Juriste, analyste politique, consultant international et ancien haut fonctionnaire international, Kris Valaydon revient sur la révocation de Vikram Hurdoyal du poste de ministre de l’Agro-industrie. Par rapport aux élections générales, il insiste sur le fait que les nouvelles formations politiques ont leur importance. Il dénonce aussi « l’État policier » qu’est devenu Maurice et déplore le manque de solidarité de la presse pour faire face aux critiques des politiciens.
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Vikram Hurdoyal a démissionné comme député de la circonscription No 10 (Montagne Blanche/GRSE). Est-ce un acte salutaire ? On note, toutefois, que le Premier ministre et lui sont tombés d’accord sur le fait de pas évoquer les raisons de la révocation. Est-ce normal ?
Je ne crois pas qu'il s'agit d'un pacte, mais beaucoup plus d'un accord informel pour ne pas trop faire des dégâts au parti ou au gouvernement Mais, il faut s'attarder aussi sur ce que dit Hurdoyal dans l’intégralité des propos qu'il tient autour de sa révocation. Notons aussi qu’il laisse la porte entre-ouverte. On dirait qu'il ne veut pas de la confrontation. Mais le fait de démissionner est une provocation en soi.
C'est une manière de dire qu'il n'est pas content, qu'il est en colère et il le fait clairement comprendre au Premier ministre et au MSM à qui il fait assumer les conséquences de sa démission, sachant que cela va provoquer une élection partielle qui mettrait bien sûr le gouvernement dans un certain embarras. Cela, entre autres, au niveau de la fixation de la date des élections générales. Sa démission ramène l'échéance des élections générales plus rapprochées que s'il n'avait pas démissionné.
La stratégie qui paraît la plus logique serait de faire croire qu'il y aura une élection partielle mais que le moment venu, l'Assemblée nationale sera dissoute. La prochaine échéance sera alors celle des élections générales.
Vikram Hurdoyal a été révoqué dimanche soir, alors qu’il était dans l’avion pour retourner à Maurice. Est-ce que cette façon de faire est surprenante ?
Cela peut paraître surprenant dans la mesure où la pratique et la courtoisie veulent que l’on demande d’abord à un ministre de soumettre sa démission et s’il n’accepte pas, à ce moment-là, il est révoqué. Le cas d’Ivan Collendavelloo est là pour servir d’exemple, parmi d’autres. Dans le cas de Vikram Hurdoyal, je trouve la manière de faire désolante.
À moins que la raison pour laquelle il a été révoqué était justement liée à sa présence physique sur le territoire mauricien. Mais je ne pense pas que ce soit le cas, puisqu’il n’a pas été inquiété outre-mesure, une fois à Maurice. Tout ça sent l’impulsivité et le non-respect de certaines règles de base, des conventions d’usage …
Deux jours plus tard, le Premier ministre n’a toujours pas donné de raison ? Quelle conclusion faut-il en tirer ?
Je trouve que c’est grave que le public ne puisse pas connaître les raisons de la révocation. Vikram Hurdoyal a quand même été un ministre du gouvernement pendant quatre ans, payé par le contribuable, représentant le peuple au sein du pouvoir exécutif. Tout cela montre qu’il y a une lacune au niveau de notre Constitution et de nos lois. Le Premier ministre aurait dû être redevable envers le peuple et expliquer les raisons de la révocation. Il ne faut pas être surpris si des rumeurs viennent combler l’absence d’informations.
Avec cette révocation, Pravind Jugnauth montre qu’il est le seul maître à bord. Une bonne façon de secouer les troupes et de forcer à la discipline, quelques mois avant les élections générales ?
Cette révocation et la manière dont elle a été faite sont surtout venues prouver encore une fois le phénomène de concentration du pouvoir qui caractérise le système politique mauricien. Cet épisode confirme que nous sommes bien dans une phase de déchéance politique dont l’origine remonte à plusieurs décennies.
Malgré le bouillonnement de la marmite politique en ce début d’année, le Premier ministre maintient que son gouvernement ira jusqu’à la fin de son mandat, voire même jusqu’au début 2025. Quelle est votre lecture ?
Évidemment, on ne peut pas s’attendre à autre chose d’un chef de gouvernement. Le contraire traduirait un aveu d’impuissance, une incapacité d’aller jusqu’au bout de son mandat, ce qui peut être vu comme l’acceptation d’une défaite. Le parti au pouvoir voudra toujours afficher la confiance et proclamer la force du gouvernement. Mais cela ne veut pas dire que c’est le fond de la pensée du leader du parti au pouvoir. Les propos qu’il lance sont un cliché usuel que tout gouvernement va utiliser. L’expérience nous a montré que le gouvernement choisira le moment propice pour aller aux urnes avant l’échéance des cinq ans.
Ces derniers jours, on voit que le gouvernement multiplie les sorties avec le Premier ministre qui écume les comités régionaux et semble plus présent sur le terrain que l’opposition. Qu’est-ce que cela traduit ?
Cela peut être interprété de plusieurs manières. Bien sûr, il y a l’éventualité de la tenue des élections en novembre ou même avant, mais il y a aussi le fait que les partis de l’opposition, et pas seulement l’alliance Parti travailliste/MMM/PMSD, mais les autres partis aussi, qui sont actifs à maintenir le lien avec la population, occupent les espaces médiatiques et sont sur le terrain. À cela s’ajoutent la présence sur les médias sociaux et la persistance des messages majoritairement contre le gouvernement. Face à cette situation, un gouvernement ne peut rester insensible, cloîtré dans une tour d’ivoire, alors que le champ politique est occupé, non pas par un, mais par plusieurs adversaires avec plusieurs degrés d’engagement. Ce ne sont pas uniquement les partis politiques
Tout indique que nous nous dirigeons une nouvelle fois vers des élections générales où deux grands blocs s’affrontent. Pensez-vous que les « petits partis » auront cette fois-ci un rôle plus prépondérant ?
Je récuse le terme « petit parti », mais disons que ce sont des partis nouvellement formés. Je crois qu’il ne faut pas les sous-estimer et qu’il faut aller au-delà de l’argument qu’ils vont jouer les trouble-fête, ou parler de leur "nuisance value", à faire tomber les grands partis ou les grandes alliances. Ces partis ont des choses à proposer et ils méritent d’être écoutés. Bien sûr, il y a cette nécessité que ces partis réalisent qu’ils jouent contre des éléphants et que traiter les éléphants de dinosaures ne les fait pas gagner en adhésion populaire. Ils doivent composer avec la réalité mauricienne et comprendre la notion du vote utile qui est dans la tête de l’électeur.
Ces nouveaux partis ont un rôle prépondérant à jouer et doivent convaincre les électeurs qu’ils vont pouvoir être à la hauteur, si jamais on leur fait confiance. Tout va dépendre de la stratégie qu’ils vont adopter, afin que leurs efforts et leurs énergies ne soient pas dispersés, mais soient canalisés dans la bonne direction. Ils doivent réaliser que seule une victoire aux élections peut faire avancer leurs idées et leurs programmes. Il y a lieu qu’ils comprennent et mettent en pratique la notion de la contradiction principale prônée par les milieux de gauche.
Quels devraient être les axes de campagne du gouvernement et de l’opposition à un moment où une bonne partie de la population a, selon différents sondages, perdu confiance dans les politiciens ?
La campagne d’un parti politique se concentre principalement sur deux volets. Premièrement, il y a tout ce qui concerne le programme. Deuxièmement, les personnalités politiques du camp adverse. Les partis politiques sont très conscients du poids qu’il faut accorder à l’un ou à l’autre volet dans leur discours, et tout dépendra de l’auditoire. Ils savent très bien que parler du programme fait sérieux, mais le peuple veut surtout connaître les mesures populistes que le gouvernement veut prendre, par exemple, sur la pension, les salaires.
Le peuple s’intéresse peu au programme gouvernemental tel quel, avec tous les aspects du développement traités dedans. Le peuple, du moins sa majorité, ne s’intéresse pas trop aux projets de société, à la révision constitutionnelle et peut-être même moins à la réforme électorale. Dans le 2e volet, c’est-à-dire la critique contre la personnalité des adversaires, il suffit d’assister à un meeting pour savoir ce que le peuple aime bien entendre.
Vous verrez que le peuple accroche mieux lorsque vous parlez des scandales impliquant des personnalités, voire même de la vie privée, comme si le peuple vote les personnes, les partis, et non pas le programme. Il ne faut pas oublier que le peuple cherche aussi du divertissement en politique.
Ceci dit, je pense que le gouvernement va jouer sur ses réalisations et ce qu’il propose en termes de pensions, salaires et autres bénéfices directs à des groupes spécifiques de la population, notamment les vieux, les jeunes, les veuves, les chômeurs, les handicapés, et à certaines professions particulières, comme les chauffeurs de taxi, les marchands ambulants, pourquoi pas ? Le souci du nombre d’adhérents à la cause du gouvernement guidera sa campagne. Puis, il s’attaquera à ses adversaires et à leur comportement passé, car c’est cela qui fait gagner l’adhésion.
Quant à l’opposition, elle jouera bien sûr sur les scandales qui ont miné le gouvernement non seulement depuis 2019, mais depuis 2014, le fléau de la drogue, la gestion des intempéries, les dérives de ses ministres, les dérapages, etc. Puis, éventuellement, pour ne pas dire accessoirement, elle parlera programme, sur ce qu’elle propose de faire dans les cinq prochaines années. J’espère bien qu’elle annoncera la révision du mode électoral, aussi bien qu’une révision de la Constitution afin d’éviter le délitement graduel de la démocratie.
Faut-il un grand rassemblement des forces de l’opposition ?
Un rassemblement de l’opposition, non pas uniquement pour remporter les élections, mais aussi pour assurer qu’il n’y ait pas de concentration de pouvoir au niveau du gouvernement. Une alliance faite de plusieurs partis, surtout des partis capables de défier le gouvernement, même s’ils font partie de la majorité parlementaire, est utile pour la survie de la démocratie dans notre pays. Prenons l’exemple du PMSD, dont la démission du gouvernement avait empêché une atteinte à la Constitution, notamment une atteinte aux prérogatives du Directeur des poursuites publiques (DPP).
Imaginez-vous, si le pouvoir était détenu par un seul et unique parti, où nous en serions ? Les petits partis représentent une sauvegarde pour la démocratie. Les petits partis à l’intérieur d’un gouvernement représentent un rempart contre la concentration du pouvoir et offrent une garantie contre la dictature du seul parti et de son leader.
Plus d’un mois après avoir été votée, la Financial Crimes Commission Act n’a pas encore été mise en vigueur. Qu’est-ce que cela traduit, selon vous ?
Il y a des raisons techniques dans l’organisation de l’État. Essayer de fusionner plusieurs institutions en une seule n’est pas chose facile. Il y a tant de dispositions à mettre en place, tant de procédures, de réglementations, des choses à régler concernant le statut du personnel, l’organisation de la nouvelle structure... Tout cela prend du temps, surtout qu’on n’y avait pas trop pensé avant que le projet de loi a été voté et lorsqu’il était en préparation. Deuxièmement, il y a le côté politique de la chose.
Il y a l’agenda du gouvernement,z qui demande beaucoup de réflexions avant de pouvoir être étalé, dont la nomination du patron ou de ceux qui prendront des décisions à la commission, la manière dont ils vont fonctionner et leur rapport avec le pouvoir exécutif, avec le parti politique au pouvoir. Mais il y a aussi l’action qui est attendue d’eux, surtout dans le cadre de l’arrivée des élections générales.
Est-ce que vous êtes toujours d’avis que la constitutionnalité de cette loi doit être contestée ?
J’avais expliqué que c’est une loi à valeur constitutionnelle, puisqu’elle touche à des articles de la Constitution, et qu’une loi de cette nature ne peut être votée comme une loi simple. Il y a lieu d’amender la Constitution, donc c’était une loi qui nécessitait 3/4 des votes du Parlement, puisqu’on touchait à l’article 72 de la Constitution qui requiert une telle majorité qualifiée.
J’avais dit aussi que puisqu’il n’y a aucune disposition dans nos lois, tout comme en France où il y a le Conseil constitutionnel qui le fait, qui impose un examen de la constitutionnalité d’une loi avant qu’elle ne soit votée au Parlement, cette procédure n’existe pas à Maurice. La Cour suprême devrait jouer ce rôle de pouvoir dire si le projet de loi est conforme à la Constitution.
Selon vous, 2023 a été néfaste au niveau du rapport entre la politique et le droit. Pourquoi ?
Et pas seulement en 2023, mais disons que 2023 nous a exposé de nouveau le conflit peut-être avec des dimensions inconnues jusqu’à présent dans le conflit entre le commissaire de police et le bureau du DPP. Évidemment, c’est néfaste, mais le phénomène où la politique se croit au-dessus du droit a toujours été présent, pas seulement en 2023. Nous connaissons les épisodes de la Sri-lankaise et de son enfant qui avaient été déportés, alors qu’ils attendaient d’être entendus par feu le juge Ahnee, qui a dû démissionner, et nous avons vu les critiques faites à l’encontre des membres du judiciaire par un parti lorsqu’il est au pouvoir, sans qu’aucune sanction ne soit jamais imposée.
Le phénomène n’est pas nouveau, mais ce qui est grave, c’est que si ce conflit se perpétue et que le politicien croit, lorsqu’il est au pouvoir, avoir une ascendance sur le judiciaire, cela va nous mener à l’anarchie. Ce n’est même plus une question de sauvegarde de la démocratie, c’est la possibilité de mettre le pays dans une situation de chaos.
Un autre sujet qui fait l’objet de plusieurs contestations est le réenregistrement des cartes SIM pour téléphones mobiles d’ici le 30 avril, sous peine de la désactivation des cartes non-enregistrées après cette date. Des plaintes constitutionnelles ont été logées en cour, par Rama Valayden et Ivor Tan Yan et, durant la semaine écoulée par l’avoué Pazhany Rangasamy. Ceux-ci s’inquiètent de la collecte et du stockage de données personnelles ainsi que de l’obligation de fournir un selfie pour chaque détenteur de carte SIM. Selon eux, l’exercice est anticonstitutionnel. Votre avis ?
Nous savons qu’il existe déjà, sans même l’enregistrement ou pas des cartes SIM d’aujourd’hui, la possibilité de connaître les mouvements d’une personne en suivant les mouvements de son téléphone sur l’application Google Maps, par exemple. Bien que très simple, elle permet de connaître pour chaque individu le nombre de kilomètres qu’il a marché, le transport public qu’il a utilisé, les endroits qu’il a visités, le temps qu’il y passe. Tout cela existe déjà, bien qu’il faille entrer dans le compte de l’utilisateur pour en connaître les détails, avec même la possibilité de déterminer ses mouvements sur plusieurs mois.
Le présent exercice d’enregistrement sera toujours vu d’un œil suspect, compte tenu de la technologie qui peut être employée par un gouvernement pour surveiller de plus près tout citoyen, qu’il soit mêlé à la politique ou non. C’est une situation grave, connaissant le contexte politique et les excès dont sont capables les politiciens lorsqu’ils sont au pouvoir. Le contexte mauricien n’est pas démocratique, il est policier, et la preuve nous en est donnée presque au quotidien depuis un certain nombre d’années. L’enregistrement des cartes SIM n’est qu’un autre clou dans le cercueil de la liberté de l’individu. Évidemment, c’est condamnable, mais surtout à cause de l’usage qui peut en être fait à des fins politiques.
Est-ce que les sorties du Premier ministre, ainsi que des porte-paroles du MSM, contre une certaine section de la presse ou contre certains journalistes, sont problématiques ? Si oui, pourquoi ? À noter que tous les autres Premiers ministres que le pays a connus ont, eux aussi, eu des mots forts contre la presse, ou du moins une « section de la presse ».
Tout d’abord, précisons que dans le contexte mauricien, il est commun que lorsque le politicien est au pouvoir, il pense régner sur tout, et même sur la liberté d’expression et le droit de la presse. Le phénomène n’est pas nouveau, il est récurrent. Des sorties contre une certaine section de la presse ne constituent pas qu’une violation de la liberté de toute la presse, c’est contre la liberté, tout court, quelle que soit la partie de la presse qui est attaquée, peu importe contre quelle presse ou quel groupe la sortie est faite. Les violations sont faites.
La presse doit se sentir concernée, mais aussi tous les citoyens. Casser la liberté de penser, la liberté d’expression, c’est ce qui est attaqué. On constatera également, lorsque surgit une attaque contre une presse en particulier, un drôle sentiment de manque de solidarité dans la presse elle-même. Ce phénomène est aussi grave que la critique du politicien contre la presse. Cela veut dire beaucoup de choses sur notre presse elle-même, sur une presse sur laquelle on compte pour éclairer le peuple et aider dans la construction de la conscience collective.
La critique contre la presse est un phénomène permanent dans l’univers politique mauricien, mais encore une fois, c’est le principe de la liberté de la presse qui est attaqué, et les élites politiques, quelles qu’elles soient, sont grandement responsables de la situation qui prévaut. Tout comme l’est également le manque de solidarité entre les titres de presse et celui du peuple, lorsqu’une attaque est faite à « une certaine section de la presse ».
Est-ce qu’une Freedom of Information Act serait la solution idéale pour plus de transparence ou est-ce que cela peut être un couteau à double tranchant ?
Il n’y a pas de solution idéale pour qu’advienne plus de transparence. On peut avoir les meilleurs textes de loi possible, cela n’empêchera pas ceux qui veulent la contourner de le faire. Évidemment, la Freedom of Information Act va établir un cadre légal pour permettre à un certain nombre d’actes du gouvernement d’être connus du grand public et que s’ils ne sont pas révélés, ils peuvent faire l’objet de contentieux dans une cour de justice avec les auteurs étant passibles à des poursuites.
Mais poursuivre, par exemple, un gouvernement sous une loi n’est pas chose facile, sans compter le temps que dure un procès et les tracasseries administratives qui vont avec, qui seront à la charge de celui qui entreprend une action en justice. L’opacité, elle, est le fait d’un système, d’une bureaucratie, d’une organisation de l’État peu favorable à la pratique démocratique.
Puis, il y a la culture de l’élite politique qui, dans un système comme le nôtre, constitue la cause fondamentale de l’absence de transparence dans la gestion des affaires du pays. La Freedom of Information Act est un pas dans la bonne direction, même si dans son application, on risque d’être déçu.
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