Dans l’interview qui suit, Krish Ponnusamy, ancien chef de la Fonction publique, commente le sondage réalisé par Afrobarometer, qui fait état de la perte de crédibilité des grandes institutions de Maurice. Notre invité prend très au sérieux ce sondage, car il estime qu’il affecte aussi l’image de Maurice auprès des investisseurs étrangers et pays amis
« Ni le bureau de la Présidence, ni le judiciaire, ni le Bureau du Premier ministre ne sont épargnés. »
Comment faut-il prendre le sondage d’opinion d’Afrobarometer, qui fait apparaître un manque de confiance des Mauriciens en nos institutions, entre autres ?
J’ai pris plaisir à lire la publication de ce sondage, mais j’ai accepté très mal ses conclusions, car j’estime qu’à la veille de fêter les 50 années de l’indépendance de notre pays, on devrait s’attendre à un reflet plus optimiste de la situation ici, mais le sondage en donne un reflet contraire. C’est un sondage que je prends au sérieux parce les personnes interrogées ont répondu librement, il n’y a pas eu de lobbying, les Mauriciens ayant fait connaître leurs opinions selon leur vécu et leurs observations.
Le plus grave, c’est que l’insatisfaction affecte l’ensemble de nos institutions. Ni le Bureau de la Présidence, ni le judiciaire ou le Bureau du Premier ministre ne sont épargnés, sans oublier la Commission électorale, qui a toujours inspiré confiance. Ce n’est pas un certificat de satisfaction qu’on décerne à nos institutions mais une motion de blâme. On ne peut pas traiter ce sondage comme un événement marginal, car sur l’indice de la bonne gouvernance, nous risquons de régresser, ce qui va impacter négativement notre crédibilité auprès des bailleurs de fonds et des pays amis. Avec ce sondage, les investisseurs étrangers vont commencer à se poser des questions.
Comment en est-on arrivé à une telle situation, à qui la faute ?
Ce n’est pas arrivé d’un coup. Avant même l’indépendance de Maurice, la démocratie prévalait pour assurer l’alternance politique par le biais d'élections générales. La population accorde sa confiance à un parti ou à l’alliance qui s’engage à respecter ses promesses durant son mandat. A la fin de cette échéance, si celles-ci n’ont pas été respectées et si les institutions n’ont pas eu la liberté totale de fonctionner, l’électorat botte cette alliance hors du gouvernement. C’est arrivé en 1982, avec un Ramgoolam père complètement épuisé, qui a reçu le coup de grâce. Avec sir Anerood Jugnauth, dont le règne a été marqué par la consolidation de l’économie, la confiance en des institutions, dont le judiciaire, a été entamée.
SAJ a payé le prix fort, il a accusé le peuple d’ingratitude. Après lui est arrivé Navin Ramgoolam, dont la jeunesse et le dynamisme étaient censés susciter la confiance. Mais la fin de son mandat a été une catastrophe, il a commis tous les péchés du monde sur le fonctionnement des institutions et, en 2014, il a été balayé. Le peuple a refait confiance à sir Anerood Jugnauth pour qu’il aide le pays à remonter la pente. A-t-il réussi ? Le sondage montre que ce n’est pas le cas. La moralité est la suivante : les alternances doivent être meilleures afin de ne pas commettre les mêmes erreurs.
Mais pourquoi ce gouvernement, plébiscité en 2014, n’inspire plus confiance ?
Parce qu’il est incapable d’installer un leadership fort. Ce ne sont pas les institutions qui ont failli, mais les hommes et les femmes qui les dirigent. Nous avons les ressources humaines et financières nécessaires et si ces institutions sont gérées dans le respect des normes de la bonne gouvernance, je ne vois pas comment elles échoueraient. En d’autre mot, il faut un leadership fort pour amener ces institutions au plus haut niveau. Ce n’est pas la mer à boire, il faut s’inspirer de l’étranger où, à Singapour, notamment, chaque année, les institutions progressent en crédibilité. Dans des pays du Commonwealth comme le Canada ou l’Australie, ce sont les principes de la bonne gouvernance qui prévalent sans relâchement. Un des maitres-mot au cœur de la bonne gouvernance, ce sont les réformes
« Tout gouvernement doit les chercher (les compétences), mais s’il se complait dans ses cercles, il est voué à l’échec. »
On a souvent fait valoir que les fonctionnaires seraient réfractaires aux réformes qui toucheraient à leur confort…
Je pense que tout gouvernement nouvellement installé doit venir de l’avant avec des réformes et les inscrire dans un calendrier pour leur mise en œuvre durant son mandat de cinq ans. Il faut qu’il impose un rythme à ces réformes et s’engage dans l’évaluation de leurs effets. Les seuls fonctionnaires ne sont pas responsables de la réussite ou de l’échec des réformes, mais c’est toute la classe politique. Au niveau du gouvernement, il faut un mécanisme pour superviser les réformes et s’assurer de l’harmonie dans leur mise en œuvre. Les résultats doivent être compris par le peuple.
Il existe une opinion en faveur de l’adoption des méthodes en usage dans le privé pour assurer la bonne gouvernance dans les organismes de l’État. Est-ce la solution ?
Durant mes services dans la Fonction publique, j’ai été présent comme secrétaire à des comités ou siégeaient des représentants de l’État et du secteur prive. On discutait de la diversification afin de ne pas dépendre uniquement du sucre. On avait réussi grâce à l’apport du secteur privé. Le gouvernement de sir Seewoosagur Ramgoolam avait institué la Joint Government Private Meeting, l’ancêtre du Joint Economic Council, où siégeaient sir Maurice Paturau et l’état-major du secteur privé.
Ramgoolam père choisissait les ministres pour faire partie des discussions. Parfois, tout ce monde se chamaillait mais il y avait une réelle volonté de parvenir à un consensus en dépit des divergences. SAJ défendait lui l’aspect social des dossiers, mais à la fin, le bon sens prenait le dessus. Je ne sais pas si ce genre de comité existe encore.
Ou pratique-t-on la bonne gouvernance ? Dans le privé ou dans la Fonction publique ?
Le secteur public n’est pas un bloc monolithique, il est constitué de grands ministères, de divisions, de corps paraétatiques, de collectivités locales, entre autres. Ce n’est pas facile de porter un jugement. Mais, j’en reviens d’une part à la nécessité de mettre sur pied les principes de la bonne gouvernance, qui sont fondés sur la méritocratie, l’élimination de la corruption, l’honnêteté, le respect de l’environnement, le développement soutenable et, d’autre part, la recherche des compétences. Après 50 années d’indépendance, nous pouvons trouver ces deux facteurs indispensables à notre étape de développement, si on ne les a pas, ce serait dramatique.
A-t-on ces compétences ?
Tout gouvernement doit les chercher, mais s’il se complait dans ses cercles, il est voué à l’échec.
Êtes-vous pessimiste ?
Loin de là. Nous sommes fiers de ce que nous avons accompli depuis notre indépendance, nous avons su moderniser nos institutions et réussi à atteindre un certain niveau de vie. Mais aujourd’hui, les défis sont tout autre, le chef de l’État doit mettre en œuvre des réformes visibles par la population. Il lui reste deux ans pour y arriver. C’est une marge très étroite.
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