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Hommes victimes de violence domestique : sois fort et tais-toi !

Un nouveau projet de loi contre la violence domestique est en préparation. Sauf que l’on a souvent tendance à occulter le fait que des hommes en sont tout autant victimes. La question se pose : les lois seraient-elles discriminatoires envers les hommes ? Éléments de réponse. 

«Àtrop vouloir protéger les femmes, les hommes sont devenus des criminels ! » tonne Darmen Appadoo, président de SOS Papa. Pour lui, il ne fait aucun doute que les hommes sont les oubliés des lois visant à protéger contre la violence domestique. « Cela démontre le mindset des autorités. »

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Anushka Virahsawmy

Le ministère, précédemment appelé ministère des Femmes, est devenu celui de l’Égalité des genres. « L’appellation a changé, mais rien n’a changé dans le fond », regrette Darmen Appadoo. « Les autorités pensent que ce sont uniquement les femmes qui sont victimes de violence domestique, alors qu’il y a aussi des hommes », déplore-t-il.

Le président de SOS Papa affirme que le slogan est de toujours « mieux protéger les femmes ». Ce qui, selon lui, démontre la « mentalité qui prévaut » au sein du ministère. 

Il va même plus loin, estimant que la ministre actuelle serait « anti-hommes ». Darmen Appadoo en veut pour preuve le fait que « toutes les mesures et tous les programmes sont destinés aux femmes uniquement ». Les dispositions de la loi ont-elles été expliquées aux hommes, se demande-t-il. « Non ! Seules les femmes sont empowered », lâche-t-il. 

Pour lui, il y a un « certain parti pris » alors que la loi dit « both spouse ». « Jusqu’ici, tous les politiciens ne font que défendre les intérêts des femmes et des enfants. De facto, les hommes deviennent tous des bourreaux, même ceux qui sont des victimes », fait-il valoir. 

Darmen Appadoo dit, dans la foulée, ne pas comprendre pourquoi les autorités planchent sur un nouveau projet de loi sur la violence domestique (voir encadré). Selon lui, la loi en vigueur est « suffisante ». Du reste, il s’insurge contre ce qu’il perçoit comme étant un enchérissement. « Chacun veut faire mieux que son prochain en présentant des projets supposément pour combattre la violence domestique. Il y a plusieurs projets qui ont été scrapped, parce qu’ils étaient ceux d’un autre ministre. » 

Traumatismes en série

La Country Manager de Gender Links, Anushka Virahsawmy, est, elle, plus nuancée. Une femme sur trois est victime de violence domestique, rappelle-t-elle. « Qu’il s’agisse d’une femme ou d’un homme, la loi protège les deux sexes. Sauf que ce sont les femmes qui dénoncent majoritairement ce fléau », fait-elle remarquer. 

Selon elle, c’est la façon dont a été élevée la gent masculine qui serait la cause de son silence. « C’est plus difficile pour des hommes victimes de dénoncer la violence domestique. La société a appris aux hommes qu’ils doivent être forts et endurer. Si un homme vient dénoncer, d’autres personnes ne vont pas comprendre qu’il puisse être battu et subir la violence morale et verbale. » 

Anushka Virahsawmy fait ressortir que les hommes victimes subissent un premier traumatisme à la maison. « Ils vivent un deuxième traumatisme quand ils se rendent au poste de police en vue de dénoncer, mais souvent des policiers leur compliquent la tâche. » 

Il y a un troisième traumatisme, poursuit-elle, quand ils essayent d’obtenir un Protection Order. « Cette fois-ci, c’est la société qui stigmatise ces hommes en les appelant ‘zom fam’ entre autres sobriquets péjoratifs », fait-elle comprendre. C’est pour ces raisons qu’il est plus compliqué pour les hommes de dénoncer. 

Comme les femmes, les hommes victimes vivent aussi dans la peur et ne savent pas gérer les émotions qui les dominent. Elle confie qu’il y a des hommes qui se tournent vers Gender Links. « Comme pour les femmes, on leur prodigue des conseils comme appeler le 139, faire une demande de Protection Order, entre autres. On propose aussi de les accompagner dans les démarches », déclare la Country Manager. 

Manque d’informations

Les lois sont-elles discriminatoires envers les hommes ? Me Mokshda Pertaub, la présidente de MPower, ne le pense pas. Elle s’appesantit plutôt sur le manque d’informations des hommes par rapport au Protection against Domestic Violence Act (PDVA)*. Ce texte de loi, précise-t-elle, les protège, soulignant que les hommes sont aussi victimes de violence conjugale dans toutes ses formes, notamment verbale et psychologique. 

« N’oublions pas que le PDVA est une loi gender neutral applicable aux conjoints. Nous avons environ 600 hommes par an, selon Statistics Mauritius, qui font des plaintes pour violence domestique au bureau de la protection de la famille », indique Me Mokshda Pertaub. 

Certes, lorsqu’on compare le nombre d’hommes victimes aux 1 700 – 2 000 cas rapportés par les femmes, le nombre reste relativement peu élevé, mais « pas négligeable non plus ». « C’est notre société patriarcale qui n’encourage pas les hommes à porter plainte. Ils feront l’objet de ricanement partout – ‘To zom twa ?’ ‘To fam bat twa ?’ – Donc, souvent ils se murent dans le silence », soutient Me Mokshda Pertaub. 

La présidente de MPower dit avoir vu des hommes en piteux état psychologique face à l’abus constant qu’ils ont subi pendant des années. Ils se réfugient dans leur travail, dans le silence, en internalisant leur souffrance, ce qui rend toute la reconstruction de la personne difficile. « Aller consulter un avocat, cela demande un courage énorme. En tant qu’avocate, j’en suis consciente. Il leur faut un appui psychologique et financier avant de pouvoir s’en sortir. » Qui plus est, « souvent, ils sont seuls et abandonnés par la famille, alors que leurs enfants sont aliénés et manipulés, et donc hostiles à les rencontrer quand ils ont leur droit de visite ». 

Me Mokshda Pertaub indique cependant qu’il y a des associations comme SOS Papa et MPower qui aident la famille, incluant les hommes, face à la violence.

Sous le PVDA, “spouse means a person who - (a) is or has been civilly or religiously married to a person of the opposite sex; (b) is living or has lived with a person of the opposite sex as husband and wife; or (c) whether living together or not with a person of the opposite sex, has a common child with that person”

L’observation d’un policier : «Ces violences sont principalement verbales»

La violence domestique ne concerne pas que les femmes. De nombreux hommes en sont aussi victimes, mais ils préfèrent subir en silence au lieu de dénoncer. « Il y a autant de cas de violence domestique à l’égard des hommes qu’à l’égard des femmes », soutient un policier, qui a souhaité garder l’anonymat. 

Comptant de nombreuses années au sein de la police, il affirme avoir eu affaire à de tels cas. « Ces violences sont principalement verbales, avec des remarques souvent désobligeantes pour rabaisser ou persécuter. Dans certains cas, cela frôle le harcèlement par un excès de jalousie et il arrive que la femme débarque sur le lieu de travail de son conjoint pour lui lancer des piques », dit-il. Cette violence peut parfois également être physique. 

On ne peut s’arrêter aux chiffres officiels pour dire qu’il n’y a pas beaucoup d’hommes qui sont victimes»

Sauf qu’il n’y a pas beaucoup de plaintes officielles qui sont enregistrées. « Bann zom retisan parski zot onte ou zot zene pou dir ki zot fam maltret zot », explique le policier. Et ceux qui osent le rapporter demandent toujours de pouvoir s’adresser à un officier de sexe masculin.

Il concède qu’il y a cette image « stéréotypée » selon laquelle seules les femmes sont victimes de violence domestique, alors que tel n’est pas le cas. Selon lui, la société apprend aux hommes, dès le plus jeune âge, qu’ils doivent être forts et ne pas se laisser dominer par une femme. Ce qui renforce, dit-il, cette réticence à se présenter comme une victime. « Certains refusent de dénoncer leur agresseur, car ils pensent qu’on ne va pas croire en leur version, car il est dit que ce sont les femmes qui sont davantage victimes de violence. » 

Ainsi, pour ce policier, la violence domestique concerne aussi bien les hommes que les femmes. Il insiste : on ne peut s’arrêter aux chiffres officiels pour dire qu’il n’y a pas beaucoup d’hommes qui en sont victimes ou qu’elle n’existe pas. 

En chiffres

Année Hommes Femmes Total
2015 815 3 462 4 277
2016 878 3 793 4 671
2017 1 029 3 525 4 552
2018 1 276 4 411 5 687
2019 806 3 437 4 243
2020 676 3 018 3 694
2021 624 2 455 3 079
2022 (janvier à novembre) 479 1 909 2 388
*Nombre de cas de violence domestique rapportés

 

Témoignages

Raj* : « J’ai subi à cause de mes enfants »

« Pendant 20 ans, j’ai été victime de violence domestique, tant sur le plan moral que physique. Mon agresseur n’était autre que la femme que j’ai aimée. Elle m’a rendu la vie amère. J’ai subi à cause de mes enfants. Je savais que si je demandais le divorce, je risquais de les perdre. Ma femme a, à plusieurs reprises, essayé de les manipuler pour leur faire croire que c’est moi qui la maltraitait. Pendant des années, j’ai vécu auprès de cette perverse narcissique, qui trouvait toujours une raison de me frapper et de m’insulter. Aujourd’hui, je suis en procédure de divorce. Mes enfants ont grandi, ils peuvent discerner le vrai du faux. » 

Olivier* : « Cela m’a pris du temps pour avoir le courage de la quitter »

« Je ne savais pas que j’avais épousé un monstre. Si au début, ma femme était aimante et douce, très vite elle a montré son vrai visage. Elle a semé la zizanie dans ma famille et m’a forcé à quitter le toit familial pour acheter une maison pour nous deux. C’était pour qu’elle puisse mieux me dominer. C’était elle qui portait le pantalon à la maison. Elle prenait toutes les décisions et je n’avais pas mon mot à dire. Si j’osais ouvrir la bouche, elle me frappait avec ce qu’elle avait en main à ce moment-là. Elle essayait de me contrôler et me dominer. Elle me dénigrait. À un moment, je n’en pouvais plus et je parlais de divorcer. Elle menaçait de se suicider. Cela m’a pris du temps pour prendre mon courage et quitter cette méchante femme qui, certes, a un visage angélique, mais qui est un bourreau. »

*Prénom d’emprunt

violence

Quelle prise en charge ?

La loi fait déjà l’objet d’amendements au niveau du State Law Office (SLO) depuis quelque temps. « Il faut attendre », nous dit-on. N’empêche, Me Mokshda Pertaub plaide pour des shelters pour hommes. De même que « des services psychologiques obligatoires pour les hommes agresseurs, mais aussi les hommes victimes de violence conjugale ».

Darmen Appadoo abonde dans le même sens, déplorant, lui aussi, le manque de soutien pour les hommes victimes de violence conjugale. « Comme pour les femmes, on doit pouvoir leur offrir des services d’accompagnement ainsi que psychologiques. Un homme est tout aussi traumatisé qu’une femme quand il s’agit de la violence domestique », avance-t-il. 

De son côté, Anushka Virahsawmy milite pour un « place of safety » où les hommes victimes pourraient se réfugier. « Il faut un lieu où ils sentent protégés. » 

En raison des préjugés, renchérit le psychologue clinicien Vijay Ramanjooloo, les hommes osent difficilement parler de la violence conjugale dont ils sont victimes. C’est très mal perçu socialement d’être battu par une femme, selon lui. « ‘Sois fort et tais-toi’ reste un adage prépondérant ». dit-il.

Sortir d’une situation de violence conjugale passe obligatoirement par le fait de sortir de la position de victime. Les hommes devraient pouvoir demander de l’aide et surtout porter plainte, souligne-t-il.

Des changements à apporter pour plus d’équité 

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Darmen Appadoo

Avant de proposer un durcissement de la loi, il faudrait une enquête pour savoir combien de femmes ont abusé du système. C’est ce qu’affirme Darmen Appadoo. « Certaines femmes jurent de faux affidavits et se font passer pour des victimes en faisant de fausses allégations contre leur conjoint. Il faut que cela soit pris en compte, car trop souvent, c’est l’homme qui est la bête noire. » 

Il fait valoir que les quatre derniers amendements n’ont pas aidé à réduire le nombre de victimes de violence conjugale. « Où sont les études à ce sujet ? C’est trop facile de proposer les solutions les plus simplistes au lieu de proposer de vraies solutions. Il est grand temps pour les autorités de comprendre que la violence conjugale ne se résout pas à coups de lois répressives », argue-t-il. 

Il faut des enquêtes policières « impartiales », plaide le président de SOS Papa. Il demande également une révision « de fond en comble » des procédures pour l’obtention du Protection Order et la garde des enfants. « Il y a des abus et j’espère que la nouvelle loi ne sera pas au détriment des droits des hommes. » 

Si les médias parlent plus facilement de violence contre les femmes et du féminicide, la violence contre les hommes est plus insidieuse et cachée.»

Mokshda
Me Mokshda Pertaub

Darmen Appadoo est, d’autre part, d’avis qu’un homme devrait occuper le ministère de l’Égalité des genres. « À ce jour, on n’a vu que des femmes à ce poste. Si on veut qu’il y ait un changement en profondeur, et surtout de mentalité, il est temps qu’on nomme un homme à ce ministère. Cela est capital si on veut refléter le mot égalité. Ce poste ne peut être réservé qu’aux femmes », estime-t-il. 

Quant à Me Mokshda Pertaub, elle maintient qu’il reste beaucoup à faire, car la violence ne cesse de prendre de l’ampleur dans le pays. « Si les médias parlent plus facilement de violence contre les femmes et du féminicide, la violence contre les hommes est plus insidieuse et cachée. et souvent, l’homme finira alcoolique ou agresseur, car il ne saura pas gérer sa souffrance en tant que victime de violence conjugale. »

Elle partage ce qu’elle dit toujours à ses clients : « La première fois que votre conjoint abuse de vous de n’importe quelle façon, vous êtes victime. La deuxième fois que cela arrive, vous devenez complice, car vous vous êtes tu la première fois. » Elle conseille ainsi aux victimes, femmes et hommes, de ne pas se murer dans le silence. 

« Apprenez à vous protéger et savoir partir quand la violence vous affecte mentalement et physiquement. Des études en Inde ont démontré que les hommes ont deux fois plus tendance à se suicider face au désespoir d’une relation ratée ou brisée que les femmes (TOI, 2015) », met-elle en garde.

Quatre précédents amendements 

Le Protection against Domestic Violence Act a été amendé à quatre reprises depuis sa création en 1997. Lors du dernier amendement en 2016, des peines de prison ont été introduites. 

Actuellement, une personne reconnue coupable de violence domestique peut écoper, pour la première fois, d’une amende ne dépassant pas Rs 50 000 et en cas de récidive, d’une amende allant jusqu’à Rs 100 000 et d’une peine maximale de deux ans. Et pour toute autre récidive, une peine de prison jusqu’à cinq ans.

Renforcement des paramètres juridiques 

Des consultations sont en cours en vue de renforcer les paramètres juridiques visant à protéger les victimes de violence domestique et à rendre l’auteur responsable de son comportement et de ses actes. C’est ce qui ressort du compte rendu du Conseil des ministres du 21 octobre 2022. Le Protection from Domestic Violence (Amendment) Bill 2022 devrait offrir davantage de soutien aux victimes et un accompagnement sera aussi proposé aux agresseurs.

Lors de la conférence de presse du MSM, Roubina Jaddoo a élaboré diverses approches qui seront plébiscitées pour la protection et la prise en charge des victimes. Elle a souligné qu’à travers le National Strategic Plan à quatre niveaux, des mesures seront prises pour enrayer la violence domestique.

Avec les amendements qui seront apportés, l’accent sera mis notamment sur la prévention, avec l’éducation des enfants dès le plus jeune âge. Il sera aussi question de la Gender based inequality, ainsi qu’une Survivor focus approach. 

Avec le soutien du Mauritius Research and Innovation Council, des données seront collectées afin d’analyser et comprendre les causes de la violence domestique, et faire des recommandations pour essayer de l’endiguer, a-t-elle expliqué.

Daniella Bastien, anthropologue : «Il faut une approche systémique et pas que de genre»

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On n’a pas l’habitude d’entendre des cas de violence domestique à l’égard des hommes, dit d’emblée l’anthropologue Daniella Bastien. La société a enseigné aux garçons de ne pas pleurer et ce qu’est être un homme, d’après une définition assez limitée, selon elle. Du coup, quand les hommes subissent la violence conjugale, il y a ce sentiment de honte, de ne pas être à l’image de ce que la société a préconisé.

Daniella Bastien ajoute que nous vivons dans une société violente. Et que plutôt que d’aborder la question de la violence que d’un point de vue du genre (violence conjugale que ce soit envers l’homme ou la femme), il faut l’aborder de manière systémique. 

Car, fait-elle ressortir, nous sommes dans un pays où il y a beaucoup de violence. Que ce soit de la part des policiers qui feraient subir des violences à des prévenus, la violence envers les enfants et la violence envers les personnes âgées qui semble prendre de l’ampleur, selon Daniella Bastien. 

Dans la plupart des cas de violence domestique, c’est la « suprématie » masculine qui semble prévaloir. L’anthropologue se demande ainsi pourquoi les hommes qui en sont victimes ne viennent pas dénoncer. Selon elle, c’est l’image de la « super puissance » du masculin qui a été érigée par la société qui fait qu’ils ont du mal à en parler. 

« Dénoncer la violence subie de la part d’une femme peut donner l’impression d’être un ‘sous-homme’, ce qui est dommage », dit-elle. « Il est très important de parler de la violence subie et ressentie, car il y a aussi des violences verbales », conclut Daniella Bastien.

 

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