transition qui engloberait des changements structurels dans la Constitution et les cadres légaux régissant notre système. Il s’agit d’une réforme démocratique.
Les partis politiques doivent assumer leur responsabilité dans cette démarche. Bien que nous ayons souvent critiqué leurs erreurs, ils doivent maintenant prendre leurs responsabilités et admettre que des erreurs ont été commises par le passé.
La réforme démocratique vise à améliorer notre système électoral, mais elle doit également s’accompagner d’un cadre qui permette de destituer un député en cas de faute avérée. L’objectif ultime est de mener des élections dans un nouveau cadre, qui garantit une plus grande responsabilité et une meilleure représentation des intérêts du peuple.
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