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Manifestations à Madagascar : leur cœur à Antananarivo, leurs voix à Maurice

Un manifestant lançant une pierre en direction des forces de sécurité lors d’une manifestation à Antananarivo.

Alors que Madagascar est secoué par des mobilisations massives menées par la jeunesse dite Gen Z, la diaspora malgache à Maurice observe, à distance, l’onde de choc qui traverse la Grande Île. Entre inquiétude, espoir et colère, leurs voix résonnent avec celles de leurs compatriotes restés au pays.

Depuis plusieurs semaines, les rues d’Antananarivo et des grandes villes malgaches sont le théâtre de manifestations sans précédent. Porté par le collectif Gen Z Madagascar, un mouvement né sur les réseaux sociaux et indépendant des structures politiques traditionnelles, le soulèvement réclame la démission du président Andry Rajoelina. Le limogeage récent du gouvernement n’a pas suffi à calmer la contestation : les foules continuent d’occuper l’espace public, la police multiplie les tirs de gaz lacrymogènes, et plusieurs figures politiques, dont un député, ont été arrêtées.

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Ulan Urdol, Malgache installé à Maurice : « C’est un véritable éveil de conscience »

«C’est un mélange complexe. La tristesse est là, bien sûr, de voir la jeunesse contrainte à descendre dans la rue pour se faire entendre. Mais elle est vite surpassée par une inquiétude profonde : l’inquiétude de voir la pauvreté gangréner notre pays. » martèle Ulan Urdol. Selon lui, il s’agit d’un fléau entretenu par un système politique trop centré sur la capitale et une classe dirigeante qui, souvent, semble coupée des réalités du peuple. « Ce centralisme étouffe le potentiel des régions et limite notre développement à tous les niveaux. Voir les jeunes manifester, c’est voir le symptôme d’un mal bien plus profond. »

Pour lui, ce soulèvement révèle un basculement générationnel : « La racine du problème, c’est un sentiment d’asphyxie et un profond déni d’avenir. Les jeunes ne trouvent pas leur place dans un système où le mérite est trop souvent éclipsé par le népotisme et la corruption. Ce n’est pas une simple colère populaire ; c’est un véritable éveil des consciences. C’est la manifestation d’une démocratie nouvelle, portée par une génération connectée, informée, qui maîtrise les outils de communication et qui refuse le statu quo. Ils ne réclament pas seulement du pain, mais aussi la dignité et la possibilité de construire leur avenir sur leur propre terre. »

L’expérience mauricienne, ajoute-t-il, accentue ce contraste : « La vie à Maurice agit comme un révélateur. Ici, on voit une société où la jeunesse peut, en général, se projeter, où les débats portent souvent sur l’optimisation du confort et la croissance future. Cela met en lumière, par un contraste saisissant, l’extrême précarité dans laquelle se bat la jeunesse malgache. Leur combat, lui, ne porte même pas sur le «confort» ; il est existentiel. Il concerne l’accès à l’eau et à l’électricité, l’éducation, la santé, un emploi décent. Il est inconcevable, en 2025, qu’un peuple doive encore se battre pour ces droits essentiels. »
À distance, Ulan adresse un message de soutien à ceux qui continuent de manifester : « Mon message est un message de solidarité et de soutien sans réserve. Mais surtout, je les exhorte à conscientiser leur combat. L’objectif n’est pas simplement de remplacer un pion par un autre sur l’échiquier politique. Le véritable ennemi est le système de pouvoir lui-même – un système qui corrompt et qui exclut. La vraie démocratie ne se résume pas aux urnes et aux lois. Elle est plus profonde : c’est la liberté vécue au quotidien. C’est cette démocratie-là, celle de la liberté consciente et assumée, que vous êtes en train d’incarner. Continuez, votre combat est juste et il est celui de toute une nation. »

Aurélien Razafimiandry Tsitarihina : « Les pauvres vivent en dessous de deux dollars par jour »

Actuellement en stage à Maurice, Aurélien Razafimiandry Tsitarihina observe de près les manifestations des jeunes à Madagascar. « Quand je vois les jeunes à Madagascar se manifester, ça me donne envie de participer à la cause aussi. Nous faisons d’ailleurs les démarches pour organiser une marche pacifique afin de soutenir les Malgaches dans cette lutte. » confie-t-il. Mais ces actions se heurtent systématiquement aux contraintes imposées par les autorités.

Pour lui, les raisons de la mobilisation sont claires : « À Madagascar, rien ne va actuellement. Les études laissent à désirer. La qualité de l’éducation est un vrai problème. Les éducateurs sont peu nombreux et manquent cruellement de ressources. » À cela s’ajoute un écart social qui se creuse : « Les riches s’enrichissent alors que les pauvres deviennent plus pauvres, vivant en dessous de deux dollars par jour. »

Les conditions de vie sont tout aussi difficiles : « Il y a des coupures d’eau et d’électricité. Nous avons maintes fois sollicité l’aide de l’État, sans succès. Nous avons porté plainte contre les autorités qui ont fait preuve de violence alors que les démarches étaient pacifiques. C’était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. »

Face à ce constat, Razafimiandry compare la situation avec celle de Maurice : « Ici, les jeunes sont bien épanouis, ils ont beaucoup d’opportunités. Même s’ils ne veulent pas faire de longues études, ils peuvent toujours commencer à travailler et apprendre d’autres choses. C’est une grande différence. À Madagascar, il n’y a pas d’espoir, ni pour les jeunes, ni pour personne. Il faut survivre et ne pas espérer à un autre avenir si le système reste comme ça. »

Son message, porté avec conviction, se veut un appel à la persévérance : « Continuez la lutte, on y est presque. Ne reculez pas. Si on recule, on est tous perdus. »

Fanirisoa Razanatovo, Mauricienne d’origine malgache : « Cette jeunesse ne rêve plus, elle veut fuir »

Pour Fanirisoa Razanatovo, le regard porté depuis Maurice mêle appartenance et inquiétude : « En ce moment, je sais que je suis d’origine malgache et de nationalité mauricienne. Mon cœur est dans les deux. Même si je n’y ai pas vécu depuis longtemps, Madagascar reste ma terre natale, l’endroit où j’ai pris naissance, et ce lien ne s’efface pas. À distance, je ressens une fierté profonde de voir la jeunesse se lever, d’oser dire STOP face aux injustices qui les écrasent. Mais cette fierté se mêle à une douleur sourde : arrivons-nous à concevoir qu’en 2025, un peuple qui a tant soif d’apprendre et de réussir doive choisir entre se nourrir ou étudier, faute de moyens, faute même d’électricité ? »

Un constat amer qui, pour elle, s’ancre dans la mémoire familiale : « Je me souviens de mon papa racontant le Madagascar de son temps : une terre où il faisait bon vivre, où la sécurité régnait, où l’on n’imaginait pas chercher refuge ailleurs, car mourir là où l’on était né suffisait. Aujourd’hui, c’est une autre histoire : cette jeunesse ne rêve plus, elle veut fuir. Fuir l’insécurité alimentaire, fuir l’incertitude d’avoir de l’électricité, fuir l’absence de travail et la peur du lendemain. Beaucoup vivent au jour le jour, portant sur leurs épaules le poids d’une famille entière. Les injustices qui poussent ces jeunes à descendre dans la rue ne sont pas des caprices, mais des cris de survie, des appels à la dignité. »

Sa vie à Maurice lui donne une perspective contrastée : « Ici, je dis souvent que je suis mauricienne, car c’est ici que j’ai grandi, que j’ai bâti mon identité et reçu tant de partage. Pourtant, mon regard sur Madagascar reste empreint d’admiration pour ces jeunes qui, malgré les peurs, osent affronter pacifiquement leur gouvernement pour défendre leurs droits. Vivre ici m’apprend aussi à être satisfaite de ma vie, à rendre grâce chaque jour à Dieu pour cette chance et à ne pas me plaindre, car je sais que d’autres vivent bien pire. Et pourtant, malgré ces difficultés, à Madagascar, vous verrez toujours un Malgache sourire, même fatigué. Ce sourire est une leçon : il révèle une dignité et une résilience qui élèvent l’âme. »

À ces jeunes en lutte, Fanirisoa adresse un message empreint de foi et de paix : « Merci d’être cet exemple vivant de résistance et d’espoir. Grâce à vous, nous avons de quoi espérer. Vous portez aujourd’hui la flamme de la liberté et de l’égalité, et vous avez le pouvoir de réécrire l’histoire. Continuez ce combat, restez forts, même face à l’adversité. Je prie pour que Jésus soit votre force et votre protection. Faites-le dans la paix, dans la conviction que la véritable puissance réside dans la non-violence. Portez l’amour, la paix et la compassion comme flambeau, car ce sont ces valeurs qui éclaireront la voie de la véritable révolution. »

Tojoniaina Andrianina Andriamanantsoa Ratiananahary, étudiante malgache à Maurice : « Cette lutte prendra du temps car le GM refuse de reconnaître ses torts »

«En regardant les directs qui circulent sur les réseaux, je ressens d’abord une immense joie : la joie de voir surtout ma génération se lever après des années de silence face aux injustices et à la privation de nos droits. Je suis fière d’eux, mais en même temps, j’éprouve une grande tristesse en voyant la réaction des forces de l’ordre, censées nous protéger. » exprime Tojoniaina Andrianina. Elle rappelle que les jeunes manifestent de manière pacifique, comme on le voit sur les réseaux. En retour, ils se font bombarder de gaz lacrymogènes, et certains vont jusqu’à perdre la vie.

Pour la jeune femme, les causes de la colère sont indissociables de l’accès aux droits essentiels : « Il s’agit d’abord de nos droits fondamentaux : le droit à l’électricité, alors que les coupures peuvent durer jusqu’à dix heures par jour ; le droit à l’eau, dont certaines zones sont totalement privées malgré le paiement mensuel des factures ; mais aussi le droit à la sécurité. Dans ma propre famille, ils ont été contraints d’installer des portes ressemblant à celles des prisons pour se protéger. Même dans les rues, partout, l’insécurité règne. Et à cela s’ajoute la corruption qui ne cesse de s’aggraver. »

Installée à Maurice, elle ressent un contraste saisissant : « Ici, je me sens en sécurité, mais cela ne m’empêche pas de suivre de près ce qui se passe dans mon pays et de ressentir le besoin d’être sur place pour les soutenir. J’ai néanmoins choisi de rester afin de poursuivre mes études, avec l’espoir qu’un jour je pourrai contribuer à bâtir un avenir meilleur à Madagascar et y apporter de nouvelles solutions. »

Malgré la répression, Tojoniaina Andrianina lance un message clair à la jeunesse : « Je leur souhaite beaucoup de courage. Je sais que cette lutte prendra du temps car le gouvernement refuse d’admettre ses torts. Mais nous savons déjà que la communauté internationale suit de près la situation et connaît la réalité. Malgré la répression, la Génération Z à Madagascar n’abandonnera pas. Nous sommes une génération déterminée à se battre jusqu’au bout pour nos droits. J’ai confiance : tôt ou tard, nous obtiendrons nos droits. »

 

 

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