La directrice de Transparency Mauritius salue le Police and Criminal Justice Bill et sa consultation publique. Elle insiste sur la nécessité de l’équilibre entre sécurité et droits humains, et voit dans ce texte une reconnaissance des abus passés et une chance de renforcer l'État de droit et la crédibilité policière.
Le Police and Criminal Justice Bill est actuellement diffusé à titre d’ébauche afin de recueillir des contributions du public, principalement de la société civile. Vos premières analyses ?
Transparency Mauritius salue cette mise en consultation publique, qui s’inscrit dans une démarche de transparence et de participation citoyenne. Ce texte, qui porte sur des enjeux fondamentaux concernant les libertés individuelles et les pouvoirs de la police, doit être examiné avec prudence pour garantir un juste équilibre entre sécurité publique et respect des droits humains. Il est essentiel que cette consultation soit réelle et inclusive, permettant aux acteurs de la société civile d’apporter une contribution constructive avant l’adoption finale du projet de loi, et non pas simplement un exercice formel de « tick the box ».
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Le projet de loi se divise en deux volets : l’un portant sur l’usage de la force policière, l’autre sur les droits des journalistes. Abordons le volet police. Cela vous inspire quoi ?
Concernant l’usage de la force policière, le Police and Criminal Justice Bill traite d’un aspect central de l’État de droit : le rapport entre pouvoir et responsabilité. Pour Transparency Mauritius, il est indispensable que ces pouvoirs soient clairement définis et encadrés, afin de garantir qu’ils soient exercés dans le respect de la dignité humaine, et selon les principes de proportionnalité et de nécessité. Trop souvent, l’absence de règles précises ou de mécanismes de contrôle a conduit à des abus, érodant la confiance du public envers les institutions.
Ce projet de loi représente donc une occasion de rappeler que la force publique ne doit jamais être arbitraire mais toujours légitime et justifiée, et que ceux qui l’exercent doivent rendre compte de son usage.
Réguler ces pouvoirs, c’est affirmer qu’une démocratie ne peut garantir la sécurité sans justice, ni exercer l’autorité sans responsabilité.
L’intitulé du Bill concerne le pouvoir d’arrestation, de perquisition, de fouille, de saisie et de détention. Frappe-t-on ici là où ça fait mal, dans un domaine longtemps considéré comme tabou ?
On met enfin en lumière une réalité longtemps ignorée ou minimisée. Transparency Mauritius estime que ces pratiques, souvent dénoncées par la société civile et pointées du doigt par des organisations internationales de défense des droits humains, méritaient un examen sérieux et transparent. Il a malheureusement fallu que des cas d’abus soient exposés sur les réseaux sociaux pour que ces questions deviennent des sujets de débat public.
Le fait que le projet de loi s’y attaque aujourd’hui montre une reconnaissance tardive mais nécessaire de ces dysfonctionnements. Réguler ces pouvoirs, c’est non seulement protéger les citoyens contre l’arbitraire, mais aussi renforcer la légitimité des forces de l’ordre et la crédibilité de l’État de droit.
Il y a également eu des abus concernant le temps passé en détention par un suspect ; le Bill prévoit désormais des limites claires. Est-ce un pas en avant ou simplement un droit humain à respecter ?
Il faut rappeler que les détentions prolongées sans inculpation ont été fréquemment dénoncées, tant par la société civile que par les observateurs internationaux, comme une forme d’abus de pouvoir. En encadrant cette pratique, le projet de loi reconnaît qu’aucune enquête, aussi importante soit-elle, ne justifie la privation arbitraire de liberté. Mettre des limites claires, c’est affirmer que la liberté individuelle n’est pas négociable et qu’aucune enquête ne doit se faire au détriment des droits fondamentaux.
Le Bill évoque également la production de preuves matérielles nécessaires pour qu’une affaire aille jusqu’au pénal, un domaine où la police a parfois montré ses limites. Quel est votre point de vue en tant que directrice de Transparency Mauritius ?
La production et la préservation de preuves matérielles relèvent à la fois de compétences techniques et d’intégrité institutionnelle. Si la police ne peut produire d’éléments probants, les enquêtes se fragilisent et les poursuites échouent. Il est crucial d’avoir des procédures rigoureuses de conservation des preuves, une chaîne de « custody » transparente et des capacités forensiques renforcées.
Autre problème : les arrestations basées sur de simples allégations sans fondement. Désormais, il sera obligatoire que la police présente des preuves solides, car c’est à elle de prouver la culpabilité du suspect, et non l’inverse. Une initiative innovante ?
C’est une avancée majeure pour protéger les citoyens contre les arrestations arbitraires et les abus de pouvoir. Cela réaffirme le principe fondamental selon lequel l’autorité enquêtrice doit démontrer la culpabilité, et non le suspect prouver son innocence, renforçant ainsi la justice et la crédibilité des enquêtes.
Depuis des années, avocats et société civile réclament la suppression des accusations provisoires, qui envoient un suspect à répétition derrière les barreaux, parfois pendant des mois, voire des années, avant que l’affaire ne soit examinée sur le fond. Serait-ce un « wake-up call » pour la police ?
C’est évidemment un signal fort pour la police et le système judiciaire : il s’agit d’un « wake-up call » pour traiter les dossiers rapidement, éviter les détentions prolongées injustifiées et garantir le respect de la présomption d’innocence. C’est une étape cruciale pour rétablir la confiance du public dans les institutions.
Certains plaident pour le maintien des accusations provisoires, estimant que leur suppression laisserait les individus libres de leurs actes. Où trouver le juste équilibre ?
Nous reconnaissons que certains avancent l’argument que les accusations provisoires permettent de préserver l’ordre public. Toutefois, leur usage doit être strictement encadré, limité à des cas précis et soumis à un contrôle judiciaire régulier. L’objectif n’est pas de laisser libre cours à l’arbitraire, mais de protéger à la fois la société et les droits fondamentaux, en évitant que des individus soient maintenus indéfiniment derrière les barreaux, souvent de manière injustifiée.
La police devrait être irréprochable. Mais comment garantir cette impartialité, quand le commissaire de police est lui-même nommé par le Premier ministre à qui il doit théoriquement rendre compte ?
Transparency Mauritius plaide depuis longtemps pour une police véritablement indépendante, capable d’agir de manière irréprochable et responsable devant la loi. Si les nominations ne sont pas toujours problématiques en soi, le fait que le commissaire soit choisi par le Premier ministre crée un risque réel pour l’indépendance de l’institution et pour la perception publique, surtout quand on considère comment, par le passé, le bureau du Commissaire a été instrumentalisé à des fins politiques ou partisanes. Cela affecte directement la crédibilité de la démocratie, car la confiance des citoyens repose sur l’impartialité de ceux qui détiennent l’autorité policière.
Parlons du Reward Money : comment ce phénomène est-il apparu, même s’il est répandu à travers le monde ?
Le Reward Money s’est développé dans de nombreux pays comme incitation pour encourager les citoyens à fournir des informations sur des crimes ou infractions, mais il comporte des risques significatifs s’il n’est pas encadré. Même si ces récompenses peuvent être utiles dans certains cas, l’absence de règles transparentes concernant leur attribution et leur montant peut engendrer abus, favoritisme et corruption. Pour que ce mécanisme soit crédible et efficace, il doit reposer sur des critères clairs, publics et vérifiables, définissant qui peut en bénéficier, dans quelles conditions et selon quelles procédures, tout en restant complémentaire à des enquêtes rigoureuses menées par des institutions responsables.
On parle de lanceurs d’alerte : existent-ils vraiment et, si oui, qui décide du montant à leur verser et selon quels critères : quantité, qualité ou arrestations de barons ?
À la suite des problèmes révélés, il est clair que le système du Reward Money n’était pas correctement régulé. L’absence de protection efficace des lanceurs d’alerte fait que beaucoup hésitent à se manifester, sauf si un avantage financier est offert. Mais si ce mécanisme est perverti ou utilisé sans transparence, c’est l’intégrité de notre société tout entière qui est compromise.
Plusieurs cas ont été annulés en Cour concernant le « planting ». Ce concept correspond-il à l’arrestation ciblée de personnes gênantes et est-il utilisé comme arme politique ?
Le « planting » de preuves, où des arrestations reposent sur des éléments fabriqués ou manipulés, constitue un danger majeur pour la justice et l’État de droit. Comme observé, de telles pratiques peuvent servir à intimider ou punir des personnes perçues comme gênantes, détournant ainsi la justice à des fins politiques ou partisanes – ce qui sape la crédibilité de notre démocratie.
Abordons maintenant le volet journalistique du Bill. Ailleurs, les journalistes ne dévoilent jamais leurs sources, même devant une Cour de justice. C’est également le cas chez nous, mais cela reste au niveau verbal. Avec le Bill à venir, la protection légale des sources des journalistes sera désormais effective. Votre avis ?
La protection légale des sources journalistiques, telle que prévue par le Bill, constitue une avancée majeure pour la liberté de la presse à Maurice. Garantir cette protection renforce la capacité des journalistes à enquêter et publier des informations d’intérêt public sans craindre représailles ou pressions judiciaires. Cela contribue également à une meilleure transparence et responsabilité des institutions, car les sources peuvent fournir des informations sensibles qui seraient autrement cachées. En officialisant cette protection, on rappelle que la presse joue un rôle essentiel dans une démocratie et que ses acteurs doivent pouvoir travailler en toute sécurité et indépendance.
Tout ce qui concerne les « excluded materials » – logiciels, ordinateurs portables, téléphones ou documents confidentiels – demeure la propriété du journaliste et ne peut être saisi par la police, sauf si des preuves solides sont produites et que le magistrat autorise les procédures judiciaires.
Nous soutenons pleinement cette disposition. Garantir que les matériels et documents confidentiels des journalistes ne soient saisis qu’en présence de preuves solides et avec autorisation judiciaire renforce la sécurité des sources et la liberté de la presse. Cette mesure protège le travail d’investigation essentiel à la transparence et à la responsabilité des institutions, tout en prévenant toute utilisation de saisies comme levier ou outil d’intimidation.
Le Bill considère que la liberté de la presse est sacro-sainte et qu’elle doit être protégée contre vents et marées. Toutefois, un bémol subsiste : trouver le juste équilibre n’est pas évident. Faut-il « couper la poire en deux » ?
Une presse libre et protégée est un contre-pouvoir essentiel, capable d’exposer les abus et d’assurer la reddition de comptes des institutions. En renforçant ces protections légales, le Bill contribue à instaurer un environnement où journalistes et citoyens peuvent enquêter et s’exprimer sans crainte de représailles, surtout dans notre contexte où le gouvernement dispose de pouvoirs quasi-absolus, sans opposition apparente, rendant ces outils primordiaux pour renforcer l’« accountability ».
Un leitmotiv revient : permettre et encourager le journalisme citoyen. Pourquoi ce besoin d’avoir du « input » de la part des citoyens, alors que les réseaux sociaux regorgent déjà d’informations ? Seriez-vous favorable à ce type de journalisme, dit populaire ?
Le journalisme citoyen est un outil précieux pour renforcer la transparence et la participation démocratique. Les citoyens peuvent signaler des abus ou partager des informations d’intérêt public qui passeraient autrement inaperçues. Il anime la démocratie et permet à chacun d’y participer au-delà du simple vote tous les cinq ans.
Toutefois, exercer ce droit implique une responsabilité : le droit de parole ne signifie pas publier sans discernement. C’est pourquoi une éducation aux médias, à l’esprit critique et à la culture de l’information doit accompagner ces évolutions, afin de garantir une contribution citoyenne éclairée et fiable.
Il faut également prendre en compte les nouveaux risques liés à l’intelligence artificielle et à la diffusion rapide d’informations manipulées. Mais au nom de ces risques, ne pas enfermer la démocratie : limiter la parole ou la participation citoyenne reviendrait à la transformer en autocratie.
Fermons le chapitre du Bill et intéressons-nous aux problèmes de fond de notre société. D’abord, les violences, qu’elles soient domestiques ou autres, semblent devenir banales…
Nous faisons face à une crise sociale qui porte les marques propres à notre époque. L’augmentation des violences, qu’elles soient domestiques ou sous d’autres formes, résulte de multiples facteurs : pressions économiques, fragilisation des liens sociaux et banalisation de comportements violents. Ce n’est pas seulement un défi mauricien : des sociétés à travers le monde connaissent des tensions similaires.
À Maurice, nous avons souvent l’impression que tout s’effondre autour de nous, alors que nous possédons pourtant des institutions et des outils capables de redresser la trajectoire. La volonté politique et l’engagement citoyen sont essentiels pour restaurer le civisme, l’éthique et l’intégrité. Il faut se rappeler que, lorsque la société prospère dans son ensemble, chacun en bénéficie, et que le progrès collectif constitue la clé d’un avenir stable, juste et durable.
On constate un appauvrissement des valeurs qui étaient les nôtres il n’y a pas si longtemps.
Ce que certains qualifient d’« érosion des valeurs » n’est souvent qu’un changement de mentalité entrant en tension avec les générations précédentes, mais il est clair que certaines valeurs fondamentales, comme l’éthique et l’intégrité, semblent se perdre. Transparency Mauritius rappelle que pointer du doigt ou chercher un bouc émissaire – que ce soient les réseaux sociaux, les jeunes ou d’autres groupes – ne fait avancer personne.
La véritable réponse doit être collective et proactive : les écoles ont un rôle clé dans la sensibilisation et l’éducation aux valeurs civiques, les dirigeants doivent montrer l’exemple par leurs actions, les parents transmettre des repères solides, et les médias valoriser l’intégrité et la responsabilité plutôt que la polémique ou le sensationnel. C’est par cet effort coordonné et constant de tous les acteurs de la société que nous pourrions réellement renforcer le civisme, restaurer l’éthique et l’intégrité, et créer un environnement où chacun comprend que sa contribution au bien commun profite à tous
La drogue, qu’elle soit synthétique ou dure, touche de plus en plus de jeunes, et la consommation se féminise également. Votre avis ?
La drogue touche effectivement tous les profils, sans distinction d’âge ou de genre, et ses conséquences dépassent largement le cadre individuel pour affecter l’ensemble de la société. Il faut rappeler que la corruption et le crime n’ont pas de genre : ils exploitent les vulnérabilités où qu’elles se trouvent. C’est pourquoi il faut combiner prévention, éducation, accompagnement social et mesures judiciaires, tout en sensibilisant familles et communautés. La lutte contre la drogue doit s’accompagner d’un renforcement de l’éthique et de l’intégrité pour protéger les jeunes et préserver la cohésion sociale. Et, bien sûr, au risque de me répéter, rien ne peut se faire sans une volonté politique.
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