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Grossesses précoces : quand le phénomène de filles-mères devient problématique 

Le nombre de grossesses précoces augmente à Maurice et plusieurs facteurs sont à l’origine de cette problématique sociétale. Pour les personnes concernées par les droits des enfants, il est urgent d’agir. Quels sont les facteurs engendrant la grossesse précoce ? Quelles solutions ? La parole aux professionnels.

Mother

La semaine dernière, une affaire de mœurs a défrayé la chronique. Après avoir eu des relations sexuelles non protégées avec deux hommes différents, une adolescente de 14 ans est tombée enceinte. Elle ne sait pas qui est le père de l’enfant. Un cas qui fait frémir et qui prouve à quel point le phénomène des grossesses précoces prend de l’ampleur. Pour contrer le problème, il est important d’en connaître les causes. 

Manque d’informations sur la sexualité 

Mélanie Vigier de Latour-Bérenger est psychosociologue, vice-présidente de la Société des professionnels en psychologie et membre du Kolektif Drwa Zanfan Morisien (KDZM) et du Kolektif Drwa Imin (KDI). Elle pointe du doigt le manque d’informations sur l’éducation sexuelle et la santé reproductive. Durant les rares sessions organisées dans les collèges, les intervenants ne sont pas forcément à l’aise avec le sujet. Cela freine l’ouverture aux débats. 

« Ainsi, il y a un manque d’informations sur les conséquences et les moyens de

Mélanie Vigier de Latour- Bérenger, psychosociologue.
Mélanie Vigier de Latour- Bérenger, psychosociologue.

contraception. Certains parents pensent que parler de sexualité donne des idées aux enfants. Or, ce n’est pas le cas », fait-elle remarquer. « En fait, selon des recherches, l’accès aux bonnes informations peut aider les jeunes à mieux connaître leur corps et à se protéger.  Cela retarde souvent l’âge des premiers rapports sexuels », ajoute notre interlocutrice.

Contraception

L’accès à la contraception demeure un obstacle majeur. « La MFPWA doit revoir la distribution des moyens contraceptifs. De plus, leur accès est difficile en milieu hospitalier pour les jeunes. En pharmacie, l’accès reste restreint à cause de leur coût », ajoute-t-elle.

Rita Venkatasawmy, l’ombudsperson for Children.
Rita Venkatasawmy, l’ombudsperson for Children.

Mariages forcés/précoces, concubinage et viols

Dans le monde, selon certaines recherches, neuf cas de grossesse précoce sur dix sont dus aux mariages forcés ou concubinages. Sans oublier les violences sexuelles, les viols ou l’incapacité de la fille de dire non, de se protéger ou d’exiger un moyen de contraception. 

Un sujet tabou 

« Parfois, les parents et les éducateurs ne sont pas conscients que la sexualité de l’enfant diffère de celle des adultes. À Maurice, la sexualité est un sujet tabou, alors qu’il est fondamental d’en parler. La sexualité est normale. Il faut aussi aborder le développement psychosexuel et d’éventuels risques  », conseille notre interlocutrice. 

Avortement 

L’accès restreint à l’avortement fait partie des facteurs à l’origine des grossesses précoces. À Maurice, la section 2 de l’Article 235A du Code pénal a été revue en 2012. Néanmoins, notre interlocutrice est d’avis que l’accès à l’avortement peut être repensé, au vu des risques.  

Rajen Suntoo, sociologue.
Rajen Suntoo, sociologue.

Sexualité précoce 

L’Ombudsperson for Children, Rita Venkatasawmy, questionnée à ce sujet, pense que le phénomène est lié à la sexualité précoce. « Nous avons constaté que des mineurs s’engagent dans des relations sexuelles, pour la plupart sans protection, par inconscience ou insouciance », déplore-t-elle.

Pauvreté et promiscuité

La pauvreté et la promiscuité font aussi partie des facteurs. « Dans une petite maison, la sexualité des enfants est stimulée quand ils entendent leurs parents avoir des relations sexuelles. Ils deviennent curieux », précise Rita Venkatasawmy. Il y a également des jeunes qui tentent de combler un vide avec une relation amoureuse.

Technologie

Pour Rajen Suntoo, sociologue, la technologie a un grand rôle à jouer dans la dégradation des mœurs. « Les jeunes se rencontrent sur diverses plateformes et les parents sont impuissants », fait-il ressortir.

Edley Maurer, travailleur social.
Edley Maurer, travailleur social.

Abus envers les mineures, érosion des valeurs et appât du gain

Les personnes matures et majeures qui profitent de la faiblesse des mineures sont à blâmer.  « Un enfant n’a pas la faculté de refuser. Certains adultes en abusent », ajoute le sociologue. Pour sa part, le travailleur social, Edley Maurer déplore l’érosion des valeurs. De plus, selon lui, la crise économique a aussi un impact. « Des parents essayent de joindre les deux bouts et les filles sont livrées à elles-mêmes. Parfois, elles se laissent tenter par des biens matériels en échange de faveurs sexuelles », ajoute-t-il. 

Des conséquences dangereuses

Ne pas en parler peut avoir des conséquences graves, prévient Mélanie Vigier de Latour-Bérenger. En janvier 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a indiqué, au sujet des mères adolescentes entre 10 à 19 ans : « Elles font face à des risques plus élevés d’éclampsie, d’endométrite puerpérale et d’infections systémiques que les femmes âgées de 20 à 24 ans. Leurs bébés sont exposés à un risque accru de faible poids de naissance, de naissance prématurée et de graves affections néonatales. » Elle parle aussi des risques accrus de MST et VIH en l’absence ou l’interdiction de contraception, et dus aux variations hormonales et perméabilité du tissu hormonal, ainsi que le confirme l’African Union Commission, en décembre 2016. Chaque année, trois millions de jeunes filles de 15-19 ans ont recours à des avortements à risque, a indiqué l’OMS en 2018.

Outre les risques physiques, les grossesses précoces ont des conséquences :

  • La déscolarisation.
  • L’inégalité des genres.
  • Le cycle de pauvreté.
  • Le rejet et la stigmatisation.
  • Les risques de dépression, de comportements suicidaires, de solitude et d’impuissance.
  • Les risques d’être victimes de violence physique et psychologique. 
  • Les risques de développer des comportements addictifs (drogue, alcool) etc. 
  • La solution, selon elle, serait d’envisager rapidement l’accès aux contraceptifs pour les jeunes. De plus, les informations sur la santé sexuelle et reproductive doivent être accessibles en milieu hospitalier et scolaire. « Certes, il y a des médecins qui en parlent, mais ce n’est pas suffisant », regrette-t-elle. 
  • Rita Venkatasawmy, de son côté, est également inquiète, mais elle compatit avec les mineures qui se retrouvent avec un enfant sur les bras. Elle salue, dans la foulée, les ONG qui font un bon travail et offrent un encadrement aux filles-mères. « Souvent, les jeunes mères sont incapables d’élever leur enfant et le laissent aux grands-parents. Parfois, les papas ne sont pas impliqués ou jouent aux abonnés absents. Quand les enfants sont de pères inconnus, c’est au détriment du droit à l’identité », se désole-t-elle.
  • Elle tient à en faire remarquer certains aspects : « cette tendance transcende les classes sociales. Ne soyons pas malhonnêtes. Celles qui ont les moyens se font avorter. C’est un fait que la grossesse précoce mène à l’avortement. Parfois, des filles de familles modestes avortent dans des conditions douteuses et c’est risqué. » Une des solutions serait d’intensifier les campagnes de sensibilisation dans les établissements scolaires. 

Lutter contre les grossesses précoces  

Mélanie Vigier de Latour-Bérenger évoque les recommandations  de l’OMS datant de 2012 pour les adolescentes qui doivent :

  • Être informées des moyens de prévenir une grossesse (et du risque de contracter des infections sexuellement transmissibles, dont le VIH) et pouvoir les utiliser.  « L’éducation sexuelle vise à inculquer les connaissances, compétences et valeurs qui permettront aux jeunes de faire des choix responsables », explique-t-elle. Ce qui devrait être renforcé dans les instances des ministères de la Santé et de l’Éducation. 
  • Être informées des possibilités d’avortement médicalisé, là où il est autorisé par la loi, et connaître les dangers de l’avortement non médicalisé. 
  • Acquérir des compétences psychosociales et améliorer leurs liens avec les réseaux sociaux et les systèmes de soutien social, qui peuvent les aider à refuser des rapports sexuels non désirés et à résister à la contrainte à cet égard, ce qui leur est souvent très difficile. 

L’OMS recommande également que le secteur de la santé mette en place des interventions pour améliorer la fourniture de services de santé aux adolescentes pour faciliter l’accès à l’information sur la contraception et aux services connexes, ainsi qu’à des soins qualifiés avant et pendant l’accouchement. Les Concluding Observations du Comité des droits de l’Enfant de 2015 le mentionnent aussi.

Des campagnes de prévention, d’information et de sensibilisation sur la santé sexuelle doivent aussi être effectuées sur le plan national, permettant aux jeunes de mieux se connaître, se comprendre et mieux se protéger. Certaines ONG en parlent sur le terrain, mais cela ne suffit pas.

Rattan Jhoree, Child Welfare Officer.
Rattan Jhoree, Child Welfare Officer.

En chiffres

  • Maurice : environ 27 filles de 10 à 14 ans et 1 054 de 15 à 19 ans accouchent chaque année.  
  • Rodrigues : 156 cas ont été recensés en 2020. De janvier à juillet 2021, 57 cas ont été enregistrés.

Pour Rattan Jhoree, Child Welfare Officer, la lueur d’espoir vient du fait que le nombre d’abus sur les mineures affiche une baisse. De 5 917 cas en

2020, il est passé à 4 746 en 2021. « C’est la preuve que les campagnes de sensibilisation portent leurs fruits et on va poursuivre sur cette voie », indique-t-il. Outre les 33 campagnes de sensibilisation de 2020 à 2021, il y a eu 20 émissions radiophoniques et cinq émissions télévisées. En 2021, le drop-in centre a organisé 65 campagnes touchant 2 101 personnes et a animé huit émissions radio sur ces mêmes sujets. Des campagnes ont eu lieu dans 80 écoles primaires et 46 collèges, où 2 593 filles et 2 481 garçons ont été sensibilisés. 

Depuis 2003, indique-t-il, un accompagnement est proposé aux filles-mères, notamment au drop-in centre en collaboration avec la CDU : « On leur propose des conseils, des thérapies, des sessions médicales et d’autres services avec l’appui des ONG et d’autres institutions. » Il estime que l’éducation est la clé. « Mieux vaut prévenir que guérir. Les parents doivent parler de sexualité à leurs enfants. Ils peuvent se tourner vers l’Atelier Parents, pour savoir comment aborder le sujet ou appeler sur la hotline 113 pour des conseils », conclut-il.

Un rajeunissement des cas

Tel est le triste constat de la directrice de la Mauritius Family Planning and Welfare Association (MFPWA), Vidya Charan. « Les statistiques démontrent une baisse de taux de fertilité chez les adolescents, mais le nombre de maternités précoces ne diminue pas. Auparavant, le phénomène concernait des jeunes de 16 à 18 ans, mais aujourd’hui, il est question de jeunes de moins de 16 ans. Parfois, ces jeunes mamans ont déjà un enfant. La situation est encore plus critique à Rodrigues », indique-t-elle.

Elle encourage les jeunes à se tourner vers des institutions pour être épaulés, comme le drop-in centre de son association, qui travaille en étroite collaboration avec le ministère de l’Égalité des genres. « Nous leur offrons un suivi médical, un soutien psychologique et légal, si nécessaire avec l’aide d’autres institutions comme la Child Development Unit (CDU). Nous suivons la maman après la grossesse pendant quelques mois pour nous assurer que l’enfant est pris en charge et nous encadrons les garçons qui sont aussi désemparés », ajoute Vidya Charan. 

Cri du cœur d’une mère 

Veena S. préfère garder l’anonymat pour protéger sa fille de 16 ans, qui vient d’accoucher. Elle avoue qu’elle a été choquée quand l’adolescente lui a annoncé qu’elle était enceinte. Mais elle l’a soutenue contre vents et marées. « J’étais en colère, déçue. Je me demandais sans cesse si je l’avais mal éduquée. J’ai même fait une dépression et ma fille s’est éloignée. Pour éviter cela, j’ai pris sur moi. Je ne voulais pas qu’elle ait l’impression que je l’abandonnais. Aujourd’hui, je ne le regrette pas, malgré les critiques des proches. Pour rien au monde, je n’aurais laissé ma fille isolée. Par contre, maintenant, je souhaite qu’elle apprenne à se débrouiller seule. Je sais qu’elle y arrivera », relate-t-elle. 

Veena a décidé de raconter son histoire pour que les autres parents dans sa situation sachent qu’ils ne sont pas seuls. Elle leur conseille de ne pas mettre leur enfant à l’écart à cause de leurs erreurs. 

Témoignages

Pas de cris. Pas de pleurs. Gina (prénom fictif), 17 ans, peut enfin souffler. Son petit bonhomme a tout juste 12 jours. Malgré les douleurs de la césarienne, elle est heureuse d’être à la maison, entourée de ses proches. 

C’est peu avant ses 17 ans qu’elle a appris qu’elle était enceinte et c’est en larmes qu’elle l’a annoncé à sa mère. « Quand ma maman a insisté pour que j’aille faire le vaccin anti-Covid, j’ai dû avouer la vérité. Ma maman a beaucoup pleuré. J’étais triste de la voir dans cet état, mais ensuite, elle m’a soutenue. Elle s’est assurée que je ne manquais de rien et m’a accompagnée pour tous les traitements », relate-t-elle. 

Elle est aussi soutenue par le père du bébé, qui assume ses responsabilités. « Être entourée représente beaucoup pour moi », ajoute la jeune maman. Avec la reprise des classes  en présentiel, elle pense retourner au collège,  mais elle n’a rien dit à ses copines, un peu par honte. Cependant, elle sait qu’elle ne pourra pas indéfiniment cacher son enfant. 
 

 

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