Avec l’insécurité grandissante dans certaines régions de la capitale, l'on assiste à l’émergence de patrouilles privées et de mouvements d’intervention de la société civile. Ils se disent tous partenaires de la force policière. Toutefois et dans certaines circonstances, il y a un gros risque de « remplacer » la police.
Vendredi 24 août. L’United Chinese Association présente à la presse l’UCA Patrol, une « patrouille privée » composée d’une trentaine de personnes maîtrisant les arts martiaux. La raison de cette initiative relève de deux cas d’agression, en quatre jours, au China Town. Trop, c’est trop ! Jean Christian Foo Kune, président de l’United Chinese Association (UCA), parle de « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ».
« Nous avons mis en place un plan d’actions. L’une d'entre elles comprend des patrouilles privées pour soutenir la police dans son travail », explique Jean Christian Foo Kune. Il s’agit, selon ce dernier, d’une trentaine de volontaires qui habitent et pratiquent les arts martiaux à China Town. Ils ont proposé de sillonner le quartier afin d’aider à en garantir la sécurité. « Les commerçants, eux, sont encouragés à installer plus de luminaires devant leur commerce de même que des caméras de surveillance. Ainsi, il sera plus facile de retracer d’éventuels malfaiteurs », renchérit le président de l'UCA.
Gaëtan Hu Fuye, un habitant de China Town, indique que ceux qui viennent dîner dans les restaurants des alentours, sont aussi la cible des malfrats. « Bon nombre de familles y viennent entre 18 et 22 heures et il y a eu des bandits, à moto, qui ont menacé certaines avec des armes tranchantes au moment où elles regagnaient leur voiture pour les détrousser en quelques secondes. Cette situation de frayeur n'a que trop duré », fustige notre interlocuteur. Le sexagénaire ajoute que l’insécurité règne aussi à proximité des guichets automatiques. « Zot vey ou e kouma ou fini tir kas, zot sot lor ou. Parfwa, zot menas ou ek zot fors ou pou real kot guisé la, met ou kart ek tir enkor kas », explique Gaëtan Hu Fuye qui recommande à tout le monde de se protéger soi-même en plus des patrouilles 24 heures sur 24.
Vallée-Pitot
La mobilisation à China Town a, semble-t-il, inspiré des habitants de Vallée-Pitot. Dans une lettre au commissaire de police, cette semaine, ils annoncent la mise sur pied d’une Equipe D’intervention Anti-Nuisances (EDAN) tout en justifiant leur démarche. « Comme les habitants de China Town, nous n’avons d’autre choix que de nous mobiliser pour assurer notre sécurité et celle de notre famille. Chaque matin entre 6h30 et 10 heures, une vingtaine de toxicomanes, inscrits au Programme de méthadone, occupent les trottoirs non loin du poste de police de la localité sans être inquiétés malgré nos innombrables plaintes. » EDAN, précisent-ils, ne compte pas prendre la place de la police mais en être le complément.
« Si la police n’a pas le temps ou les ressources pour chasser ces toxicomanes, EDAN va l’aider car l’essentiel, c’est que l’ordre règne à Vallée-Pitot. » Ces habitants comptent procéder en deux étapes. Primo, à partir de mi-septembre, ils utiliseront le dialogue pour trouver une solution. « De façon pacifique, nous allons demander à ces toxicomanes de cesser de se regrouper sur les trottoirs tout en leur faisant comprendre qu’ils obligent les passants, dont les écoliers et autres collégiens, à marcher sur l’asphalte, les exposant ainsi à des accidents dans ces rues très mouvementées » , disent-ils. Et d'ajouter que très souvent, certains toxicomanes utilisent des mots vulgaires. Si la situation perdure. EDAN compte passer à l’action et les chasser par, disent-ils, « de grands moyens »
Les parents ont peur d’envoyer les enfants à l’école»
Dans un deuxième temps, EDAN compte s’attaquer aux motocyclistes qui font un bruit assourdissant avec leurs pots d’échappement trafiqués. « Il est malheureux que la police ne dispose pas de moyens pour chasser ces motocyclistes qui font la pluie et le beau temps. Pis, des fois, ils prennent un malin plaisir à humilier les policiers en faisant un bruit tonitruant devant le poste.
Nous nous proposons d'aider la police à mettre un frein à leurs excès », affirment les animateurs d’EDAN.
Vallée-des-Prêtres
Toujours dans les faubourgs de la capitale, mais cette fois à Vallée-des-Prêtres. Le Groupement Social Carolalo et Vallée-des-Prêtres vient d’être créé. Ce groupe, qui compte déjà une cinquantaine de membres, oeuvre dans le même esprit que celui de l’UCA Patrol et EDAN. Leur but est de contrer l’insécurité grandissante de leur région. A la tête de ce groupement, on retrouve, Mahadeven Ghengadoo. Cet homme d'une trentaine d'années est connu par tous comme Amba. Ce directeur d’une compagnie de transport a failli perdre la vie le 11 mai dernier, après avoir été agressé à « coups de poing américain » et délesté de son tout nouveau téléphone portable alors qu’il se trouvait devant sa maison !
Cependant, c’est une autre tragédie qui a bouleversé le quotidien des habitants de Vallée-des-Prêtres et les a incités à se regrouper. Il s’agit de l’agression mortelle de Shyam Ramgoolam, un boutiquier de la localité, par des cambrioleurs. « Les cas de vol avec violence se multipliaient dans la région et la situation était telle que des parents avaient peur d’envoyer leurs enfants à l’école », confie Amba. Et de poursuivre : « Vous pouvez vous faire agresser à l’arrêt du bus le matin alors que vous partez au travail. Même les fidèles étaient réticents à sortir de chez eux pour aller à la mosquée ou au temple. Ce qui s’est passé chez les Ramgoolam, c’était ce qui pouvait arriver de pire. »
Amba reconnaît que, depuis ce crime, la police a intensifié sa présence dans la région. « Mais la police a ses limites et ne peut être partout à la fois. D’où la création de ce groupement à vocation sociale, certes, mais qui fait aussi office de neighbourhood watch », explique-t-il. D’ailleurs, Amba affirme que le groupement a déjà été mis à l’épreuve en effectuant sa première intervention récemment. « Des voisines ont appelé pour dire qu’elles entendaient des bruits. Tout s’est déclenché et en quelques minutes. Les habitants et moi, sommes très mobilisés. Nous avons appris qu’il s’agissait d’une dispute familiale mais nous leur avons quand même prodigué de bons conseils pour éviter tout dérapage », dit Amba.
Raj Mootoosamy : «Un manque de volonté pour combattre l’insécurité»
Pour Raj Mootoosamy, président de Victim Support Mauritius (VSM), l’émergence de ces mouvements et autres groupements parmi la population n’a rien de surprenant. « Il n’y a pas de volonté réelle ni de dispositions sur le terrain de la part de l’Etat et des autorités concernées pour résoudre le problème d’insécurité et lorsqu’on s’y penche, on a tendance à se focaliser sur les symptômes au lieu de se concentrer sur les causes », déplore-t-il. En effet, l’une des raisons avancées par Raj Mootoosamy pour expliquer ce phénomène, c’est le chômage. « Lorsque les gens n’ont pas d'emploi, ils commencent à chercher autre chose. Il y a aussi ceux qui agissent sous l’effet de drogues et parfois, ils vont jusqu’à ôter la vie de ceux qui tentent de leur résister. » S’il estime que la police fait son travail, il se permet de remettre en question leur indépendance. Selon lui, les autorités peinent à envoyer un signal fort aux malfaiteurs, citant notamment le cas d’un diplomate indien qui avait été dépouillé. « Il faut durcir davantage les lois si nous voulons réellement être dissuasifs dans nos démarches. »
Les conseils de la Crime Prevention Unit
L’insécurité règne aussi sur les lieux de travail. C’est le cas notamment pour les salesmen, les receveurs d’autobus et les pompistes, à qui la chef inspectrice Padma Bhugobaun de la Crime Prevention Unit (CPU) recommande une série de précautions. L’une d’elles consiste à éviter de garder de grosses sommes d’argent sur eux.
« Nous menons d’ailleurs une campagne auprès de ces travailleurs pour les conscientiser du danger et des risques qu’ils encourent », précise la chef inspectrice. Autres recommandations : celles de maintenir une communication constante avec leur compagnie respective, de faire preuve de vigilance en rentrant et en sortant de leur véhicule, de modifier constamment l’heure à laquelle ils quittent leur lieu de travail (pour les salesmen), d’éviter de prendre des inconnus dans leur véhicule et de se méfier aux faux accidents qui sont une ruse pour distraire l’attention.
Les femmes sont les proies faciles pour les bandits»
Aux femmes qui sont généralement des « proies faciles » pour les bandits, Padma Bhogobaun demande d’être vigilantes surtout lorsqu’elles portent des bijoux, notamment des chaînes et des mangalsutras. « Elles doivent éviter de prendre des raccourcis ou des tunnels qui ne sont pas fréquentés ou éclairés car les brigands opèrent souvent dans l’obscurité. Ou alors, ils sont à moto avec des casques intégraux et ils font semblant de demander un renseignement pour arracher les bijoux, le portable et autre sac-à-main de leur victime. Il faut aussi privilégier les cartes bancaires afin de ne pas avoir de fortes sommes d’argent sur elles. »
La Crime Prevention Unit (CPU), qui existe depuis 1989, est opérationnelle sept jours sur sept. Douze officiers sont répartis dans neuf districts. Il y a aussi un Neighbourhood Watch Officer dans chacune des sept divisions de Maurice et un huitième à Rodrigues. La CPU a pour mission d’animer des séances d’explications et d’informations pour conscientiser le public au sujet de la prévention contre les crimes et d'aider à la mise en place du Neighbourhood Watch Scheme. La CPU cible particulièrement les écoles, les sociétés religieuses, les associations parents-enseignants et les personnes âgées. Pour cela, elle bénéficie de l’appui de la Brigade des mineurs, de l’Unité anti-drogue, de la RSU et bien d’autres unités de la force policière.
Le profil des malfaiteurs
Les malfaiteurs ont tendance à privilégier les quartiers huppés ou ceux qui abritent des familles aisées. C’est ce qu’indique l’inspecteur Jocelyn Mootooveeren de la Police Family Protection Unit (PFPU). D’après l’inspecteur, leur profil s’apparente à celui des « habitual criminals » sans emploi ou qui prennent des substances illicites. « Ils ne veulent pas travailler et ils cherchent des moyens faciles kot pou gagn kas. Ils observent les gens lorsqu’ils quittent leur domicile, épiant chacun de leur mouvement avant de cambrioler leur maison ou de les dépouiller. »
Jocelyn Mootooveeren indique que les vols à domicile ont leur spécificité. « Ces cambrioleurs n’iront certainement pas chez des gens pauvres, mais dans les quartiers chics des familles aisées. » Le danger, selon lui, c’est l’agressivité et la violence dont font preuve les malfrats pour commettre leur délit. Il cite le cas d’un commerçant, à Fond-du-Sac, qui a été attaqué par des malfrats encagoulés. Il ne doit son salut qu’à ces trois chiens, des Rottweilers, qui ont fait fuir les malfrats.
Outre les commerçants, l’inspecteur de la Police Family Protection Unit indique que les personnes âgées figurent dans le palmarès des « proies faciles » des malfaiteurs. « Les vieilles personnes, quand elles ne sont pas en maison de retraite, sont souvent seules à la maison, livrées à elles-mêmes et sans défense », explique Jocelyn Mootooveeren. Et d'ajouter : « elles sont souvent victimes des gens de leur propre entourage, voire des proches. Lorsqu’elles vont toucher leur pension, elles sont suivies et dépouillées par des voleurs. »
Les touristes en font aussi les frais. A l’hôtel, dans leur bungalow, à la plage ou ailleurs. « Il est conseillé aux touristes de porter leur sac-à-dos devant eux et d’éviter de s’aventurer dans des endroits isolés ou peu fréquentés. Ceux qui sont friands de courses hippiques, doivent faire attention aux voleurs à la tire et autres pickpockets au Champ-de-Mars et surtout lors des journées spéciales comme la Maiden Cup », renchérit Jocelyn Mootooveeren.
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