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Journée mondiale du refus de la misère : «Tann nou lavwa»

Partout dans le monde, le 17 octobre, Journée mondiale du refus de la misère, a pour objectif de faire entendre la voix des plus pauvres. Ils sont donc inclus dans le processus de réflexion sur le sujet et inspirent les initiatives au cœur de cette lutte. Rencontre avec trois chefs de famille.  

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Richard H : « Aret dir nou ki ledikasion li gratis »

Pour ce père de famille de 46 ans qui n’a comme seul revenu que sa pension d’invalidité, il est difficile de compléter le mois sans demander de l’aide à ses proches. « Avec les Rs 9 000 que je reçois, je dois payer les factures, la nourriture et contribuer pour la maison. »

S’occupant seul de son fils depuis le départ de sa femme, il explique qu’il a dû se battre auprès des autorités pour qu’on ne le lui enlève pas. « Souvent, je me suis retrouvé à demander aux voisins un peu de nourriture pour mon enfant. Un jour, quelqu’un m’a rapporté aux autorités et les officiers de la Child Development Unit (CDU) sont venus nous rendre visite. Ils m’ont dit que si je continuais à le faire, ils m’enlèveraient mon enfant. »

Il avoue qu’il a essayé, mais qu’il n’y est pas arrivé. « Kot ou krwar mo pou gagn manze ? Mo kapav get mo zanfan pa manze ? » Il dit détester entendre les gens dire « ledikasion gratis » à chaque fois qu’il demande de l’aide pour que son fils puisse se rendre à l’école. Il n’a que 4 ans. « Li dan maternel. Mo bizin pey lekol. Zot net dir gratis. Me mwa mo kone ki mem kan li pou al primer, mo pou gagn difikilte e ki finalman si nou pena kas, li pa pou kapav al lekol. »

Emilie : « Je n’ai jamais su que j’étais pauvre… »

Âgée de 28 ans, Emilie G. est une mère de deux enfants qu’elle élève seule. Elle cumule deux emplois pour joindre les deux bouts. Entre deux biberons, elle a accepté de nous parler de sa compréhension de la pauvreté. « Je ne peux, aujourd’hui, dire que je suis pauvre. Certes, la vie ne me gâte pas. C’est ce que je me dis quand je ne veux pas dire que je n’ai peut-être pas fait les bons choix », explique-t-elle. 

Parler de pauvreté la ramène à son enfance. « Je dois dire que ma mère était seule également. Elle aussi travaillait beaucoup. Cependant, je ne me rappelle pas avoir été pauvre. Oui, nous n’avions pas à manger parfois et on devait se rendre chez un proche pour avoir de quoi se mettre sous la dent. Oui, on marchait quand on n’avait pas d’argent pour le trajet en autobus. Je n’avais pas tout ce que je demandais. Ma mère se sacrifiait énormément. Je sais aussi que parfois, elle ne mangeait pas ou mangeait les restes de mon plat. Mais je n’ai jamais rien compris. J’étais heureuse, je jouais, j’étais gaie. »

Ce n’est qu’à l’âge de 16 ans qu’elle s’est enfin interrogée sur son enfance. « Kan dan lekol finn koz lor povrete, lerla monn resi kone ki mwa osi mo ti viv dan povrete. » Elle estime qu’il est important de venir en aide aux autres et de créer une chaîne de solidarité. « Pou sorti dan povrete ou pa kapav fer li tousel. Ou bizin enn dimoun ki a enn moman ed ou ek lerla ou ed enn lot e li ed enn lot… »

« Enn lakaz », le souhait de la famille Boodhun 

Pour la famille Boodhun, le logement reste une grande difficulté. « Nous faisons beaucoup d’efforts, nous travaillons tous les deux, mais nous avons beaucoup de dépenses. Cela nous attriste de ne pas pouvoir avoir une maison à nous. Nou fatige lwe lakaz. » Elle va bientôt déménager et ce, pour la 17e fois. 

« Sak fwa nou gagn problem mem. Mo dir ou fran, ariv enn ler nou pa kapav paye parski enn mwa nou pey det, faktir, leson zanfan, enn mwa nou pey zis lakaz. Lerla dan 1 an, zis 6 ou 7 fwa nou resi paye. Proprieter fini par met nou deor ek nou bizin al rod lakaz ankor », explique la mère de famille. 

Elle espère que le gouvernement présentera une aide concrète pour ces familles qui ont besoin d’un logement. « Monn tann dir pe ranz 12 000 lakaz, me nou pa mem kone ki bizin fer pou gagn sa lakaz la. Ena ape gagne, kifer pa nou ? » Tant qu’elle ne bénéficiera pas d’un logement social, elle continuera à bouger de maison à maison. « Mo bann zanfan nepli anvi koz ar mwa. Zot pa dakor sak fwa mo dir zot bizin sanz lakaz. Zot ankoler. Zot maltret mwa parfwa, zot pa konpran e zot inn dir kan zot pou vinn gran, zot pou kit lakaz pou de bon… » 

Faizanah : « Laissez-nous vivre en paix ! »

Quant à Faizanah, elle ne souhaite pas parler de sa situation. « C’est personnel », dit-elle. Elle affirme cependant que certaines choses sont importantes. « Fode pa fer bye looke ek dimoun ki pov. Nou bann dimoun parey kouma lezot. Nou trase. Seki pase dan nou lakaz ou pa bizin kone. » Elle déplore le fait que quelques personnes se sont approchées de ses enfants pour leur poser des questions. « C’est embêtant. Nous voulons vivre en paix. Nous ne voulons pas de harcèlement de la part des gens curieux qui nous prennent pour des bêtes ou ki pe rod gagn popilarite. Zot donn ou enn bwat fromaz, zot met 10 foto lor Facebook. Ki sa aport zot ? Mo tifi plore akoz sa a sak fwa kan dan sant, zot fer li tir foto. Mo garson li, li pa konpran, li kontan me mwa mo enn mama, mo pa anvi tann personn. Mwa osi mo ti anvi pena pou rod nanie ek person », lance-t-elle.

Journée mondiale du refus de la misère - Mario Serviable, géographe, auteur et président du Fonds d’Art Régional Contemporain : «La pauvreté est une organisation délibérément créée»

marioNous avons rencontré Mario Serviable pour mieux comprendre « La production de la pauvreté », exposée pour la première fois à Maurice. Il nous parle du système économique qui fabrique de la profusion, mais aussi de nouvelles luttes environnementales tendance, qui détournent les ressources de la lutte contre la pauvreté. 

Quel est votre constat de la pauvreté à Maurice ?
Un constat construit avec deux images persistantes : celle tournée vers l’extérieur reflétant des paysages d’abondance, d’opulence, de plages au sable blanc, de grands hôtels, de Maurice tourné vers l’extérieur, vendu aux étrangers. Et celle en première page des médias mauriciens, complètement différente de l’image que l’on veut donner de Maurice à l’extérieur. C’est ce qui me vient en tout premier lieu : la difficulté de définir Maurice comme destination touristique opulente ou comme lieu de grande pauvreté et de grande misère. 

Éradiquer la pauvreté à Maurice ou dans le monde, n’est-ce pas une illusion ? 
La pauvreté à l’horizon 2030 est un objectif. Est-ce réalisable ? Une espérance, cela se construit. Ce n’est pas un projet d’infrastructure que l’on bâtit en termes d’ingénierie que l’on mobilise. L’éradication de la grande pauvreté à l’horizon 2030 est un engagement de 192 pays et ils ont le devoir de mettre en place un scénario définissant ces priorités et les moyens qui y seront engagés. Je rappelle que les objectifs du millénaire des Nations unies s’activent autour de l’éradication de la grande pauvreté.

Ne faut-il pas mettre sur pied des projets concrets ? 
J’ai des doutes tant que ces objectifs se heurtent à d’autres objectifs qui viennent masquer et épuiser les moyens qui pourront être mobilisés sur l’éradication de la grande pauvreté. Il est d’usage de dire que la grande question du moment, c’est le problème environnemental de façon générale. 
Dans notre discours, nous construisons une idée, que nous partageons et imposons aux autres, de dire que sauver la nature est bien plus important que sauver les hommes. La question environnementale va détourner une partie de notre attention et de nos moyens pour ne pas aborder la pauvreté de peu de gens. 

Est-ce mal ? 
Non, mais la question de l’environnement nous empêche de voir la pauvreté de masse. 

N’y a-t-il pas de lien étroit entre le combat en faveur de l’environnement et celui de la lutte contre la pauvreté ? 
Je suis géographe de formation. J’étudie l’environnement, mais j’étudie aussi la Terre. Ce qui m’intéresse en premier lieu, ce n’est pas l’environnement réellement, car la nature se passera de moi. Ce qui m’interpelle, c’est l’extinction du vivant, la souffrance de l’homme. 

À Madagascar, par exemple, dans la balance du sort des Malgaches et le bol de riz des Malgaches, ce qui m’importe le plus, si possible, c’est de sauver la forêt malgache, mais ce qui me paraît éthiquement et moralement plus important, c’est de sauver le Malgache. Il faut, sur ces questions, créer une doctrine d’actions politiques et par la suite mobiliser les moyens pour mettre en place les solutions à nos problèmes. Il y a malheureusement une mobilisation qui est plus facilement réalisable sur les questions de l’environnement que sur les questions de la pauvreté.

Quelle est donc la différence entre la pauvreté et la misère ? 
Luttons-nous contre la pauvreté ? Luttons-nous contre la misère ? Luttons-nous contre la précarité ? Ce sont trois choses différentes. 

La précarité est une situation où les gens se trouvent en difficulté, par exemple en difficulté matérielle et pour construire ou envisager un lendemain, organiser leur vie. C’est une situation qui peut changer et si elle ne change pas, elle peut déboucher sur la pauvreté. 

Quant à la pauvreté, c’est une insuffisance de moyens et de ressources pour prendre en compte ses besoins biologiques. Et la misère est une impossibilité de réfléchir à des solutions pour sortir et de la précarité et de la pauvreté. 

Quelqu’un qui a été scolarisé peut se retrouver dans une situation d’insuffisance matérielle, mais il a des clés pour sortir de cette situation matérielle difficile. 

Et celui qui vit dans la misère ? 
Lui n’a pas les clés pour mobiliser les ressources nécessaires autour de lui et qui sont des réponses que l’État met en place. Ne pouvant pas avoir accès à ces codes-là, il vit à côté. Et quelles que soient les décisions qui seront prises, ils sont dans une pauvreté qui les privent de moyen d’accéder à des clés pour sortir de ces situations. 

Vous parlez souvent de la marchandisation du monde, du système capitaliste quand vous parlez de pauvreté. 
C’est la pauvreté dépouillement qu’il faut différencier de la pauvreté dénuement c.-à-d. où on n’a pas ce qui est nécessaire pour vivre dignement. Nous vivons dans un système où l’on vous propose toujours la profusion, où l’on crée une situation d’insatisfaction personnelle où vous estimez que vous êtes pauvre, car vous n’avez pas accès à un certain nombre d’éléments que la production capitaliste industrielle vous propose. 

Pourquoi insistez-vous sur le mot « fabrication » de la pauvreté ? 
Nous estimons que, tout comme on fabrique l’éducation, on tient les gens dans l’ignorance dans un certain nombre de choses. La pauvreté est une organisation délibérément créée pour pouvoir maintenir des gens à de faibles niveaux de rémunération, pour que la marchandise soit du « low-cost ». On nous en propose et pour en avoir, il y a du « low-people ». Ce système fabrique de façon massive, de façon organisée, de façon délibérée, de la marchandise accessible à des gens, tout en gardant le niveau de rémunération très bas, tout en gardant le niveau de fonctionnement des gens pour que les profits soient le plus important possible. La fabrication du profit pour les actionnaires est intimement liée au faible niveau de rémunération des gens. 

Et qui sont les vrais coupables ? 
Nous avons des niveaux de responsabilité qui vont de la culpabilité à la complicité. Nous sommes dans un système où celui qui fabrique est coupable. Celui qui finance, l’actionnaire, est coupable et celui qui achète est complice. Nous ne pouvons pas dire que nous ne savons pas qu’il y a des enfants qui travaillent 15 heures par jour pour fabriquer des jouets de Noël pour nos enfants à nous. 
Toute cette misère est invisible. Nous ne voulons pas savoir. 

Y a-t-il une volonté politique d’éradiquer la grande pauvreté à Maurice ? 
Il y a une volonté qui est exprimée dans les urnes à chaque élection. La question ne peut être que politique. Toute action politique doit être accompagnée, vérifiée et encouragée. L’action politique seule ne suffira pas. Il faut que la société civile s’engage tous les jours pour venir en soutien à cette action politique ou l’appliquer. 

Et que faudrait-il faire pour atteindre les objectifs du millénaire pour l’éradication de la grande pauvreté ? 
Les objectifs du millénaire sont traduits en divers programmes. Chaque pays doit définir ce qui est prioritaire pour lui. Est-ce l’accès à l’eau potable pour tous ? Cela pourrait permettre la mise en place de toute une politique de santé publique. Si nous n’avons pas suffisamment de sources d’eau terrestres et puisque nous sommes entourés d’eau de mer, nous pouvons procéder au dessalement de l’eau. 

L’eau peut contribuer à régler le problème de la faim, de l’agriculture. À mon avis, le problème majeur, c’est l’accès à l’eau. C’est la base de toute vie. S’il faut prioriser, je commencerais par l’eau. Toute politique de l’eau a deux versants. L’eau est source de vie, l’eau est source de mort. 

 

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