
Il a toujours eu un verbiage qui lui sied comme des gants. Le père Gérard Sullivan, qui vient de prendre sa retraite et qui n’a plus la charge d’une paroisse, jette un regard critique sur la société. S’il épouse la volonté du Pape François pour l’ordination d’hommes mariés, il demeure rattaché au célibat des prêtres catholiques. Quant aux couples, il est presque cynique : ce sont des produits jetables.
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Racontez-nous votre cheminement de prêtre…
Un prêtre n’est jamais vraiment à la retraite ; sa vocation le suit toute sa vie. En revanche, je n’ai plus la charge pastorale d’une paroisse. Cela fait maintenant 55 ans que je suis prêtre et j’ai 85 ans. Ma toute première affectation fut à Ste-Hélène, à Curepipe, comme vicaire, après avoir terminé ma licence à Paris en 1971. J’y ai passé deux ans, puis 14 ans au service pastoral de La Visitation, six ans comme curé de Mahébourg, quatre ans à St-Pierre et 22 ans à Notre-Dame de Lourdes, à Rose-Hill, entre autres.
Et Rodrigues ?
À Rodrigues, je m’y rendais pour animer des séances de Marriage Encounter ainsi que des cours de préparation au mariage (CPM), en formant des animateurs. Un couple se construit chaque jour, et l’outil essentiel pour cette construction est la communication. C’est un travail artisanal, à long terme, pour la vie. J’ai introduit ce concept chez nous en 1984, puis à Rodrigues en 1999.
Malgré tous ces cours pour jeunes mariés, ici et là, le nombre de divorces ne cesse d’augmenter. Comment expliquer ce paradoxe ?
Il y a plusieurs raisons à cet état de choses. Construire un couple n’a jamais été facile, ni hier ni aujourd’hui ; c’est même une tâche ardue. De nos jours, la plus grande difficulté est de s’engager pour la vie. Nous vivons dans un monde où tout semble jetable : serviettes, assiettes, gobelets… alors pourquoi pas des époux ? Dès que les choses vont mal dans un couple, l’un des partenaires abandonne l’autre pour recommencer avec quelqu’un d’autre. Le couple est devenu un produit jetable.
Les couples en devenir ne réfléchissent-ils pas avant de faire le grand saut ?
Souvent, dès la première rencontre, un homme et une femme s’engagent dans l’intimité sexuelle la plus totale, sans prendre le temps de se connaître réellement. On pense à tort que la cohabitation sexuelle va consolider leur relation. Selon des statistiques aux États-Unis, 62 % des couples qui cohabitent dès le départ ne finissent pas par se marier. Même lorsqu’un couple cohabite pendant plusieurs années, le mariage peut échouer au bout de quatre à six mois.
Et le mariage à l’essai ?
Comme je l’ai dit, le mariage ne dure pas toujours. Il y a 55 ans, lorsque je suis revenu à Maurice comme prêtre, le slogan du moment portait sur l’union libre : on vivait ensemble sans s’engager légalement, sans responsabilités fixées par un document officiel. Que se passait-il alors ? Le partenaire qui en avait assez, souvent l’homme, va voir ailleurs, laissant la femme avec des enfants et sans aucune ressource. Rien ne liait officiellement cette femme à son partenaire.
Il y a désormais le divorce à l’amiable. Est-ce une solution pour éviter de longs procès ?
Le concept de divorce à l’amiable est complexe et mérite réflexion. Certains couples restent ensemble uniquement à cause des enfants, et lorsque ceux-ci quittent le foyer ou le pays, le couple n’a plus aucune obligation de rester uni et se sépare. Il est donc essentiel de cultiver l’amour au sein du couple tout en étant parents.
Je dis souvent que la meilleure façon pour une mère qui aime son enfant est d’aimer également le père de son enfant, et réciproquement. Trop souvent, une femme qui devient mère de famille a tendance à négliger son époux. Des hommes m’ont confié avoir été jaloux de leurs enfants, ressentant qu’ils ne recevaient plus la même attention de la part de leur épouse.
Selon les chiffres officiels, le pays a connu une véritable explosion de filles-mères et de grossesses chez des mineures. Un constat affligeant...
Une grossesse précoce est toujours grave. Souvent, ces filles sont très jeunes, encore sous la responsabilité de leurs parents, et se retrouvent avec des enfants qu’elles ne peuvent pas assumer pleinement. Dans l’Église, je précise que l’on ne force jamais un couple à se marier simplement parce qu’un enfant est attendu. C’est la pression sociale et parentale qui impose souvent cette décision.
Venons-en à un triste épisode : ce nourrisson abandonné accroché à un portail. On a dénombré pas moins de 220 cas similaires en deux ans. Quelle réflexion sur ce phénomène ?
C’est profondément triste. Mettre un enfant au monde est une responsabilité énorme que de jeunes parents précoces ne sont souvent pas en mesure d’assumer. Il m’est arrivé de rencontrer de jeunes hommes qui me confiaient avoir eu des relations sexuelles pour le plaisir, sans être prêts à endosser la responsabilité de devenir père. Ils sont mûrs sexuellement et biologiquement, mais pas suffisamment pour assumer de telles responsabilités. Dans beaucoup de cas, ce sont les grands-parents qui prennent en charge ces enfants et en assument le poids.
Seriez-vous pour que les prêtres catholiques soient mariés ?
Je suis favorable à l’ordination d’hommes mariés. Le pape François a tenté d’ouvrir cette porte pour l’Amazonie, mais sa proposition n’a pas été entendue. Dans l’Église catholique romaine, il existe un courant occidental qui exige que les prêtres exercent leur sacerdoce dans le célibat. Pourtant, dans le même cadre, il existe un courant oriental, comme chez les Maronites, qui permet aux candidats au sacerdoce de choisir, avant leur ordination, entre le célibat ou le mariage.
Est-ce l’une des raisons pour lesquelles les jeunes refusent de s’engager dans la prêtrise ? Le célibat obligatoire pourrait-il les dissuader ?
Ce n’est pas le célibat ou le non-célibat qui pose problème, mais l’engagement pour la vie. Beaucoup de jeunes générations n’ont pas envie de devenir prêtres pour la vie, ni de se marier pour la vie. Ce qui effraie, c’est précisément cet engagement durable.
Et le phénomène père Grégoire ?
Le père Grégoire est un bon ami à moi. Quant à ses choix, ils n’engagent que lui. Pour ma part, j’avais pris, au début de mon sacerdoce, des décisions qui étaient très éloignées de mon style d’être prêtre.
Étiez-vous, vous aussi, rebelle dans votre manière de prêcher la bonne nouvelle, comme le père Jocelyn Grégoire ?
Je respecte le père Jocelyn Grégoire dans sa manière de vivre son sacerdoce ; c’est son style à lui, tout comme j’ai le mien.
Zozef ek so palto larkansiel
Cette pièce théâtrale anglaise, « Joseph and the Amazing Technicolor Dreamcoat », de Tim Rice et Andrew Lloyd Webber, a été traduite en créole par Dev Virahsawmy et mise en scène par le père Gérard Sullivan en 1981. Selon le prêtre, elle s’inspire du concept « enn sel lepep, enn sel nasion », représentant un véritable mélange de couleurs qui fait la beauté de notre pays.
Le père Gérard Sullivan raconte : « Quand j’ai écouté pour la première fois cette comédie musicale, j’ai pensé que le manteau technicolore de Zozef était notre drapeau mauricien. » Grâce à ce spectacle, il a voulu créer des ponts entre les différentes cultures et couleurs de Maurice.

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