Avishaik et Karishma Bootun : ils ont tout risqué pour un nouveau futur au Canada

Au Canada, loin de Maurice, Avishaik et Karishma Bootun reconstruisent leur vie et celle de leurs enfants. Entre réinvention professionnelle, sacrifices et courage, leur trajectoire démontre que tout départ peut être une victoire.

Au Canada, rien n’était familier. Ni le climat, ni les horaires, ni les premiers emplois. Et pourtant, c’est ici, loin de Maurice, qu’Avishaik et Karishma Bootun ont choisi de se reconstruire. Elle commence comme boulangère ; lui renonce à 13 ans d’uniforme. Pas pour tenter une aventure, mais pour donner à leurs deux enfants un horizon plus large, quitte à tout reprendre à zéro.

Lorsque Karishma arrive la première, elle accepte un travail physique, loin de la petite entreprise qu’elle avait fondée à Maurice. Chaque matin, elle affronte le rythme effréné des fourneaux et de clients pressés. « L’émigration, c’est l’art d’accepter de recommencer tout en bas », dit-elle. 

Elle tient bon, avance, s’adapte. En 2024, elle devient Bilingual Finance Associate dans une compagnie de pest control. Une progression discrète mais spectaculaire, qui résume sa méthode : apprendre vite, avancer droit. « Je voulais que mes enfants voient qu’on peut changer de vie sans perdre sa dignité », dit-elle.

De son côté, Avishaik doit tourner la page d’un métier qui l’a formé pendant plus d’une décennie. Quitter la Mauritius Police Force, c’est renoncer à une identité forgée depuis l’adolescence, aux nuits de patrouille et aux interventions parfois risquées. « Quand vous quittez la police, vous laissez derrière vous une partie de votre identité… mais vous ouvrez aussi la porte à un nouveau vous. » 

Il débute comme Bilingual Customer Service Representative chez Citibank, puis rejoint VIA Rail Canada. Après avoir patrouillé les routes mauriciennes, il parcourt maintenant les rails d’un pays immense, confronté à une bureaucratie et des accents différents, mais chaque jour apprend, progresse, avance.

L’évidence d’une rencontre

Si le couple a pu tout quitter, c’est parce qu’il avait construit une base forte à Maurice. Leur histoire commence en 2008, autour d’un cahier d’exercices, à l’époque où les leçons particulières rythmaient encore leur quotidien. Ils n’avaient que 16 et 18 ans. Une amitié simple, sincère, qui devient une évidence. « On ne savait pas encore qu’on écrivait le premier chapitre de notre histoire, raconte Karishma. Mais tout était déjà là : l’entraide, l’écoute, le respect. »

Les années passent. Les examens, les choix de carrière, les premières responsabilités d’adultes. Pourtant, ils reviennent toujours l’un vers l’autre. Comme si la vie avait déjà tranché pour eux. 

En 2012, ils se choisissent. En 2014, ils se marient. Puis viennent leurs deux enfants, Kriish et Akshainee, piliers silencieux de leur force. « Devenir parents, c’est ce qui nous a appris le courage, confie Avishaik. On savait que nos décisions ne seraient plus jamais pour nous seulement. »

Les enfants grandissent avec l’exemple d’un père attaché au service public. Il passera 13 années comme constable puis policier respecté. « C’était ma vocation. Je voulais protéger, servir, être utile. La police m’a façonné. Elle m’a appris la rigueur, l’humilité et le respect de l’humain. » Les patrouilles, les interventions difficiles, les responsabilités croissantes… Mais aussi les rencontres, les collègues qui deviennent des frères d’armes, la fierté de rentrer chez soi en sachant qu’on a fait ce qu’il fallait.

Karishma, elle, suit un autre chemin, celui de l’entrepreneuriat. À 12 ans déjà, elle vend des petites douceurs aux amis, aux voisins, à ceux qui veulent encourager la jeune fille ambitieuse. Avec le temps, elle fonde sa petite entreprise, Avi Sparrow Sweets. « Je n’avais pas peur de commencer petit, explique-t-elle. Chaque bonbon, chaque commande, c’était une victoire. » 

L’appel du large

Mais en 2023, un sentiment nouveau enveloppe le couple. « À ce moment-là, on a senti qu’on avait accompli notre mission en tant que parents, entrepreneurs et serviteurs de l’État », disent-ils. Comme si leur vie mauricienne avait atteint sa ligne d’arrivée. 

Un appel intérieur commence à grandir : celui du changement. « On se demandait : est-ce qu’on est capables de plus ? Est-ce qu’on peut aller encore plus loin pour notre avenir et celui de nos enfants ? »

Alors ils décident de tenter le pari de tout recommencer ailleurs. Au Canada plus précisément. Un pays où rien n’est acquis, mais où les opportunités sont aussi vastes que les paysages.

Ils savent que l’émigration n’offre aucune garantie. Karishma accepte les emplois les plus modestes et physiques ; Avishaik renonce à tout ce qui l’a défini pendant 13 ans. Ils avancent, pas à pas, dans un pays où personne ne les attend, mais où tout peut se construire. Chaque nouveau poste, chaque journée, est une leçon de réinvention et de persévérance.

Aujourd’hui, la famille a trouvé son équilibre. Kriish et Akshainee grandissent dans un environnement où le courage se transmet par l’exemple et non par des discours. « Nos enfants voient qu’un rêve demande du travail. Rien n’est gratuit, mais tout est possible. » 

Le soir, autour d’un thé chaud, le couple repense parfois à ce cahier d’exercices où tout a commencé, à ce premier regard échangé en 2008. Ils ne parlent ni de chance, ni de destin. Juste d’effort, de discipline, et d’un principe simple : avancer ensemble. « On est deux. Et tant qu’on est deux, on peut tout affronter », affirme Avishaik.

Leur histoire n’est pas un conte. C’est une trajectoire. Une migration assumée, une réinvention acceptée, et la conviction tranquille que les nouveaux départs valent parfois mieux que les certitudes anciennes.