La saison des letchis est, à Maurice, bien plus qu’un simple moment agricole : c’est un événement social, culturel, économique. Chaque année, entre la fin novembre et la fin décembre, l’île entière s’illumine de grappes rouges suspendues aux arbres, tandis que les familles se réunissent autour de ce fruit emblématique, symbole de fête, de partage et de prospérité. Mais derrière ces images joyeuses se cachent des mois – parfois des années – de travail acharné, d’incertitudes climatiques, de dépenses colossales et de défis qui se renouvellent sans cesse.
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En 2025, la récolte s’annonce particulièrement bonne. Les planteurs mauriciens respirent. Après plusieurs années de production irrégulière, allant de moins de 1 000 tonnes à peine, il y a trois ans, à environ 2 000 à 3 000 tonnes l’année dernière, les projections pour cette saison dépassent les 4 000 tonnes. Une amélioration significative, confirmée par une source de la FAREI, qui souligne toutefois que cette abondance est le fruit d’un travail minutieux, d’une gestion éprouvée et d’une vigilance de chaque instant face aux aléas de la nature.
Au cœur de cette filière essentielle, deux planteurs mauriciens se démarquent par leur dévouement, leur parcours et leur persévérance : Vikash Oomah, planteur depuis dix ans, et Krishna Mdhin Bhageeruth, cultivateur aguerri avec vingt-cinq années d’expérience. Leurs récits, profondément humains, illustrent mieux que tout l’âme de la filière letchi à Maurice.
Vikash Oomah – Dix ans de letchis, une vie de sacrifices
À Deux Bras comme à Moka, deux régions réputées pour leur climat propice à la culture fruitière, Vikash Oomah veille sur un trésor : 35 arpents de letchis, répartis entre ses deux vergers. Il est aujourd’hui un acteur incontournable de la récolte mauricienne, avec une production annuelle de près de 70 tonnes.
Mais rien ne le prédestinait à devenir planteur. Avant de se lancer dans la culture fruitière, Vikash travaillait comme livreur de légumes dans les hôtels, sillonnant les routes de l’île avec patience et discipline. Ce métier lui a permis de comprendre la valeur de la fraîcheur, l’importance des circuits courts et la complexité de l’approvisionnement alimentaire. Une expérience qui allait devenir capitale pour son avenir.
Aujourd’hui, c’est un homme fier de son chemin, mais jamais rassasié de travail. La saison de letchis est pour lui un mélange constant d’adrénaline, de fatigue et d’espoir. Chaque année, il peut compter sur l’aide de ses deux fils, âgés de 25 ans et 19 ans, tous deux étudiants, mais très impliqués dans les vergers familiaux. « Ils m’aident dès qu’ils ont du temps, c’est notre héritage », confie-t-il souvent.
La logistique : un casse-tête géant
Pour Vikash, la plus grande difficulté de la saison 2025 n’est pas la chaleur, ni la pluie, ni même le manque de main-d’œuvre : ce sont les chauves-souris.
Les fameuses « sauves souris », comme les planteurs les appellent. Elles grignotent les fruits avant maturité, percent les peaux, compromettent les grappes entières. En une nuit, un arbre peut perdre 30 % de sa valeur marchande.
Pour contrer ce fléau, Vikash a dû renforcer la protection de ses arbres :
- filets,
- pièges écologiques,
- éclairages nocturnes,
- surveillance humaine continue.
Ce combat, permanent, se double de la gestion d’une équipe de 35 travailleurs le jour et 20 la nuit.
En pleine saison, employer autant de personnes représente un investissement énorme : entre Rs 40 000 et Rs 50 000 par jour, uniquement en salaires. Car le letchi n’attend pas : il doit être cueilli au moment exact où le sucre est à son apogée, ni trop tôt ni trop tard.
La récolte est une course contre la montre. Il faut grimper, trier, peser, emballer, acheminer. Il faut expédier pour l’exportation, préparer pour le marché local, gérer les commandes des supermarchés, des marchands, des détaillants.
Tout doit aller vite, mais sans jamais sacrifier la qualité.
L’exportation : l’âme économique de la filière
Vikash ne se limite pas au marché local. Chaque année, une partie de sa production prend l’avion pour l’Europe :
- France,
- Angleterre,
- Italie.
En moyenne, Maurice exporte 200 à 300 tonnes de letchis chaque saison. Ce segment est lucratif, mais exigeant : normes strictes, contrôles phytosanitaires, emballages adaptés, horaires rigoureux pour respecter la chaîne du froid. « On ne dort pas beaucoup pendant cette période », raconte Vikash. Et ce n’est pas une métaphore.
La récolte de letchis est un travail saisonnier, mais qui détermine tout le reste de l’année. Car le revenu généré sert :
- à entretenir les vergers,
- à payer les travailleurs hors saison,
- à assurer la maintenance des équipements,
- et surtout, à faire tourner sa cuisine.
En dehors de la saison de letchis, Vikash se consacre à ses vergers de longanes, au nettoyage de ses parcelles et au soin des arbres. Car un verger de letchis demande une attention continue, même lorsque les fruits ne sont pas visibles.
Krishna Mdhin Bhageeruth – 25 ans au service du fruit rouge
Plus au sud, à Vacoas, Deux Bras et Rivière du Rempart, un autre nom fait figure de pilier dans la filière : Krishna Mdhin Bhageeruth, planteur depuis 25 ans.
Comme beaucoup de cultivateurs, il s’est lancé après des années dans la culture de légumes. Avec le temps, il a choisi de diversifier, puis de se spécialiser.
Aujourd’hui, il gère 39 arpents de letchis, une étendue imposante qui demande une organisation militaire. Sa production annuelle avoisine les 50 tonnes, un volume significatif dans l’industrie mauricienne.
Krishna est père de deux enfants, âgés de 19 ans et 12 ans. Il évoque souvent la fierté de transmettre cette passion, même si l’avenir des jeunes semble parfois s’éloigner de l’agriculture. « L’important, c’est qu’ils comprennent d’où vient la nourriture, et la valeur du travail », dit-il souvent.
Des coûts journaliers vertigineux
Comme Vikash, Krishna fait face aux mêmes impératifs :
- rapidité,
- qualité,
- main-d’œuvre,
- surveillance continue.
Pendant la saison, il mobilise 30 travailleurs la nuit et 10 le jour, pour un coût quotidien d’environ Rs 50 000.
Pour un planteur, ces sommes ne sont pas juste des dépenses : ce sont des paris. Car une pluie soudaine, une invasion de rongeurs, une tempête ou une variation de température peuvent ruiner une récolte en quelques jours.
Krishna, lui aussi, produit d’autres fruits locaux et importés selon leur saisonnalité : manguier, mission, longane, fruits tropicaux variés. La diversité est une stratégie : elle réduit les risques et stabilise les revenus.
La guerre contre les rongeurs
Pour protéger les arbres, il faut :
poser des filets,
installer des anneaux métalliques autour des troncs pour empêcher les rats de grimper,
maintenir les vergers propres (les herbes hautes attirent les rongeurs),
installer des lampes solaires clignotantes,
disposer des pièges non toxiques,
renforcer les abris des barbes (les barbars : les arbres eux-mêmes) pour éviter que les rongeurs ne les infestent.
Cette bataille se joue chaque nuit, sans relâche.
Les chiffres
Selon une source de la FAREI, la production mauricienne de letchis pour cette année devrait dépasser 4 000 tonnes, contre :
2 000 à 3 000 tonnes l’année dernière,
moins de 1 000 tonnes l’année précédente.
Une amélioration spectaculaire attribuée à :
une météo plus stable,
une floraison plus homogène,
une meilleure surveillance des vergers,
une réduction des pertes dues aux parasites.
Ce qu’il faut pour avoir une bonne récolte
Produire du letchi n’est pas un travail improvisé. Pour obtenir une récolte généreuse, il faut :
Un climat bien défini
Le letchi demande :
- une floraison sous climat sec,
- un apport hydrique maîtrisé,
- un écart entre températures chaudes et fraîches.
Un entretien rigoureux du verger taille des branches,
désherbage,
aération du sol,
drainage efficace,
contrôle régulier des maladies fongiques.
Une bonne pollinisation
Les abeilles jouent un rôle crucial. Sans elles, pas de fruits.
Des sols riches et bien préparés
Un sol argilo-limoneux, légèrement acide, est l’idéal.
Une surveillance constante des fruits
La maturation peut être fulgurante : le bon letchi se cueille au moment exact où sa peau devient rouge vif, son sucre maximal.
Une filière qui nourrit Maurice
La récolte du letchi, au-delà des chiffres et du travail, est une fête nationale non officielle. Elle rassemble :
planteurs,
travailleurs,
exportateurs,
marchands,
familles,
enfants qui attendent la première bouchée du fruit rouge.
Pour Vikash, pour Krishna, et pour des centaines d’autres planteurs, le letchi est plus qu’un fruit : c’est un combat, un héritage, une fierté.
Et cette année, plus que jamais, Maurice pourra savourer le fruit de leur labeur.
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