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Forum de l’Open University à Ébène - 50 ans d’Indépendance : un bilan et des défis

La ministre de l’Éducation, Leela Devi Dookun-Luchoomun (3e à partir de la gauche) avec la direction de l’Open University et du Mahatma Gandhi Institute.
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50 ans après son Indépendance, Maurice dresse un état des lieux, perspectives : « The Road Travelled, The Road Ahead », titre de la journée de réflexion initiée le jeudi 30 août 2018 par l’Open University présidée par le Dr Issa Asgarally. Quelque 19 spécialistes dans leurs domaines respectifs étaient conviés pour animer cinq tables rondes.

Au menu, société et histoire, éducation, économie et finances, littérature et arts, médias et communication, des thématiques à l’aune desquelles les panélistes étaient appelés à mesurer le chemin parcouru depuis mars 1968 jusqu’aujourd’hui et les enjeux auxquels ces mêmes thématiques seront confrontées durant les prochaines. À en croire Jean-Marie Chellin, l’essor de Maurice ne date pas de l’ère post-indépendante, car durant la colonisation française avaient été jetées les bases industrielles qui serviront au développement de l’île. Pour le panéliste, l’Indépendance a eu pour effet de faire fuir une élite intellectuelle, « ce qui a arrangé les politiciens de l’époque ». Sans le nommer, il tresse les lauriers aux jeunes du MMM, venus apporter une bulle d’oxygène à la classe vieillissante des politiciens mauriciens. Ni l’éducation gratuite, ni le boom sucrier, ni les luttes ouvrières ne valent d’être considérés, sinon comme caractéristiques de ce qu’il désigne comme le moyen-âge mauricien. Tout bien considéré, Jean-Marie Chellin assène que « l’Indépendance nous a fait perdre un certain regard sur la question des origines de Maurice, privilégiant une segmentation de la population ». 

La perversion des procédures à l’Université de Maurice (UoM) a été encore remisée avec les propos du Professeur Prakash Gooroochurn, de l’Université de Columbia, lui-même ancien enseignant à Réduit. Il a fait état des obstacles qu’il a rencontrés entre la surcharge de ses cours, son salaire dérisoire et son souhait d’avancer dans les travaux de recherches. Avant lui, le Professeur Nair a fait état d’une « crisis of learning which needs to be critical  », tendant à pointer du doigt l’absence d’un enseignement qui engagerait l’étudiant dans les questions de communauté. Au cœur de cette problématique, il pose la question de la qualité des cours dispensés à l’UoM. 

Après le ton « politiquement correct  » du vice-président de la République, Barlen Vyapoory, c’est l’économiste Pierre Dinan qui a remis les pendules à l’heure, en mettant l’accent sur l’aspect déficitaire, d’année en année, de notre balance des paiements. L’économiste s’est dit inquiet de la lenteur ou l’absence de projets de l’économie bleue.


 

Le Dr Jeevendiren Chemmen.
Le Dr Jeevendiren Chemmen.

3 questions au Dr Jeevendiren Chemmen

« L’éducation doit être davantage envisagée comme une transmission des savoirs »

Parmi les cinq panélistes intervenant sur la thématique consacrée à l’éducation, le Dr Jeevendiren Chemmen a été très critique à l’égard du système éducatif mauricien, qu’il compare à des rapports militaires, entre l’enseignant « tout-puissant » et les élèves contraints de « subir » ses cours.


Vous qualifiez les relations enseignant-élève comme un système propre à l’armée. Pourquoi ?
C’est le système qui transforme l’enseignement en un rapport de forces, où l’élève est contraint d’avaler sans broncher les cours. L’enseignant se présente comme un possesseur des savoirs et les élèves comme des grands naïfs. Or, partout ailleurs où l’enseignement est dispensé, les élèves sont encouragés à donner leurs opinions, s’engageant parfois dans des discussions contradictoires avec leurs enseignants. À Maurice, ce type de rapports serait surréaliste tellement on a appris à l’élève qu’il est en classe pour apprendre et non pour réagir.   

Qui faut-il blâmer à ce compte-là ?
C’est la formation de l’enseignement qui doit être remise en cause, afin qu’elle s’adapte aux mutations de tout ordre dans un monde marqué par le réseautage et la diffusion de communication et des images en temps réels. C’est pourquoi un apprenant n’entre pas en classe, la tête vide. La veille ou le même jour, il a passé des heures sur son smartphone et parfois, il s’est même documenté sur une question qui fera l’objet d’un cours. Il s’est fait sa petite idée sur le sujet et il est en mesure d’interagir avec son enseignant. Certains enseignants sont tentés de le faire mais ils sont vite rattrapés par les règlements de leurs collèges et parfois découragés par leurs collègues.

Quelles sont les conséquences de ce type de rapports élèves-enseignant ?
Au sortir du collège, on se retrouve avec des jeunes incapables de défendre leurs idées. C’est la principale raison qui explique que nous sommes incapables d’innover et contraints de mimer. L’autoritarisme parental et pédagogique tue toute velléité de créativité chez l’enfant et annihile son sens critique. Je plaide pour que l’éducation soit davantage envisagée comme une transmission des savoirs, dans une relation de gourou à apprenant. 


Assonne et Luchoomun : les voix discordantes

Sedley Assonne, journaliste, et auteur, n’a pas manqué de souligner l’absence de la langue créole durant ces débats et s’est élevé contre la pratique du clientélisme dans la politique des subventions accordées aux artistes. Auparavant, il a cité les noms de Malcolm de Chazal, Marcel Cabon et Dev Virahsawmy comme des figures clé qui ont pris à rebours leur origines communautaires pour inscrire une véritable démarche mauricianiste.

Quant au peintre Krishna Luchoomun, et à chaque fois qu’une telle occasion se présente, il remet sur le tapis la pratique communautariste, qui trouve ses origines depuis l’époque coloniale, dans le monde de l’art à Maurice. Ce qui explique que les seuls tableaux accrochés dans les grands hôtels portent la signature des artistes franco-mauriciens. Il convient de souligner qu’à ce jour, l’État n’a construit aucune salle d’exposition ou de musées, ni engagé les services de professionnels dans le domaine des beaux-arts.


Dr Amenah Jahangeer-Chojoo : « La dénatalité impactera l’avenir »

La question de la décroissance démographique a déjà fait l’objet de débats en raison de son incidence sur le paiement de la pension universelle. Cette fois, le Dr Amenah Jahangeer-Chojoo élargit cette préoccupation d’avenir à laquelle vient se greffer l’ambition des jeunes à émigrer.

Au cœur de la question se situe le taux d’infertilité en nette décroissance, qu’elle met en rapport avec l’augmentation chiffrée de retraites dans les dix prochaines années. « Ce poids risque de devenir lourd si on manque de bras pour produire », explique-t-elle en faisant valoir que « la dénatalité impactera l’avenir de Maurice. » Intervenant à une question, elle a expliqué que les gouvernements à Maurice ont favorisé les groupes au détriment des individus. « C’est une forme de stabilité mais cette équation met à mal la méritocratie », fait-elle observer.

 

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