Interview

Gaëtan Siew : «Les Mauriciens utilisent les espaces publics comme des espaces poubelles»

Gaëtan Siew

Si les pluies font tant de dégâts à travers le pays, la faute en revient à l’incivisme des Mauriciens et le non-respect des normes de construction dans le passé. Notre interlocuteur est d’avis que le niveau des dégâts est dans les normes.

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« Le niveau d'eau enfle dans les rues parce que les drains sont bouchés. »

Cyclones. Inondations. Désespoirs. Manifestations. Critiques. Est-ce le nouveau visage de Maurice, entrant dans une phase essentielle de son développement ?
Aucun pays dans le monde n’est à l’abri des catastrophes naturelles. Aux États-Unis, première économie mondiale, l’ouragan Katrina (2006) a été dévastateur avec des dégâts estimés à plus de 100 milliards de dollars. À San Francisco (sur la côte-ouest), les tremblements de terre sont récurrents. En Europe, les crues emportent tout sur leur passage. À chaque fois, on recommence la construction à zéro. Cela étant dit, je ne suis pas catastrophé par ce qui s’est passé dans le pays.

La faute revient à un manque de planification et une urbanisation de plus en plus forte. L’attitude de la population est à déplorer. Un exemple concret est le volume de déchets flottant au Caudan, après le passage du cyclone Berguitta. D’où viennent ces détritus ? Nous. Les Mauriciens utilisent les espaces publics comme des espaces poubelles. Tant qu’il n’y a pas de cyclone ou pluies torrentielles, nous sommes sains et saufs. Après la moindre saison des pluies, nous ne faisons que constater les dégâts. Le niveau d’eau enfle dans les rues parce que les drains sont bouchés.

N’est pas là une généralisation de l’attitude des Mauriciens ?
Faites un tour sur une plage publique dans la soirée du dimanche. Samedi matin, tout était propre. Parce que l’État a dit qu’il s’occupe du nettoyage, le public estime que c’est dans son droit de jeter comme bon lui semble. Ce n’est pas normal. (…) Ce n’est pas une question d’absence de poubelles. On ramasse ses déchets dans un sac en plastique et on s’en débarrasse dans un endroit dédié.

Est-ce que nous payons les pots cassés parce qu’il y a une absence d’infrastructures adéquates ?
Les Français ont construit une série de canaux dans la capitale. Ruisseau du Pouce et Volcy Pougnet en sont les exemples. Ces cours viennent se jeter dans le bassin du Caudan. Les Britanniques ont ajouté le Canal Bathurst. Le tout demeure toujours suffisant pour diriger les eaux de la montagne vers la mer. La pluie d’aujourd’hui n’est pas beaucoup plus abondante que deux siècles avant. Le problème se situe au niveau des obstacles qui se sont accumulés et entassés entre la montagne et la mer.

Par obstacles, je fais référence aux travaux de constructions et ce que nous jetons entre ces constructions. Les constructions représentent un double problème. Auparavant, on avait une plus grande surface pour absorber l’eau des pluies. Du moment que c’est bétonné ou goudronné, l’eau continue son chemin à la surface. Si ce chemin est obstrué, l’eau monte, déborde et inonde.

Comment peut-on imputer la faute à la construction ? Y-a-t-il une absence d’arsenal légal et une volonté de superviser ces travaux ?
Auparavant, les gens ayant un permis ont tout fait, sauf respecter à la lettre les conditions et le plan sans vérification. Aujourd’hui c’est plus difficile. Il y a deux permis, avant et après la construction. La loi requiert une visite des officiers ayant trait à la construction d’une maison ou d’un bâtiment. Ils vérifient si le bâtiment est conforme aux spécifications dans le permis de construction avant l’arrivée des occupants. La difficulté pour corriger ces erreurs n’est pas d’ordre technique. Elle réside dans le fait que les interventions seraient dans des espaces privés et devraient ordonner des démolitions et/ou des modifications.

En quoi l’État peut-il être tenu responsable de ces dégâts ?
C’est un réflexe naturel. L’État est censé être responsable de tous nos malheurs. Mais nous, Mauriciens, avons une grande part de responsabilité aussi. Revenons au clip de David Constantin sur la pollution au Caudan. À mon avis, c’est le résultat de tous les déchets que nous avons jetés dans les drains et qui ont trouvé leur chemin jusqu’à la mer. Ce n’est pas la municipalité de Port-Louis qui s’est débarrassée des ordures dans ces drains et caniveaux. Sans vouloir cibler qui ce soit, je crois que chacun devrait balayer devant sa porte avant de faire porter le chapeau à autrui.

Vous participez à des conférences sur l’urbanisation à travers le monde. Est-ce que nous souffrons par manque de cadre juridique pour faire respecter l’environnement ?
À Singapour, les lois sont sévères. Jeter un mégot rapporte une amende au pollueur. À Maurice, les lois sont là. Nous devons les respecter. Mais, son application est une autre paire de manches. La Police de l’Environnement existe. Soit elle n’effectue pas toutes les vérifications, soit elle est débordée ou bien, c’est une combinaison des deux facteurs. Aujourd’hui, nous avons 10,000 à 15,000 permis à vérifier par an.

Quand nous comparons l’étendue des dégâts relatifs aux autres pays, sommes-nous mal lotis ?
En comparant avec les moyennes internationales, Maurice s’en sort relativement bien. Les États-Unis, un pays riche, doit reconstruire des milliers de maisons à chaque passage d’un fort ouragan. À Maurice, disons que ce sont 4,000 maisons qui sont affectées. Cela représenterait 1 % du nombre total de maisons à Maurice. Pour un pays émergent, c’est dans les normes acceptables. Mais 1 % c’est trop. Il faut que tout le monde ait un toit décent. C’est un droit. Pas un luxe.

Parlant de la construction, Statistics Mauritius estime une croissance de 9,5 % pour 2018. Mais cette croissance s’arrêtera dans le temps. Vos commentaires.
La construction n’est pas uniquement une question de maçon qui gagne sa vie. Quand le projet est bouclé, ce sont des emplois directs et permanents qui sont créés, sans oublier les postes indirects associés. Nous travaillons actuellement sur le projet d’aquarium du groupe Eclosia.

La construction devrait démarrer, d’ici à la fin du premier trimestre 2018. Quand l’aquarium sera opérationnel, ce sont 150 personnes qui seront recrutées. Dans le pays, quand même, il y a une certaine contradiction. On se pose des questions sur l’ouverture des chantiers. Quand ces chantiers se matérialisent, certains pensent que c’en est trop.

Les villes intelligentes rapportent-elles les fruits tant attendus ?
Depuis l’annonce de ce nouveau type de développement intégré, des lois ont été introduites. Les plans sont prêts. Les permis ont été octroyés. Cinq projets sont en phase de construction. Leur exécution prendrait cinq ans, 10 ans ou 15 ans, dépendant de l’envergure. Tous ces projets vont générer un volume d’activités économiques intéressantes pour l’ensemble du pays. Qui plus est, ce sont des activités dans des secteurs nouveaux, qui n’existaient que sur papier.

Dans cette équation de la construction, où introduit-on le développement durable ?
Selon les principes du développement durable, il s’agit de densifier l’urbanisation et non pas étalement. Par étalement, je fais référence à la transformation d’un espace verte en un chantier pour appartements et bâtiments commerciaux. La densification est nécessaire, car elle évitera aux gens de voyager pour se rendre sur leur lieu de travail.

 

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