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Krist Dhurmah, président du Nursing Council : «De nombreux infirmiers souffrent actuellement de burn-out»

La Journée mondiale des infirmières, ce lundi 12 mai, a pour  thème : « Nos infirmières. Notre avenir. Prendre soin des infirmières renforce les économies ». Le président du Nursing Council plaide pour une montée en compétence du personnel soignant à Maurice. Acting Regional Nursing Administrator à l’hôpital Victoria, il revient aussi sur les défis du métier.

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Pour exercer, chaque infirmier doit obligatoirement être enregistré. Mais au-delà de cette « formalité », qu’est-ce que cela change concrètement pour les patients ? Et pour les infirmiers eux-mêmes ?
Dans n’importe quel établissement de santé, qu’il soit public ou privé, si une personne ne détient pas une licence émise par le Nursing Council, elle n’est pas considérée comme un infirmier. Le Nursing Council Act est clair à ce sujet : une personne doit être enregistrée pour pouvoir pratiquer en tant qu’infirmier.

Accorder une licence à un infirmier après son enregistrement revient à reconnaître ses compétences. Car si on laisse une personne insuffisamment qualifiée exercer, ce sont les patients qui en souffriront. L’enregistrement des infirmiers constitue un filet protecteur pour les malades et la population dans son ensemble, afin qu’ils soient pris en charge par des professionnels dotés des bonnes qualifications et d’une formation adéquate.

La formation continue est obligatoire chez les infirmiers. Pourquoi est-ce si crucial d’accumuler des points Continuous Professional Development (CPD) ? 
L’ensemble du secteur infirmier est en constante évolution. Lorsque la médecine évolue, les soins infirmiers évoluent en parallèle. De nouvelles technologies apparaissent, auxquelles il faut s’adapter. Il est également essentiel de connaître les nouvelles données scientifiques et les pratiques fondées sur les preuves (evidence-based practices).

Le CPD a été mis en place dans le but d’offrir une formation continue aux infirmiers. La loi stipule qu’ils doivent obtenir 10 points CPD chaque année, correspondant à 15 heures de formation, que ce soit à travers des cours en soins infirmiers ou en médecine. Ainsi, ils doivent apprendre quelque chose de nouveau chaque année. Et plus ils apprennent, plus cela est bénéfique pour les patients.

Nous anticipons une hausse des plaintes et des allégations de négligence médicale»

Le manque de personnel, les gardes à répétition, la fatigue accumulée… Dans ces conditions, demander encore de suivre des formations, est-ce réaliste ? Comment aider les infirmiers à rester à jour sans les épuiser davantage ?
C’est une question très pertinente, surtout avec le manque aigu de personnel. Mais on ne peut pas supprimer ces sessions de formation sous prétexte de pénurie de personnel.

Afin de faciliter les choses, le Nursing Council propose des cours en ligne, permettant aux infirmiers d’obtenir leurs 10 points CPD. Il existe également des sites internationaux qu’ils peuvent consulter pour leur formation continue. Ces cours peuvent leur rapporter au moins 7 points par an.

Des systèmes de contrôle sont en place sur ces plateformes, avec des questionnaires à choix multiples à compléter. En cas de réussite, un certificat est délivré. Cela constitue une preuve qu’ils ont effectivement suivi la formation. Parmi les cours disponibles, certains sont proposés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Cependant, ce n’est pas un système infaillible. Le Nursing Council a mis en place le CPD en 2023. Il a fallu un certain temps pour le roder et trouver la formule la plus appropriée, permettant d’avoir un contrôle optimal. Aujourd’hui, le Nursing Council contrôle plus de 95 % de ce système de formation afin de s’assurer que les infirmiers suivent réellement les sessions. Nous n’avons pas encore atteint l’excellence, mais nous nous en rapprochons.

Au sein du Nursing Council, nous développons des outils informatiques pour disposer de toutes les informations nécessaires aux vérifications. Cela prendra du temps, mais nous y travaillons activement.

Quand un patient dépose une plainte pour négligence ou faute professionnelle, que fait le Nursing Council ? 
Prenons le cas d’une plainte dans le service public. Dès qu’une personne dépose une plainte pour négligence présumée, celle-ci est d’abord transmise au ministère de la Santé, qui examine la doléance, qu’elle concerne un médecin ou un infirmier, afin de déterminer les responsabilités.

Il arrive que certaines plaintes soient transmises au Medical Council et au Nursing Council. Le dossier peut également être examiné par le Medical Negligence Standing Committee du ministère de la Santé, qui peut ensuite le référer au Nursing Council pour une enquête plus approfondie.

Une fois le dossier reçu par le Nursing Council, l’enquête ne peut pas démarrer immédiatement. Il faut d’abord rassembler tous les documents nécessaires : dossier médical du patient, déclarations diverses, etc. Ce n’est qu’une fois tous les éléments réunis, et le dossier étudié, que le Nursing Council convoque les infirmiers concernés pour un interrogatoire. L’instance peut également auditionner les proches ou les témoins. Toutes les parties peuvent se faire assister par un avocat. Comme devant toute cour de justice, chacun a droit à une défense et à une assistance légale.

Une fois l’enquête achevée, un rapport est soumis au ministère de la Santé. Le Nursing Council peut aussi formuler des recommandations pour corriger d’éventuelles failles systémiques.

Si le ministère de la Santé estime que le cas doit être transmis au Medical Tribunal, celui-ci prendra alors une décision. Si la personne est reconnue coupable, la sentence est prononcée par le Board du Nursing Council. Les sanctions peuvent aller d’un simple avertissement à une réprimande sévère, voire une suspension. 

Une fois la sanction prononcée, la Public Service Commission (PSC) en est informée. Elle inscrit alors cette sanction dans le dossier de l’infirmier, ce qui peut avoir des conséquences lors d’un exercice de promotion ou de révision salariale.

L’IA a et aura sa place dans le secteur infirmier»

Y a-t-il des infirmiers qui ont été sanctionnés pour des cas de négligence ou de faute professionnelle ?
Oui, des sanctions ont été prononcées, et certaines personnes ont même dû cesser d’exercer. Prenons la possession de drogue, que ce soit pour trafic ou consommation : si les faits sont avérés, la personne est sanctionnée en conséquence.

En revanche, lorsqu’il s’agit de consommation d’alcool sur le lieu de travail, il est souvent difficile d’apporter des preuves, car les personnes concernées utilisent divers subterfuges pour se disculper. Si un supérieur constate qu’un infirmier est en état d’ivresse, il n’existe actuellement aucun protocole en milieu hospitalier l’obligeant à subir une prise de sang pour vérifier son taux d’alcoolémie, ni à suivre un traitement. Il peut refuser tout traitement, et aucune action ne pourra être entreprise contre lui.

C’est pour cette raison que les administrations hospitalières rencontrent des difficultés à sanctionner les cas de consommation d’alcool sur le lieu de travail. Lorsqu’un supérieur n’a pas les moyens d’agir contre un subordonné, ce dernier peut consommer de l’alcool en toute impunité.

S’il existait une loi ou un protocole clair – permettant, par exemple, de référer la personne à la police, de remplir un formulaire 58 pour qu’elle soit examinée par un médecin, et de l’obliger à fournir un échantillon sanguin –, alors des sanctions pourraient être appliquées. Certains infirmiers vont jusqu’à prétendre que leur somnolence est due à la prise de médicaments. Il y a donc une lacune à corriger pour permettre une intervention efficace.
Concernant les cas de drogue, plusieurs infirmiers ont été arrêtés pour possession. Ils ont été suspendus de leurs fonctions. Certains ont reçu un avertissement, d’autres des réprimandes plus sévères.

Quels sont les types de négligence ou de comportements fautifs les plus fréquemment rapportés au Nursing Council ? S’agit-il toujours de manquements graves ou parfois de simples erreurs humaines ?
Des cas sont rapportés notamment lorsqu’il y a des décès, et les proches allèguent alors une mauvaise prise en charge. Ils évoquent des cas de « négligence » de la part d’infirmiers qui n’auraient pas prodigué les soins appropriés relevant des gestes de base, le « basic nursing care ». Certains affirment également que le patient présentait des escarres.

Plusieurs types de situations sont évoqués comme relevant de la négligence : par exemple, lorsqu’un patient tombe de son lit pendant son sommeil et subit une fracture, les proches portent plainte contre le ministère de la Santé, évoquant l’absence de barrières de sécurité. Autre cas : un patient chute en allant aux toilettes.

Cela peut aussi concerner des complications simples, comme une enflure due à une injection. Même ces situations apparemment banales nécessitent une enquête afin d’établir ce qui s’est réellement passé.

Combien de temps durent ces enquêtes, justement ?
Cela dépend de la complexité des cas. La loi stipule que dès que le Nursing Council est informé d’un cas, il dispose d’un délai de 90 jours pour mener son enquête. Cependant, des retards peuvent survenir lorsque certaines personnes reviennent sur leurs déclarations ou se présentent accompagnées de leur avocat. Dans ce cas, l’ensemble de la procédure doit être repris, et il faut fixer une nouvelle date qui convienne à toutes les parties. 

Mais de manière générale, tout est mis en œuvre pour respecter le délai de 90 jours.

Avec l’arrivée de l’intelligence artificielle (IA) dans le domaine de la santé, voyez-vous des opportunités ou des risques pour les infirmiers à Maurice ? Le Nursing Council s’y prépare-t-il déjà ?
L’IA présente à la fois des avantages et des inconvénients. Son principal défaut est de ne pas pouvoir assurer une prise en charge directe du patient. Il faudrait une IA très avancée pour être capable de soigner un patient avec toute la dimension émotionnelle et spirituelle que seuls les humains peuvent offrir.

À ce jour, seul un être humain peut véritablement prendre soin d’un autre, surtout sur le plan affectif. Lorsqu’un infirmier développe un lien émotionnel avec un patient, c’est quelque chose qu’aucune machine ne pourra remplacer. Sur ce plan, l’IA a encore beaucoup de chemin à parcourir.

Mais elle a aussi ses atouts : elle peut contribuer à l’autonomisation des professionnels de santé, aider au diagnostic et à l’élaboration d’hypothèses cliniques. L’IA a et aura sa place dans le secteur infirmier. Les infirmiers devront, à terme, avoir des notions en informatique et connaître les possibilités offertes par l’IA, notamment avec l’introduction du « E-Health ».

Le Nursing Council se prépare déjà à cette transition. Nous lançons un nouveau site web, revu ce 12 mai, où toutes les nouveautés pourront être intégrées afin que nous restions en phase avec les évolutions technologiques. Il est indispensable que les infirmiers soient informés des avancées en matière d’IA. Un amendement au Nursing Council Act pourrait même s’avérer nécessaire afin de mieux nous adapter aux mutations à venir.
En dehors de certains équipements sophistiqués, l’IA n’a pas encore pris une place significative dans le système infirmier mauricien.

Concernant les cas de drogue, plusieurs infirmiers ont été arrêtés pour possession. Ils ont été suspendus de leurs fonctions»

Entre stress, responsa-bilités, horaires irréguliers, santé mentale et manque de personnel, les infirmiers sont parfois mis à rude épreuve. Le Council s’en préoccupe-t-il ?
Nous constatons qu’il y aura sans doute une augmentation des plaintes en raison de la pénurie aiguë d’infirmiers. Cela a pour conséquence que ceux qui sont en poste peinent à fournir des soins appropriés ou conformes aux attentes. À mon avis, de nombreux infirmiers souffrent actuellement de burn-out. Lorsqu’on demande à un infirmier de travailler 36 heures d’affilée, il est évident que cela affecte sa performance.

Nous anticipons ainsi une hausse des plaintes et des allégations de négligence médicale. Le ministre de la Santé, Anil Bachoo, a lui-même reconnu qu’il manquait 1 500 infirmiers dans le système de santé public, ce qui affecte directement la prise en charge quotidienne des patients.

Des actions concrètes sont-elles en place pour prévenir l’épuisement professionnel ?
Nous faisons régulièrement des recommandations au ministère de la Santé. Nous avons déjà attiré l’attention sur le manque de personnel et la nécessité de recruter rapidement des aspirants infirmiers, de rappeler ceux qui sont partis à la retraite, ou encore d’intégrer ceux qui ont terminé leur formation à Polytechnique Mauritius, afin de renforcer rapidement le système de santé public.

Selon une étude récente, environ 125 infirmiers étaient disponibles sur le marché, mais ont été rapidement absorbés par le secteur privé, attirés par de meilleures conditions de travail et de rémunération. Dans le secteur public, les salaires varient entre Rs 18 000 et Rs 22 000, tandis que dans les cliniques privées, ils peuvent atteindre Rs 40 000 dès la première année.

Pour combler le déficit dans les hôpitaux publics, nous avons recommandé de former davantage d’aspirants infirmiers. De nombreux jeunes professionnels quittent le pays pour travailler à l’étranger ou délaissent le service public pour le privé, un phénomène qui prend de l’ampleur avec l’ouverture de nouvelles cliniques privées.

Le métier évolue, parfois très vite : infirmiers spécialisés, cliniciens, prescripteurs dans certains pays… Voyez-vous Maurice aller dans cette direction ? Et à quel horizon ?
Un de mes souhaits depuis longtemps est que les autorités misent davantage sur les infirmiers spécialisés. Par exemple, lorsqu’un infirmier est spécialisé dans le domaine de la cardiologie, il est capable d’offrir un meilleur service et d’administrer un traitement approprié. 

Ainsi, graduellement, le ministère de la Santé devrait favoriser la spécialisation des infirmiers dans tous les secteurs : ophtalmologie, diabétologie, cardiologie, néphrologie, cancérologie... Tous ces domaines nécessitent des infirmiers spécialisés. Ces formations doivent être bien structurées, et les infirmiers concernés doivent être reconnus par le ministère et rémunérés en fonction de leurs compétences. Cette reconnaissance ne doit pas venir uniquement du Nursing Council.

Le ministère de la Santé doit trouver des moyens de promouvoir la formation d’infirmiers spécialisés, que ce soit à travers le Mauritius Institute of Health, la valorisation de la School of Nursing ou encore en collaborant avec des institutions d’enseignement supérieur, afin qu’elles puissent lancer des sessions de formation pour faire avancer le processus le plus rapidement possible. Mais nous sommes conscients que cela ne se fera pas du jour au lendemain, et qu’une planification est nécessaire.

Il y a déjà une initiative avec les diabetic foot nurses qui a commencé. Des sessions de formation ont été offertes à un groupe d’infirmiers pour devenir specialised diabetic nurses. Il y a aussi les public health nurses qui doivent être formés, par exemple, à la vaccination. Cette formation est indispensable, car il y a de plus en plus de maladies non transmissibles. 

Les infirmiers doivent donc se spécialiser afin de mieux prendre en charge ces patients. Nous avons réussi à faire face à la COVID-19, mais si une maladie encore plus contagieuse devait apparaître, comment allons-nous faire ?

En cette Journée mondiale des infirmières, quel message souhaitez-vous adresser à celles et ceux qui exercent ce métier au quotidien, souvent dans l’ombre ? Et au public, qui les croise sans toujours voir l’humain derrière l’uniforme ?
Comme vous l’avez dit, un infirmier est avant tout un être humain. Il exerce un métier très difficile, qui n’est pas à la portée de tout le monde. Il est là, auprès des patients, jour et nuit. Il doit faire preuve de beaucoup de compassion et d’empathie envers les malades. 

Mais ce qui est triste, c’est que certains membres du public, qui applaudissaient les infirmiers pendant la pandémie de Covid-19, sont aujourd’hui ceux qui les maltraitent ou leur manquent de respect. Les infirmiers subissent diverses formes de violence et de pression, tant de la part des patients que de leurs proches. Le regard de la société a complètement changé.

Je lance un appel au public : les infirmiers et les infirmières sont essentiels à notre société. Ils représentent l’avenir de notre économie. S’ils ne prennent pas soin des patients pour les remettre sur pied, ces derniers ne pourront pas retourner travailler, et c’est l’économie du pays qui en souffrira.

 

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