Trouver un emploi quand on a eu des démêlés avec la justice est un véritable parcours de combattant. C’est en vue d’empêcher toute discrimination de ce genre sur le marché du travail que le gouvernement a récemment amendé la loi. Dans la pratique, certaines entreprises, même si elles sont peu nombreuses, emploient déjà des ex-détenus.
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11 février 1987. Une date qui est gravée dans la mémoire de Rodo, actuellement âgé de 64 ans, car c’est ce jour-là qu’il a fait de la prison pour la première fois. Il a écopé d’une peine de quatre ans d’emprisonnement pour consommation de drogue. Au cours de son existence, Rodo fera six fois la prison pour des délits de drogue (Ndlr : il est tombé dans l’univers de la drogue en raison de mauvaises fréquentations qu’il a eues).
« Quand on a un casier judiciaire en poche, il devient quasiment mission impossible de décrocher un job », fait-il ressortir. Toutefois, la chance lui sourit en 2009, quand il trouve un emploi « d’homme à tout faire » dans une organisation non-gouvernementale. « Grâce à cet emploi, j’ai une nouvelle vie. J’obtiens un salaire. Je suis désormais financièrement indépendant. Cela me permet de rester dans le droit chemin », fait ressortir Rodo qui est veuf.
Outre certaines ONG, plusieurs entreprises emploient déjà des gens qui ont eu des démêlés avec la justice. Le Défi Quotidien a pris contact avec cinq de ces entreprises (Ndlr : elles évoluent dans le domaine de l’alimentaire, la construction, l’immobilier ou encore le manufacturier). Toutefois, une seule d’entre elles a bien voulu nous parler de ses recrutements « peu communs ».
Capacités d’adaptation
Direction donc à la Tour-Koenig, dans une entreprise spécialisée dans la production alimentaire. « À ce jour, nous avons recruté deux ex-détenus et nous sommes disposés à en accueillir d’autres », explique d’emblée le directeur général de la compagnie qui préfère garder l’anonymat.
De ces deux recrutements, le premier l’a marqué à vie. L’employé en question est âgé d’une quarantaine d’années et a déjà fait de la prison. Pour quel délit ? « On n’a pas voulu le savoir. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas le passé de cette personne, mais ses compétences et ses capacités d’adaptation », explique le directeur. Et en termes de compétences, l’ex-détenu ne manquera pas de qualité : il est bosseur, déterminé, persévérant.
« Tous les jours, il marchait de l’Abri de St Jean où il passe ses nuits pour venir travailler à la Tour Koenig. Il gardait les frais de transport qu’on lui remettait pour des petits besoins au quotidien comme acheter des cigarettes. On le sentait animé par l’envie de s’en sortir », explique notre interlocuteur. Et pour mieux l’aider dans son intégration au sein de la société, la direction de la compagnie lui a offert un portable et l’a aidé à ouvrir un compte bancaire.
Toutefois, après une année passée au sein de l’entreprise, l’ex-détenu a soumis sa lettre de démission. « Il avait obtenu un emploi plus près d’où il résidait. Nous sommes tristes qu’il soit parti. Quoi qu’il en soit, nous sommes fiers de son parcours et nous sommes contents qu’il ait pu nous citer comme référence pour obtenir un autre emploi », avance notre interlocuteur. Quant au deuxième ex-détenu que l’entreprise a recruté, il est parti au bout de deux jours.
« Il avait des problèmes de santé », indique le directeur de l’entreprise. En amendant récemment l’Equal Opportunities Act, le gouvernement espère que d’autres entreprises suivront le pas. En ligne avec leur programme 2015-2019, les autorités visent, en effet, à accroître la possibilité de recrutement des personnes reconnues coupables d'infractions et de délits mineurs.
« Nous voulons proscrire la discrimination sur le marché du travail, en raison du casier judiciaire, tant au niveau du recrutement que de la promotion, lorsque le casier judiciaire d'une personne n'est pas en relation avec la nature de son travail », avait résumé le Premier ministre Pravind Jugnauth, à l’Assemblée Nationale.
Certains patrons ne sont pas restés insensibles à ce message.
Réactions
Jane Ragoo : « C’est une façon de protéger la société »
« C’est une bonne chose d’avoir amendé la loi à cet effet, car le travail apporte de la dignité à une personne et lui permet de faire vivre sa famille », souligne Jane Ragoo, porte-parole de la Confédération des travailleurs du secteur privé. « En recrutant des personnes qui ont commis des délits », avance-t-elle, « les employeurs protègent d'une certaine façon la société. Il faudrait aussi revoir la loi pour ceux qui ont commis de délits plus graves », recommande-t-elle.
Michel Vieillesse : « C’est un pas dans la bonne direction »
Pour Michel Vieillesse, directeur de l’Association Kinouete, ces amendements sont un pas dans la bonne direction. « D’autant plus », soutient-il, « que les
ex-détenus ont beaucoup de difficultés à obtenir un emploi ou une promotion sans un certificat de caractère. Toutefois, la loi seule n’est pas suffisante. Les employeurs ont ainsi un rôle à jouer. Il faut qu’il y ait une volonté de leur part pour intégrer les ex-détenus », fait-il ressortir. Et de conclure : « Si le délit n’est pas lié au travail, l’ex-détenu, comme n’importe qui, a toutes ses chances de faire ses preuves sur le marché du travail. »
Frère Antonio Ah-Yoon : « Beaucoup de jeunes sont pénalisés »
Le frère Antonio Ah-Yoon, responsable de La Passerelle qui est un centre d’accueil pour la réinsertion des prisonniers dans la société, accueille favorablement cette décision, met émet, toutefois, certaines réserves.
« Entre le dire ou le faire, il y a un grand pas. La majorité des jeunes qui ont eu des problèmes avec la justice sont pénalisés lors des exercices de recrutement. C’est bien qu’il y ait la loi, mais avant tout, ce sont les patrons qui doivent changer de mentalité », avance-t-il.
Imran Dhanoo : « Un bon point »
Si Imran Dhanoo, directeur du Centre Dr Idrice Goomany et travailleur social, estime que la décision du gouvernement est un « bon point », il est, toutefois, d’avis qu’il faut pousser plus loin la réflexion notamment sur le certificat de caractère qui demeure « problématique ».
Que faut-il comprendre par délit mineur ?
« Quand une personne fait de la prison, que le délit soit mineur ou pas, cela devient une tache sur sa carrière. Il est perçu comme un voyou ou un fauteur de troubles », explique Me Siven Tirvassen. Conséquence, avance-t-il, les employeurs sont réticents à recruter. « Du coup, certains retombent dans l’enfer des délits : vol, vente de drogue, violence », explique notre interlocuteur.
Commentant les amendements apportés par l’Equal Opportunities (Amendement) Bill, Me Siven Tirvassen estime qu’il faut faire la différence entre un délit grave et un délit mineur. « À titre d’exemple, si une personne doit payer une amende, mais n’a pas le moyen de s’en acquitter, il sera condamné à 15 voire 20 jours de prison. Ce genre de délit – mineur dans ce cas précis, mais très fréquent à Maurice -ne doit pas l’empêcher de décrocher un job », fait-il ressortir.
L’homme de loi nous donne deux autres exemples de délit mineur. « Si vous avez giflé une personne, c’est considéré comme un cas d'agression. Si vous avez volé des letchis chez un voisin, cela devient un vol. Dans le premier cas, vous écopez d’une amende et, dans le second cas, vous pouvez être condamné à un mois voire deux mois de prison », explique-t-il. Pour Me Siven Tirvassen, tout est une question de la « gravité de l’offense » et de la « sévérité de la sentence ».
« Les deux marchent de pair. Plus votre sentence est longue, plus le délit est grave », ajoute-t-il. L'homme de loi est, par ailleurs, d’avis qu’il ne faudrait pas qu’un accident de la route soit un frein à la carrière d’une personne.
« Les accidents sont involontaires, même quand il y a mort d’homme. Il faudrait les considérer comme un délit mineur », conclut-il.
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