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Marché du travail - Jeunes diplômés chômeurs : comment inverser la tendance

48 400 sans-emploi recensés en 2021.
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Les jeunes diplômés constituent 21 % des 48 400 chômeurs recensés en 2021. Qu’est-ce qui explique ce phénomène ? Quelles perspectives pour ces derniers avec le nombre croissant de jeunes qui entreprennent des études supérieures ? Le point.

Des 48 400 sans-emploi recensés en 2021, la majorité est âgée entre 16 et 24 ans. Les jeunes diplômés en constituent 21 %. Données sur le chômage publiées par Statistics Mauritius la semaine dernière. La question est posée : pourquoi ceux qui ont fait des études supérieures peinent-ils à trouver du travail ?

Ravish Pothegadoo, directeur de l’agence de recrutement Talent on Tap.
Ravish Pothegadoo, directeur de l’agence de recrutement Talent on Tap.

D’emblée, Ravish Pothegadoo, directeur de l’agence de recrutement Talent on Tap, fait comprendre que le pourcentage de jeunes diplômés au chômage « est difficilement recensable ». « Qu’en est-il des jeunes qui font l’ACCA par exemple ? Ce ne sont pas des diplômés et il n’y a pas forcément d’équivalence. Beaucoup de nos jeunes suivent cette formation », fait-il valoir. 

Expérience de travail 

Ravish Pothegadoo ne recommande pas aux étudiants d’entamer un Master sans expérience de travail au préalable. « L’employeur pense que le candidat avec un Master va chercher une autre opportunité dès que possible. Et le titulaire du Master ne comprend pas pourquoi il ne décroche pas d’emploi », dit-il. 

Kenlay Clair et Melissa Prosper, respectivement fondateur et directrice de Motravay.mu, confirment qu’il y a sur le marché pas mal de jeunes diplômés chômeurs avec peu d’opportunités disponibles pour ceux qui n’ont pas d’expérience. « Plusieurs entreprises préfèrent recruter des personnes expérimentées », disent-ils.

Kenlay Clair et Melissa Prosper, respectivement fondateur  et directrice de Motravay.mu.
Kenlay Clair et Melissa Prosper, respectivement fondateur et directrice de Motravay.mu.

Réorientation 

Selon le directeur de Talent on Tap, il faut permettre la réorientation comme en Europe, dès la première année universitaire, suivant les tendances actuelles du marché de l’emploi. Il estime qu’il faut davantage préconiser, voire imposer un programme d’alternance études / emploi.

Opportunités

« Il y a pas mal de postes qui sont disponibles en ce moment », affirme Kenlay Clair. Ravish Pothegadoo abonde dans le même sens. « Je ne vais pas citer les postes vacants sur les ‘job boards’. Je vais plutôt recommander une ouverture d’esprit de la part des diplômés. Il faut toujours commencer quelque part : un étudiant ayant complété un Bsc en Management ne deviendra pas forcément un Manager dès sa sortie de l’université. Il faut que nos jeunes le comprennent », martèle-t-il.

Le recruteur souligne que débuter au bas de l’échelle est formateur. « Combien de modules académiques ne sont pas mis en pratique dans un emploi ? Qui apprend à utiliser Sicorax ou Quickbooks à l’université ? » lance-t-il. 

Même son de cloche du côté de la directrice de Motravay.mu. Des jeunes peuvent détenir des diplômes mais il y a des choses qu’on apprend sur le tas, assure Melissa Prosper. « Par exemple, apprendre les bases des ressources humaines à l’université et le mettre en pratique n’est pas pareil. C’est pourquoi de nombreuses entreprises misent sur la formation continue en mettant sur pied leur propre école de formation. » 

Salaire et horaires

Certains jeunes ne veulent pas travailler pour des « petits salaires ». Autre hic : les horaires. « Plusieurs sociétés recrutent mais les horaires sont décalés. Ce qui freine les jeunes à accepter les postes à pourvoir. Sans parler de ceux qui souhaitent commencer avec un seuil de salaire mais dont le manque d’expérience est un frein », précise la directrice de Motravay.mu. 

Soft skills, savoir et communication

Les jeunes diplômés, avance Ravish Pothegadoo, doivent miser sur les « soft skills ». « Disons que lors d’un entretien, nous avons cinq diplômés issus de la même institution d’enseignement supérieur et avec la même formation (ayant plus ou moins les mêmes connaissances). Hormis la présentation et d’autres critères, le choix du recruteur se portera sur celui ou celle qui sait communiquer et se ‘vendre’ le mieux. »

Melissa Prosper de renchérir que chez certains postulants, la communication et le savoir font défaut. « Ils n’ont pas forcément ces acquis. Ils ne peuvent s’affirmer ou présenter leurs idées. Ce qui décourage des employeurs à les recruter. C’est pour cela que SME Mauritius, le JCI et d’autres entités mettent sur pied des formations gratuites pour que les jeunes puissent développer leurs aptitudes. »

Persévérance 

Ravish Pothegadoo est d’avis qu’il faut, d’autre part, faire preuve de persévérance dans la recherche d’emploi et explorer toutes les possibilités. « Combien de jeunes diplômés n’ont pas de compte LinkedIn ? Mais Facebook, oui. » 

Mismatch

Le « mismatch » est une des raisons avancées pour expliquer pourquoi les jeunes peinent à trouver du travail. Au dire du directeur de Talent on Tap, ce problème très local remonte à au moins 10 ans. À l’époque, Maurice n’avait qu’une seule ou deux institutions d’enseignement supérieur. 

Ravish Pothegadoo évoque la question des première, deuxième et troisième options au moment du choix des études supérieures. « À défaut du premier choix et pour ne pas ‘perdre de temps’, les étudiants optent pour leur deuxième ou troisième choix. Or quel emploi pour un étudiant ayant terminé un BA Politics par exemple ? »

Cela fait dire au directeur de Talent on Tap que « le ‘mismatch’ sera un problème toujours existant ». Il cite le cas des diplômés en Langues aspirant à devenir enseignants mais qui se retrouvent confrontés à un effet entonnoir entre l’offre et la demande. « Ces jeunes ne voudront jamais commencer dans un BPO. Heureusement que certains sont assez lucides pour se reconvertir dans un autre domaine (l’informatique par exemple) et n’attendent pas deux-trois ans de chômage. »

Le gouvernement peut revoir à la hausse la subvention allouée aux diplômés, propose pour sa part Kenlay Clair. « Ce qui leur permettrait de souffler en attendant de trouver du travail. »

chomage

Secteurs porteurs

L’informatique, l’offshore, la comptabilité, la vente, l’hôtellerie, les secteurs liés à la technique et autres sont ceux qui recrutent, indique la directrice de Motravay.mu. Si les employeurs étaient quelque peu frileux en raison de la pandémie, craignant notamment un autre confinement, « les choses ont repris », assure Melissa Prosper. 

Incentives 

SME Mauritius travaille d’arrache-pied sur des « incentives » pour encourager l’employabilité des jeunes à travers plusieurs initiatives, en sus des placements. « Les employeurs sont un peu frileux de passer par le Youth Employment Programme car les remboursements prennent du temps », note Melissa Prosper.

 

Trois profils de candidats 

Sur le journal de l’emploi en ligne de Myjob, on retrouve trois profils de candidats, indique Astrid Vuddamallay, Talent Management Lead : 

  • Ceux qui sont au chômage et qui souhaitent réintégrer ou intégrer rapidement un nouvel emploi.
  • Ceux qui sont en poste mais qui recherchent activement une nouvelle opportunité. 
  • Ceux qui font une recherche préventive. Il s’agit de candidats bien installés dans leurs postes actuels, qui ont de belles formations et des années d’expérience à leur actif et qui prospectent le job taillé sur mesure pour eux. Et profitent ainsi des nouvelles tendances d’emploi sur le marché.

  Témoignages

Deveshraj Gunesh, 25 ans, diplômé : « Les salaires ne sont pas attrayants »

C’est en 2021 que Deveshraj Gunesh a terminé ses études. « Depuis, je suis au chômage. » L’habitant de Nouvelle-France est détenteur de deux diplômes en Marketing et Communication et d’une licence en Business Management du Charles Telfair Institute. 

« J’essaie de travailler à mon compte en attendant de trouver un emploi. J’ai postulé dans plusieurs entreprises et j’ai reçu des réponses positives. Sauf que les salaires proposés ne sont pas attrayants », fait ressortir Deveshraj Gunesh. 

On lui a proposé des salaires dans la fourchette de Rs 13 000 à Rs 15 000. Un montant qu’il estime trop bas, en comparaison à la somme qu’ont investie ses parents pour ses études, soit Rs 800 000. 
« Je songe à émigrer au Canada. Selon des amis, il y a beaucoup d’opportunités là-bas. Si on fait face à un exode des cerveaux, c’est justement parce que des jeunes n’ont pas la place et le salaire qu’ils méritent, alors qu’à l’étranger ils sont valorisés. », lance-t-il.

Jayven Poinen

Jayven Poinen, 24 ans, diplômé : « J’ai pris un emploi pour acquérir de l’expérience »

Il est rentré de l’Inde il y a trois mois après des études de licence en psychologie et marketing. « Cela fait un mois que j’ai trouvé du travail. Ce n’est pas dans ma filière de prédilection. D’ailleurs, il n’y a pas beaucoup d’opportunités pour les psychologues à Maurice », confie Jayven Poinen. 

L’habitant de Rose-Hill raconte qu’il pensait trouver du travail comme psychologue industriel. « Je ne pensais pas que cela allait être aussi difficile. J’ai envoyé ma candidature mais j’ai eu des rejets car les employeurs sont à la recherche de personnes avec au moins deux à cinq ans d’expérience. »

Jayven Poinen fait remarquer que les employeurs sont peu nombreux à offrir des formations. « Et si c’est le cas, il y a un ‘bond’ à signer. Tout cela est démotivant. » 

Il travaille actuellement dans le secteur de l’achat pour un restaurant. « Certes, ce n’est pas dans ma filière. Cependant, j’estime que cela va m’aider à acquérir de l’expérience. J’avais un choix à faire. Rester au chômage ou prendre n’importe quel emploi dans un marché du travail qui est difficile. Je dois gagner ma vie et de l’expérience. »

Questions à… Roland Dubois, directeur de Roland Dubois Consulting Ltd : «Il faut des informations crédibles pour proposer des solutions valables»

Roland Dubois

Quelle lecture faites-vous de la situation ?
On traverse deux catastrophes majeures avec la Covid-19 et la guerre russo-ukrainienne, et des problèmes climatologiques. Cela a certainement eu des conséquences négatives sur le monde du travail, affectant l’emploi. 

Ce phénomène de diplômés chômeurs existe depuis longtemps. En 1979, ils avaient protesté véhément, ce qui avait valu la nomination du « Visitor » Jean Marc David pour revoir les programmes de formation de l’université de Maurice. À l’époque, il n’y avait que trois écoles (Industrial Technology, Agriculture et Administration des Entreprises). 

À ce jour, le nombre de programmes de formation a beaucoup augmenté. Le nombre d’étudiants fréquentant et l’université de Maurice et d’autres institutions d’enseignement supérieur publiques et privées est passé à presque 50 000 annuellement, d’autant que les cours sont gratuits pour la licence dans les institutions publiques, hormis les frais administratifs. 

Donc, 13 années d’éducation menant à un School Certificate et un Higher School Certificate, parfois avec des résultats peu brillants, puis 3 ou 4 années d’études à l’université. Par manque de place, certains suivent des cours dans des filières qui ne leur conviennent pas. L’important pour eux, c’est l’obtention d’une licence universitaire. 

Quid de la formation technique et professionnelle (ETFP), le parent pauvre, qui ne bénéficie que de 2 % du budget annuel alloué au secteur éducatif. Et ce, alors que les pays du continent africain, Singapour, la Suisse, l’Allemagne, entre autres, mettent l’accent sur l’EFTP pour l’avenir de leurs jeunes et leur pays en général.

21 % de diplômés chômeurs, n’est-ce pas inquiétant ?
De ces 21 % (10 000), tous ne sont pas des diplômés. On a tendance à confondre études supérieures (pouvant mener à un certificat, un diplôme ou une licence) et études menant à une licence uniquement. 

Il faut déterminer le vrai nombre de diplômés qui sont au chômage. Dans quelles filières trouve-t-on plus de diplômés chômeurs ? Quelles sont les filières qui peinent à recruter ? 
Un autre aspect important à considérer est la durée pendant laquelle un diplômé reste au chômage. Il faut avoir des informations complètes et crédibles si on veut pouvoir analyser la situation des diplômés chômeurs à Maurice et proposer des solutions valables et des décisions éclairées. 

Autre question : les institutions d’enseignement supérieur ont-elles consulté les employeurs avant d’offrir ces programmes de formation ? Je me rappelle qu’il avait été proposé de mettre sur pied un Consultative Committee dans chaque institution publique, pour une meilleure collaboration industrie – institution d’enseignement supérieur et ainsi réduire l’inadéquation entre l’offre et la demande (« mismatch »).

Justement, les programmes de formation offerts sont-ils en adéquation avec la demande des employeurs ? 
D’après une étude commanditée par le ministère des Finances en 2014 par le Skills Working Group qui pilotait le Youth Employment Programme, les employeurs soulignaient à 60 % qu’il n’était pas difficile de trouver des jeunes avec des qualifications académiques. 

En revanche, à plus de 80 %, ils disaient qu’il était difficile de trouver des jeunes avec de l’expérience, une bonne attitude et une bonne culture de travail, et les compétences recherchées. De plus, les jeunes ne maîtrisaient pas les « business languages » que sont l’anglais et le français, si nécessaires pour la communication. La qualité des diplômes faisait aussi défaut dans certains cas. 

Les employeurs sont-ils au courant des compétences que possèdent leurs employés ? Connaissent-ils les compétences associées à chaque travail dans leur organisation ? Je ne me réfère pas ici aux qualifications, mais aux compétences. Qu’est-ce que chaque employé peut faire ? Qu’est-ce qu’un travail demande comme compétences ? 
Il serait opportun pour chaque employeur d’avoir une base de données des compétences de tous ses employés et des compétences que requiert chaque poste dans son entreprise. Cela lui facilitera la tâche lors des exercices de recrutement et promotion. 

Aussi, chaque employé peut connaître ses compétences et ce qu’il lui manque pour pouvoir aspirer à un autre palier dans la hiérarchie de l’entreprise. Il pourrait ainsi développer ces compétences manquantes et postuler un emploi à un plus haut niveau, ce qui serait un atout pour lui.  

Selon vous, quels sont les filières d’avenir ?
Aujourd’hui, la quatrième révolution industrielle nous permet, par le biais de l’intelligence artificielle, de constituer ces bases de données qui auraient été très difficiles à réaliser manuellement, quand on sait que chaque individu peut avoir environ 35 compétences. 

Comme le soulignait Christoph Winterhalter, président du Directoire du DIN dans son édito, Une nouvelle révolution en devenir, « L’Industrie 4.0 incarne ce que l’on appelle la Quatrième révolution industrielle, qui englobe de nombreux changements sociétaux, professionnels, sectoriels et technologiques. Elle représente la transformation numérique des marchés industriels, dans laquelle la fabrication intelligente joue actuellement un rôle de premier plan. L’Industrie 4.0 renforce l’innovation et l’économie ». 

Ainsi, tous les jeunes d’aujourd’hui indistinctement doivent maîtriser à la base les compétences digitales et comportementales et avoir une culture de formation continue pour pouvoir réussir dans le monde futur du travail.

 

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