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Frédérique Perpétu, Sustainability & Reporting Lead chez Terra : «Une forme de défiance persiste envers le jugement féminin»

Dans l’univers du développement durable, les femmes ne sont pas seulement des actrices du changement, elles en sont les architectes, les stratèges et les voix qui portent… Frédérique Perpétu incarne cette nouvelle génération de femmes engagées. Le Dimanche/L’Hebdo l’a rencontrée. 

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Comment avez-vous trouvé votre voie dans le développement durable ?
Depuis toujours, je suis profondément sensible à la protection de l’environnement. Pourtant, rien ne me prédestinait à une carrière dans le développement durable. Après des études en commerce international et communication, j’ai entamé mon parcours professionnel à l’étranger, notamment de la France à Bruxelles en passant par Singapour où j’ai eu la chance de collaborer avec des organisations engagées comme le World Wildlife Fund et CSR Works. 

De retour à Maurice, j’ai poursuivi mon engagement à travers Reef Conservation, puis chez Scott & Company Ltd en tant que Sustainability Manager. Aujourd’hui, je suis fière d’occuper le poste de Sustainability & Reporting Lead chez Terra Group que j’ai rejoint il y a sept mois. 

Ce cheminement, bien que non linéaire, reflète une conviction profonde que ce ne sont pas les diplômes qui définissent une vocation, mais la passion et la détermination. Ce sont elles qui nous guident vers ce que l’on aime vraiment et qui nous permettent de transformer nos valeurs en actions concrètes.

Comment transformez-vous la durabilité en moteur stratégique chez Terra ?
Mon rôle consiste à insuffler de la cohérence et de la cohésion aux initiatives durables déjà engagées par le groupe Terra. Concrètement, je pilote la stratégie de durabilité, j’accompagne les différentes entités dans leur transition, je coordonne des projets transversaux et je veille à ce que toutes avancent de manière harmonieuse vers des objectifs communs. 

Je travaille en étroite collaboration avec les équipes dans une logique de conseil et d’accompagnement afin que la durabilité ne soit pas perçue comme une démarche ponctuelle ou isolée, mais comme une véritable culture d’entreprise. L’objectif est d’intégrer les principes du développement durable au cœur de l’ADN du groupe pour que chaque action et chaque décision reflètent notre engagement envers un avenir plus responsable.

Aucune technologie, aussi avancée soit-elle, ne peut remplacer l’intuition, l’expérience et l’intelligence émotionnelle des femmes et des hommes qui la font vivre»

Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans votre métier ?
Ce que j’aime dans mon métier, c’est absolument tout ! Les échanges, les rencontres, les réflexions collectives et, surtout, le rôle transversal que j’occupe entre le groupe et ses différentes entités. C’est une fonction qui insuffle une énergie positive, stimule la créativité et donne du sens à l’action. 

Chaque jour, nous cherchons des solutions, mais pas n’importe lesquelles. Ce sont les plus pertinentes, les plus éthiques, les plus impactantes et celles qui transforment durablement. Bien sûr, les défis sont nombreux et exigent de la persévérance. Et ça tombe bien car la ténacité fait partie de mon ADN !

Quel a été le déclic pour passer du tourisme à l’engagement environnemental ?
J’ai toujours su que je reviendrais à mes premiers amours : l’environnement et le développement durable. La vraie question était de savoir quand et sous quelles conditions. Mon installation à Singapour a été le tournant. Découvrir une ville aussi avancée sur les enjeux écologiques, véritable laboratoire urbain à bien des égards, m’a profondément inspirée. Ce nouveau pays, cette nouvelle aventure… tout s’est aligné pour que je me lance pleinement dans cette voie porteuse de sens.

En quoi votre passage chez World Wildlife Fund (WWF) a influencé votre approche du développement durable sur le terrain ?
Mon expérience chez WWF a été profondément marquante. Travailler au sein d’une ONG de renommée internationale engagée dans des projets concrets et ambitieux liés à la biodiversité, c’est un sujet qui me passionne depuis toujours et cela a été une véritable source d’inspiration. On ne peut que grandir au contact de telles institutions. 

J’ai eu la chance de collaborer pendant plusieurs mois avec une équipe exceptionnelle sur des initiatives porteuses de sens et d’impact. Cette immersion m’a permis de mieux comprendre les enjeux locaux du développement durable tout en gardant une vision globale. Elle a renforcé ma conviction que les actions de terrain, bien pensées et bien accompagnées, peuvent réellement transformer les choses.

Le changement collectif commence par des choix individuels éclairés et portés par une conscience citoyenne active»

En tant que femme à un poste de leadership, comment naviguez-vous les défis liés à votre parcours ?
Comme dans tout rôle de leadership, il y a des moments gratifiants et d’autres plus exigeants. À Maurice, les femmes occupent heureusement des postes stratégiques de plus en plus nombreux, ce qui est encourageant. Mais certains biais persistent notamment une forme de défiance envers le jugement féminin, parfois implicite mais bien réel. Pourtant, les femmes ont largement prouvé qu’elles sont tout aussi compétentes, engagées et performantes que leurs homologues masculins. 

Personnellement, j’ai choisi de faire face à ces obstacles avec détermination, en affirmant mes convictions et en restant fidèle à mes valeurs. C’est cette posture qui m’a permis de gagner en légitimité et de faire avancer les choses, pas seulement pour moi mais aussi pour celles qui suivront…

Comment définissez-vous le leadership durable ?
Pour moi, un leader ne se contente pas de diriger mais il trace une voie, accompagne, inspire et protège ses équipes. Lorsqu’on y intègre la dimension de durabilité, cela implique une vision à long terme, des décisions responsables et une attention constante aux impacts sociaux, environnementaux et économiques. Un leadership durable, c’est incarner des valeurs fortes notamment l’éthique, le respect et la résilience tout en créant les conditions pour que chacun puisse contribuer activement à un avenir plus juste et plus soutenable. C’est une posture exigeante, mais profondément porteuse de sens.

Comment articulez-vous performance économique et responsabilité durable au sein du groupe Terra ?
On pense souvent à tort que concilier rentabilité et durabilité relève du compromis. En réalité, le profit est l’un des piliers du développement durable car rien ne peut être pérenne, s’il n’est pas économiquement viable. 

Chez Terra, nous abordons les enjeux économiques, sociaux et environnementaux comme un tout cohérent, jamais comme des dimensions opposées. Notre ambition est de créer de la valeur sous toutes ses formes : sociale, environnementale, citoyenne et économique. Cette approche intégrée nous permet de prendre des décisions responsables tout en assurant la croissance du groupe et son impact positif sur le territoire.

Quels types de projets pilotez-vous ?
Je suis en charge de l’ensemble des projets liés directement ou indirectement au développement durable. Cela inclut la gestion et la revalorisation des déchets, la sobriété énergétique, la réduction des émissions carbone, l’analyse de double matérialité, l’inclusion, le bien-être au travail ainsi que la construction durable. Terra étant composé de plusieurs entités aux réalités sectorielles et priorités distinctes, mon rôle consiste à les accompagner en tenant compte de ces spécificités tout en assurant une cohérence stratégique globale. L’objectif est de faire converger les efforts vers une durabilité intégrée et partagée.

Les actions de terrain, bien pensées et bien accompagnées, peuvent réellement transformer les choses»

La valorisation énergétique de la canne à sucre est une innovation forte. Quels freins limitent son adoption à grande échelle ?
La canne à sucre est déjà largement exploitée pour la production d’énergie verte, notamment à travers la bagasse issue de la transformation du sucre. Là où nous avons encore un fort potentiel, c’est dans la valorisation de la paille de canne, notamment ces feuilles laissées dans les champs après la coupe qui contribuent à préserver l’humidité du sol. Aujourd’hui, environ 50 % de cette paille est utilisée pour produire de l’énergie et cette pratique est bien ancrée dans notre culture agricole. Il n’y a donc pas de freins culturels majeurs. 

Sur le plan technique, en revanche, des défis subsistent. C’est pourquoi Agriterra a lancé plusieurs initiatives de mécanisation et d’innovation afin d’améliorer la rentabilité des champs et l’efficience des procédés. Ces efforts visent à maximiser le potentiel énergétique de la canne tout en respectant les équilibres agro-écologiques.

L’agriculture de précision est encore peu connue à Maurice. Comment la rendre accessible aux petits producteurs ?
L’agriculture de précision repose notamment sur le Yield Monitoring, un système de suivi du rendement. Grâce aux capteurs installés sur les récolteuses, nous pouvons enregistrer en temps réel le tonnage à l’hectare lors de la récolte mécanique de la canne. Ces données permettent de générer des cartes de rendement qui mettent en évidence les zones les plus productives et celles qui le sont moins. L’analyse de ces cartes offre des informations précieuses pour les prochaines campagnes agricoles : quelles parcelles replanter, où repiquer et comment ajuster l’application des intrants. 

Pour rendre cette technologie accessible aux petits producteurs, une piste concrète serait le regroupement de parcelles afin de les rendre mécanisables. Si la récolte et l’application des intrants sont également mécanisées, ces producteurs pourraient eux aussi bénéficier des avantages de l’agriculture de précision. C’est une démarche qui demande de la coordination, mais elle ouvre la voie à une agriculture plus efficiente, plus durable et mieux adaptée aux réalités du terrain.

La certification EDGE pour les bâtiments durables représente une ambition forte. Comment incitez-vous les promoteurs immobiliers à en saisir toute l’importance ?
La certification EDGE ne se limite pas à une démarche environnementale. Elle optimise la rentabilité locative en réduisant les charges d’exploitation tout en renforçant l’attractivité des espaces pour les occupants. Elle offre également aux investisseurs des revenus plus stables et une prime verte à la revente. 

À Beau-Plan, chaque projet certifié s’inscrit dans une stratégie globale qui valorise la Smart City, améliore les rendements et attire des multinationales ainsi que des enseignes internationales. Pour convaincre les promoteurs, nous misons sur des preuves tangibles : comparatifs de coûts, simulations de retour sur investissement et études de cas de projets réussis. Nous les accompagnons activement dans cette transition en mettant en lumière les projets certifiés, en leur apportant un appui technique personnalisé et en les valorisant lors de roadshows et de visites d’investisseurs. C’est une démarche pragmatique, fondée sur la performance et la visibilité.

La digitalisation des procédés industriels est parfois perçue comme une menace pour l’humain. Comment veillez-vous à ce qu’il reste au cœur de cette transformation ?
Bien au contraire, la digitalisation vise à améliorer le quotidien des collaborateurs. Elle apporte plus de confort, renforce la sécurité et optimise le temps de travail. En automatisant les tâches répétitives ou à faible valeur ajoutée, elle libère du temps pour ce qui compte vraiment, voire la montée en compétences, la créativité et l’innovation. 

Dans un secteur aussi exigeant que l’industrie, l’innovation est une clé de compétitivité. Grâce à cette transformation, les équipes peuvent se consacrer davantage à la formation, au développement personnel et à des missions à plus forte valeur humaine. 

L’humain ne disparaît pas, il évolue et il s’élève. Chez nous, il reste l’essence même de l’entreprise. Aucune technologie, aussi avancée soit-elle, ne peut remplacer l’intuition, l’expérience et l’intelligence émotionnelle des femmes et des hommes qui la font vivre.

La Smart City de Beau-Plan revendique une forte dimension sociale. Quelles sont les initiatives concrètes mises en place pour favoriser l’inclusion ?
Depuis sa conception, Beau-Plan a placé l’inclusion au cœur de son développement. Terra a toujours eu la volonté que la croissance de la Smart City bénéficie à l’ensemble de la région. Depuis 2019, nous collaborons étroitement avec les conseils locaux et soutenons une diversité de projets à vocation éducative, environnementale, sportive et culturelle. Nous organisons également des événements gratuits et ouverts à tous pour renforcer le lien social. 

Parmi les réalisations marquantes, plus de Rs 60 millions ont été investies à Bois-Rouge pour la création d’un centre sportif et l’amélioration des infrastructures locales. Du 20 septembre au 11 octobre, nous lançons une campagne de recyclage des plastiques encombrants en partenariat avec PIM et Mahogany Shopping Promenade afin de sensibiliser et mobiliser les habitants autour des enjeux environnementaux. 

Aujourd’hui, Beau-Plan se veut une ville ouverte, inclusive et engagée qui investit dans le bien-être collectif, l’accès à l’éducation et la création d’opportunités professionnelles pour tous. Le Mahogany Shopping Promenade, situé au cœur de la Smart City, illustre parfaitement cette transformation en ayant profondément amélioré le mode de vie des villages avoisinants.

Quels sont, selon vous, les trois leviers les plus urgents pour accélérer la transition écologique à Maurice ?
Trois leviers me semblent absolument prioritaires pour impulser une transition écologique efficace à Maurice : la transition énergétique avec l’abandon progressif du charbon et une amélioration significative de l’efficacité énergétique des bâtiments, le développement d’une économie circulaire locale fondée sur la réduction, la valorisation et le recyclage des déchets afin de limiter notre empreinte environnementale et la préservation des écosystèmes naturels tels que les mangroves, marécages, herbiers marins et récifs coralliens qui jouent un rôle crucial comme barrières naturelles contre les effets du changement climatique. 

À cela, j’ajouterais un quatrième pilier tout aussi essentiel : la sécurité alimentaire, en renforçant une agriculture locale, diversifiée et durable pour réduire notre dépendance aux importations et garantir une résilience face aux crises.

Dans une société encore très axée sur la croissance rapide, comment faire évoluer la perception du développement durable ?
La perception du développement durable est déjà en mutation. De plus en plus d’entreprises prennent conscience de leur rôle et investissent sérieusement dans des pratiques responsables, en repensant leurs modèles économiques et en intégrant les enjeux environnementaux dans leur stratégie de croissance. 

Cependant, à Maurice, il est crucial de sortir de la logique du « toujours plus vite » pour adopter une approche plus réfléchie, fondée sur la création de valeur durable. Cela implique de privilégier des projets porteurs de sens qui respectent les ressources naturelles, favorisent l’inclusion sociale et contribuent à un avenir plus résilient. 

Changer les mentalités passe par l’éducation, la transparence et la démonstration concrète que durabilité et performance économique peuvent aller de pair.

Percevez-vous une volonté politique forte pour accompagner les entreprises vers des modèles plus durables ?
Les choses évoluent, mais pas toujours au rythme nécessaire. La volonté politique existe, bien qu’elle soit encore freinée par certaines lenteurs administratives et des priorités parfois divergentes. Heureusement, des institutions comme Business Mauritius jouent un rôle structurant en accompagnant les entreprises dans leur transition vers des modèles plus responsables. 

La création d’un nouveau ministère de l’Environnement marque un tournant et témoigne d’un engagement plus affirmé et d’une conviction sincère chez certains acteurs politiques. C’est un signal encourageant qui montre que les mentalités évoluent et que les bases d’un changement systémique sont en train de se poser.

Pour conclure, quel rôle les citoyens mauriciens peuvent-ils jouer dans cette transition au-delà des gestes individuels ?
Les citoyens mauriciens sont bien plus que des observateurs, ils sont les véritables gardiens de notre île. Leur rôle dépasse largement les gestes du quotidien. En s’exprimant, en s’engageant et en influençant les décisions publiques, ils peuvent accélérer la transition écologique. 

En tant que consommateurs, ils ont également un pouvoir d’action considérable. C’est en privilégiant les produits locaux, durables et responsables qu’ils orientent les marchés et encouragent les entreprises à adopter des pratiques plus vertueuses. 

Le changement collectif commence par des choix individuels éclairés et portés par une conscience citoyenne active.

 

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