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Méthadone à Maurice : entre traitement et trafic

Des fioles de méthadone et de « methabave » se vendent à Rs 200 dans certains endroits du pays.
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La distribution de méthadone dans les hôpitaux et postes de police fait des vagues. Les ex-toxicomanes sous traitement plaident pour une refonte totale du protocole. Ils montrent aussi du doigt des officiers du ministère de la Santé, alléguant qu’ils seraient impliqués dans le trafic de méthadone.

«Fer 15 an mo lor méthadone… » Steeve, un habitant de Sainte-Croix, ingurgite sa dose quotidienne dans l’enceinte du poste de police d’Abercrombie. Il ne mâche pas ses mots envers le protocole en vigueur : « Il n’y a aucune amélioration. » Il déplore les conditions « minables » dans lesquelles la méthadone est distribuée. « Lor la, si ou pa bwar, ou pou malad. Ou pou fat yen ek lerla ou pou bizin al drogue », poursuit l’ouvrier en construction.

« Noun tann dir ki bizin manze avan pran méthadone. Me minister donn sa 7 her dimatin. Lestoma ankor azin. Ki pou fer ? Bizin aksepte », dit Steeve. 

Il propose au ministère de la Santé et du bien-être de substituer la méthadone en sirop par des gélules afin de « faciliter la distribution aux patients ». 

Autre point soulevé par l’habitant de Sainte-Croix : l’approche des policiers envers les ex-toxicomanes. « Ena gard tret nou kouma zanimo. Zot fer dominer. Zot pa koz ar nou byen ek zot demann nou ouver nou sak pou zot fouye. Parfwa zot tap nou pou nanye », dénonce l’ancien prisonnier.
Centres de distribution

Robert, un autre ancien prisonnier, est sous traitement depuis 2009. La distribution de méthadone, dit-il, se déroule tous les jours et à la même heure. « Kan siklonn klas 3 ou klas 4, bann-la dir nou al pran nou méthadone dan lopital. Boss, pedale depi Sainte-Croix ziska lopital Jeetoo difisil sa. Lorla noun mouye net », lance Robert.

Il plaide pour que la distribution se fasse comme avant dans les centres de santé. « Bizin aret donn méthadone dan stasion lapolis. Minister bizin rekoumans donn sa dan sant kouma ti ete avan.» Et pourquoi donc ? « Parski laba ena infirmie ek so dokter ki anplas ek kapav ed ou si ou dan problem », explique l’ex-toxicomane. 

Berty, un autre patient domicilié dans la région de Sainte-Croix, est, lui, catégorique. Il soutient que « le traitement de substitution à la méthadone ne marche pas ». « Peut-être que le problème vient de moi… » estime-t-il. L’ex-toxicomane, qui a déjà été incarcéré pour assassinat, a fait de la prison à trois reprises, soit en 2010, 2014 et 2015. 

Il abonde dans le même sens que Robert et Steeve. « Le système actuel comporte de nombreuses failles. Il faut avant tout commencer par la décentralisation des points de distribution de méthadone », avance-t-il.

Rajeshwar, un autre ex-toxicomane sous traitement, prend sa dose quotidienne à l’hôpital Dr A.G. Jeetoo de Port-Louis. Ce dernier, qui se dit contre le protocole de distribution de méthadone, est patient depuis 2006. 

Il confie avoir eu l’occasion de séjourner en France. « Je vous assure que le protocole de distribution de méthadone aux ex-toxicomanes est bien mieux », affirme-t-il. Et d’ajouter : « il n’y a pas mieux que la méthadone pour traiter les personnes ayant une dépendance à la drogue. Mais la distribution doit se dérouler durant toute la journée. Pa nek gramatin. Bizin kouma farmasi. » 

Qu’en est-il du trafic de méthadone en dehors des points de distribution ? Un patient allègue, sous le couvert de l’anonymat, que ce serait les officiers du ministère qui s’adonneraient au trafic de méthadone en dehors des points de distribution. Il exhorte le ministère de mener une enquête approfondie sur ce qu’il se passe durant et après la distribution de la méthadone. 

« Nous avons la forte impression que les officiers chargés de la préparation, voire de la distribution de la méthadone, pourraient être mêlés au trafic. Ou kone kifer ? Se parski zot mem ki ar sa. Pasian-la nek bwar li », termine, pour sa part, Steeve.

Distribution sous haute surveillance au poste de police d’Abercrombie

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Distribution de méthadone au poste de police d’Abercrombie, vendredi.

Les divers points de distribution de méthadone seront placés sous haute surveillance policière, comme annoncé dans l’édition du Défi Quotidien du mardi 18 avril. La vigilance sera de mise, surtout depuis qu’un garçonnet de 3 ans a ingéré de la méthadone appartenant à une amie de sa mère, la semaine dernière. Ce qui a révélé que certains patients continuent de détourner cette substance en dehors des points de distribution. 

Le Dimanche/L’Hebdo était à proximité du poste de police d’Abercrombie vendredi. Pas moins de 10 policiers en uniforme étaient sur place. Certains officiers du ministère de la Santé et du bien-être distribuaient de la méthadone à travers les barreaux du poste de police, tandis que d’autres étaient dans le véhicule du ministère. L’exercice s’est déroulé dans le calme. 

Ally Lazer : « L’addiction des jeunes à la méthadone inquiète »

allyAlly Lazer, le président de l’Association des travailleurs sociaux de l’île Maurice (ATSM), tire la sonnette d’alarme. Selon lui, la distribution de méthadone se déroulerait sans contrôle, malgré la présence des officiers du ministère et de la police. 

Le ministère de la Santé et du bien-être a certes mis en place des protocoles que les patients sous traitement doivent suivre. Cependant, Ally Lazer pense qu’une « structure séparée » pour la distribution de méthadone devrait être mise en place, toujours en présence de la police.

Il constate que le trafic de méthadone est également un problème. Des fioles de méthadone et de « methabave » se vendent à Rs 200 dans certains endroits du pays, malgré les mesures de contrôle qui seraient en place. Ally Lazer s’alarme du fait que « les jeunes sont devenus accros à la méthadone ». « Leur addiction à la méthadone inquiète. Bann zen inn rant dan lanfer yen méthadone », déplore-t-il. 

Il demande par conséquent que le ministère procède à la diminution graduelle de la dose quotidienne de méthadone pour éviter le trafic. D’autant que l’utilisation de méthadone sans surveillance ou sans prescription médicale peut entraîner des effets secondaires graves, y compris la dépendance et l’overdose.

En conclusion, Ally Lazer appelle les autorités à prendre des mesures urgentes pour contrôler la distribution de la méthadone dans le pays afin de prévenir l’addiction des jeunes et le trafic. 

Le ministère de la Santé : «Hors de question de substituer la méthadone par un autre produit»

En 2015, l’ancien ministre de la Santé, Anil Gayan, avait suscité la controverse en proposant de substituer le traitement à la méthadone par le subroxone ou le naltrexone. Cette proposition avait été vivement contestée par les associations et ONG travaillant auprès des toxicomanes sous traitement, qui plaidaient en faveur de l’efficacité de la méthadone, un produit ayant fait ses preuves à Maurice et à l’étranger. À ce jour, le ministère de la Santé et du bien-être assure qu’il est hors de question de remplacer la méthadone par un autre produit.

La méthadone, rappelle le ministère, est une substance contrôlée utilisée pour traiter la dépendance aux opioïdes (comprenant l’héroïne) : « Les programmes de traitement de la dépendance aux opioïdes à Maurice peuvent inclure la dispensation de méthadone à des patients éligibles, qui sont ensuite surveillés et évalués régulièrement pour leur progression et leur réadaptation. » 

Le traitement de la dépendance aux opioïdes est souvent associé à des services de soutien supplémentaires, ajoute-t-on. 

7 500 personnes sous traitement

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7 500 personnes sont sous traitement à la méthadone, dont environ 400 femmes.

Le Dr Nitish Raj Sookool, Officer-in-Charge de la Harm Reduction Section du ministère de la Santé et du bien-être, révèle que 7 500 personnes sont actuellement sous traitement à la méthadone. De ce nombre, on compte environ 400 femmes, ce qui représente 7 % du total. 

Combien de temps dure le traitement ? Il répond qu’il n’y a pas de durée spécifique établie, mais qu’une dose de maintenance est nécessaire pour prévenir la rechute. Le Dr Sookool explique que les recherches menées ces cinq dernières années ont montré que la diminution graduelle de la dose de méthadone entraînait une forte rechute chez les patients sous traitement. Par conséquent, le volume de méthadone est maintenu, voire augmenté si nécessaire, afin de prévenir la rechute.

Le Dr Sookool souligne également que le taux de rétention des patients sous traitement à la méthadone est très élevé, atteignant 97,5 % sur une année. C’est l’indicateur de choix pour évaluer le succès d’un programme de traitement, dit-il. 

N’y a-t-il pas un risque d’addiction à la méthadone à travers ce programme ? Selon le Dr Sookool, « les stratégies de réduction des risques en matière de consommation de drogues incluent le programme de substitution à la méthadone, qui consiste à remplacer l’héroïne, également un opiacé, par la méthadone ». Cependant, ajoute-t-il, les personnes ayant accès à la méthadone de manière illicite peuvent développer une forte dépendance à cette substance. 

Le Dr Sookool insiste sur l’importance de passer par une approche médicale pour l’induction de méthadone afin d’éviter les effets négatifs d’une prise en charge non-médicalisée.

Nouvelles mesures bientôt en vigueur

Un nouveau protocole pour la distribution de méthadone a été annoncé. Selon des sources proches du dossier, le ministère de la Santé mettra progressivement en place ces mesures. 

« Le nouveau protocole pour la distribution de méthadone ne pourra pas être appliqué du jour au lendemain. D’importants mécanismes tels que la sécurité du personnel de santé, la logistique, les équipements ainsi que la disponibilité des infrastructures, doivent être mis en place pour prendre en compte les besoins des patients », déclare-t-on.

Concrètement, la distribution de méthadone ne se fera plus dans des postes de police, mais dans des dispensaires et des cliniques médicales. Cette mesure vise à réduire le trafic de méthadone entre toxicomanes, en permettant au patient de consommer sa dose quotidienne sur place. Cette approche rendra le trafic quasi impossible. 

De plus, le personnel soignant de la Harm Reduction Unit sera disponible pour effectuer des consultations en soirée et même le dimanche matin, en plus des heures habituelles, pour faciliter la prise en charge des patients. En ramenant les toxicomanes vers les centres de santé, le personnel soignant sera en mesure d’assurer un meilleur suivi médical, psychologique et social. 

Ces nouvelles mesures visent donc à améliorer la prise en charge des patients et à leur offrir un traitement plus sûr et efficace. 

Anil Gayan : « Le ministère commet une grave erreur »

anilAnil Gayan critique le nouveau protocole de distribution de méthadone annoncé. L’ancien ministre de la Santé indique qu’il existe un vaste trafic de méthadone à travers le pays et il craint que la nouvelle approche ne génère de gros problèmes. « Je pense que le ministère est en train de commettre une grave erreur. Ce nouveau protocole génèrera de gros problèmes », dit-il. Il propose plutôt la distribution de la méthadone dans les postes de police, comme cela a été mis en place lorsqu’il était ministre de la Santé. 

L’ex-ministre souligne également la gravité de la faille dans le système actuel qui permet à des enfants de 3 ou 4 ans d’avoir accès à des fioles de méthadone, une substance pourtant contrôlée par le ministère de la Santé et du bien-être. Anil Gayan exprime également ses inquiétudes quant à l’impact de la nouvelle approche sur la jeunesse, soulignant qu’elle pourrait être très difficile pour eux en raison du laxisme constaté dans le système actuel.

Anil Gayan dit espérer qu’avec le nouveau protocole, la distribution de la méthadone ne causera pas de dommages dans les dispensaires et autres cliniques médicales.

 

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