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Lutte contre la drogue- NADC : une structure contestée avant même son plein envol

Jacques Achille, Jamie Cartick et Kunal Naïk.

Chargée de coordonner la lutte antidrogue, la National Agency for Drug Control (NADC) fait face à de vives critiques. ONG, experts et anciens fonctionnaires dénoncent sa lourdeur administrative, le manque de coordination et l’absence de leadership clair depuis sa création.

Présentée comme l’organisme censé apporter une réponse structurée et durable à la problématique de la drogue à Maurice, la National Agency for Drug Control (NADC) est aujourd’hui au centre de nombreuses critiques. Certains estiment que depuis l’entrée en vigueur de la National Agency for Drug Control Act de 2025, rien de tangible n’a été accompli. D’autres dénoncent une absence de rencontres, de communication et surtout de politique claire face à l’ampleur du fléau, notamment celui des drogues de synthèse, dont la consommation ne cesse de croître.

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Lors de la séance parlementaire du mardi 28 octobre, le Premier ministre Navin Ramgoolam a reconnu que plusieurs représentations avaient été reçues par son bureau, tant de la part d’organisations non gouvernementales que de citoyens indépendants, au sujet du fonctionnement de la NADC. C’était en réponse à une question du député de l’opposition Franco Quirin. « Le gouvernement n’est pas totalement satisfait de la manière dont l’Agence a fonctionné jusqu’à présent », a-t-il déclaré, tout en précisant que des actions seraient prises dans les jours à venir pour améliorer son efficacité.

Mais quelles sont les véritables sources d’insatisfaction ? Selon Jamie Cartick, directrice du Collectif Urgence Toxida (CUT), les principales critiques visent la mauvaise coordination entre les institutions publiques et l’absence de communication sur les avancées de la NADC. « Nous restons dans le flou. Nous ne savons pas quelles sont les orientations, ni comment les décisions sont prises », dit-elle. Elle déplore également que des acteurs essentiels soient exclus des discussions. « Nous regrettons surtout l’absence d’associations spécialisées dans la réduction des risques et de représentants des personnes qui consomment des drogues au sein du Board. Cela crée un déséquilibre dans les orientations stratégiques », estime-t-elle.

Structure lourde

Cette remarque rejoint d’autres observations sur la composition du Board. L’instance regroupe une douzaine de fonctionnaires issus de divers ministères : Bureau du Premier ministre, Attorney General’s Office, Santé, Éducation, Égalité des genres, Jeunesse et sports, entre autres. Pour un ancien officier du service public, cette configuration est problématique : « Une structure composée majoritairement de techniciens et de hauts fonctionnaires, et non de personnes de terrain, devient forcément lourde et administrative ».

Jamie Cartick partage cette impression. Selon elle, « la structure est lourde ». Des réunions du Board se sont tenues, mais « les sous-comités censés travailler sur les axes opérationnels ne sont pas encore actifs », précise-t-elle. Un constat confirmé par l’ancien fonctionnaire : « Avec peu de représentants d’ONG, la majorité issue du secteur public crée une rigidité administrative qui freine les actions. »

La directrice du CUT souligne aussi un manque de communication entre la NADC et les ONG : « Nous ne sommes pas informés des avancées ni des décisions prises. La collaboration n’existe qu’avec les associations déjà représentées au sein du Board. Les autres sont laissées de côté et restent dans le noir. »

Leadership controversé

Autre point sensible : la question du leadership. Les déclarations parfois contradictoires du chairman de la NADC, Sam Lauthan, et son manque d’ouverture à de nouvelles approches alimentent les doutes. Si certains réclament son remplacement, Jamie Cartick craint qu’un tel changement n’aggrave encore la fragilité de la structure. « Si la direction change maintenant, alors que la base n’est pas encore solide, cela risque de retarder davantage la mise en œuvre des politiques. Nous nous demandons combien de temps il faudra encore pour obtenir de vraies réponses aux problématiques liées aux drogues », déclare-t-elle.

Elle rappelle qu’avant la création de la NADC, le High Level Drugs and HIV Council, présidé par le Premier ministre, permettait d’avoir une vue d’ensemble sur les programmes et plans d’action des différentes institutions. « En attendant que la NADC soit pleinement opérationnelle, ce type de plateforme aurait pu permettre de maintenir la coordination. Les échanges directs entre ministères, ONG et le bureau du PM faisaient avancer les choses », souligne la directrice du CUT.

De son côté, l’ancien officier du service public déplore la suppression du National Drug Secretariat (NDS), remplacé par la NADC. Créé après la dissolution de la National Agency for the Treatment and Rehabilitation of Substance Abusers (NATReSA) en 2016, le NDS fonctionnait sous l’égide du Bureau du Premier ministre et jouait un rôle central dans la coordination nationale. « Le NDS assurait le leadership, finançait les ONG, suivait leurs projets et veillait à la cohérence entre prévention, traitement et réhabilitation. Il aurait dû coexister avec la NADC jusqu’à ce que cette dernière soit pleinement opérationnelle », explique-t-il.

L’ancien fonctionnaire est d’avis que le NDS, bien que doté d’un petit budget, avait su instaurer une réelle dynamique. Il cite notamment la mise en place du Drug Users Administrative Panel (DUAP) et des observatoires de drogues qui rassemblaient les données de toutes les parties prenantes. « Aujourd’hui, la NADC semble perdue. Rien n’avance concrètement et la coordination interinstitutionnelle s’est affaiblie », déplore-t-il.

Pour l’addictologue Kunal Naïk, la NADC reste pourtant une structure essentielle dans le dispositif antidrogue. Toutefois, il estime que « la lourdeur administrative » freine son fonctionnement. « Il faut clarifier son rôle : doit-elle être présente sur le terrain, coordonner les acteurs ou concevoir la politique nationale ? Ce flou institutionnel empêche d’agir efficacement », dit-il. Il suggère qu’un mécanisme « fast track » aurait dû être instauré pour accélérer la mise en place des structures prévues par la loi. « Aujourd’hui, tout semble bloqué et les résultats tardent à se manifester », regrette-t-il.

Jacques Achille, responsable de la communication stratégique chez PILS, pense pour sa part que la NADC représente une opportunité unique de redéfinir la politique nationale des drogues : « Il ne faut pas rater cette occasion. L’agence a le mandat et les moyens de repenser en profondeur la stratégie mauricienne. »

Attentes, frustrations et espoirs

Entre attentes, frustrations et espoirs, la NADC a du mal à trouver son rythme, malgré les intentions louables inscrites sur le papier dans la National Agency for Drug Control Act de 2025. Son efficacité dépendra désormais de sa capacité à concilier approche administrative et action concrète sur le terrain, tout en rétablissant un dialogue de confiance avec les acteurs engagés depuis des décennies dans la lutte contre la drogue.

Beaucoup l’espèrent, même si chacun s’accorde à dire qu’en finir totalement avec la problématique de la drogue relève de l’utopie. L’enjeu consiste désormais à mettre en place des politiques de santé publique telles que la dépénalisation ou la légalisation du cannabis, considérées comme un moindre mal face à la prolifération des drogues de synthèse.

 

 

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