Interview

Faizal Jeerooburkhan, de Think Mauritius : «Je préfère une bonne dictature à une mauvaise démocratie»

Faizal Jeerooburkhan

Faizal Jeerooburkhan revient sur l’épineux dossier de la réforme électorale. Le membre fondateur de Think Mauritius aborde également des sujets comme la drogue et l’insécurité au pays.

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Cela fait des années qu’on parle de réforme électorale. Pensez-vous qu’il y ait une chance qu’elle se fasse cette fois-ci ?
Il est grand temps qu’il y ait une réforme. Nous avons eu droit à plusieurs rapports jusqu’ici : Carcassonne, Bogdanor et Vilanova, Sachs, Sithanen, White Paper… Le hic, c’est que ces rapports n’ont rien apporté, alors qu’ils ont coûté des millions de roupies. Pis, la population n’a jamais été consultée.

Aujourd’hui, la réforme est devenue une obligation pour le gouvernement, même si ce n’est pas ce qu’il veut. Pourquoi une obligation ? Parce que Rezistans ek Alternativ (ReA) a présenté le cas à la Cour suprême en 2005 et que celle-ci lui a donné gain de cause. Le Privy Council lui a également donné gain de cause en 2011. En 2012, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies avait lancé un ultimatum de 180 jours au gouvernement mauricien pour qu’il remédie à la situation. Nous sommes en 2018. Rien n’a encore été fait.

On prévoit d’augmenter le nombre de députés pour le faire passer à 82. Est-ce trop pour un petit pays comme Maurice ?
Le Parlement n’est pas tout à fait efficace. Certains parlementaires s’assoient et dorment, d’autres ne font rien et d’autres encore font des bêtises. On les paie à ne pas faire grand-chose. Il faut donc réduire le nombre de députés. Prenons le cas de l’Allemagne, où il y a un député pour 116 000 habitants. En Hollande ou en Espagne, c’est un député pour 75 000 habitants. En France, c’est un député pour 72 000 habitants. Et en Italie, un député pour 64 000 habitants. Pourquoi à Maurice un député doit-il représenter moins de 20 000 habitants ?

Nous sommes pour le renforcement du mauriciannisme et du vivre-ensemble. D’aucuns disent que ‘lamin dan lamin’ est désormais un slogan creux»

Justement, vous proposez d’augmenter le nombre de circonscriptions pour le faire passer à 50, avec un député par région et 12 sous la représentation proportionnelle (RP). N’est-ce pas du « wishful thinking » ?
Pas du tout. Autrefois, on travaillait avec 40 circonscriptions et cela se passait très bien. Il n’y avait pas lieu d’introduire le Best Loser System (BLS). Avec 50 circonscriptions, toutes les communautés auraient la chance de se faire représenter au Parlement. L’avantage est qu’on endiguerait le communalisme et le castéisme. Cela permettrait aussi de lutter contre le pouvoir de l’argent, parce qu’il y a trop d’argent dépensé dans les élections. Si un seul député est affecté par circonscription, il aura davantage de responsabilités et sera plus en contact avec ses mandants. Avec trois députés par circonscription, il n’y a pas cette proximité. Sans compter le fait que souvent, ce n’est qu’un seul député des trois qui abat tout le travail. Le fait d’augmenter le nombre de circonscriptions à 50 aidera à résoudre pas mal de problèmes.

Si nous réduisions le nombre de ministres (qui sont 20), cela nous aiderait aussi à faire des milliards de roupies d’économies. Aujourd’hui, un ministre nous coûte Rs 13 millions pendant son mandat de cinq ans. Et cela concerne seulement le salaire. Si on inclut les coûts indirects, les frais pour les services des gardes du corps, les voitures et les chauffeurs, ainsi que les per diem et les pensions, le montant passe à Rs 25 millions. Sans compter les nominations des proches de ministres à des postes clés contre des salaires mirobolants. C’est nous qui payons.

On envisage de remplacer le BLS par un système où ce sera les leaders politiques qui choisiront ceux qui sont éligibles aux sièges additionnels. N’est-ce pas conférer un peu trop de pouvoir aux leaders ?
Nous sommes totalement contre cette idée, qui serait d’ailleurs antidémocratique. C’est le peuple qui doit être souverain et décider qui doit entrer au Parlement. Ce serait une mauvaise chose de donner le pouvoir de choisir aux leaders politiques, d’autant qu’on voit comment fonctionnent certains partis. Ils ont la même culture politique. Ce sont leurs leaders qui décident de tout. Il n’y a pas de démocratie au sein des partis.

À Maurice, on développe une culture de ‘roder bout’ du plus haut au plus bas de l’échelle sociale. Tout le monde veut avoir son ‘ti bout by hook or by crook’»

Quelle est votre position sur un recensement communal, comme suggéré par le Parti mauricien social démocrate ?
Nous sommes contre. ça ne ferait qu’attiser le problème du communalisme à Maurice. Think Mauritius prône avant tout le mauriciannisme. Nous sommes Mauriciens avant d’être issus de telle religion ou de telle caste. Nous sommes pour le renforcement du mauriciannisme et du vivre-ensemble. D’aucuns disent que « lamin dan lamin » est désormais un slogan creux. Nous ne voulons pas qu’il en soit de même dans la réalité.

Votre avis sur l’acharne-ment des avocats parlementaires Teeluckdharry et Rutnah contre Paul Lam Shang Leen, qui a présidé la commission d’enquête sur la drogue ?
Je trouve cela abominable. Ils sont issus du gouvernement qui a mis sur pied cette commission d’enquête sur la drogue. En agissant de la sorte, ils discréditent le président de la commission et ses assesseurs. C’est très mauvais. Je ne comprends pas pourquoi le Premier ministre n’arrive pas à prendre des sanctions contre ceux qui font des déclarations intempestives, qui créent des doutes et qui discréditent le rapport Lam Shang Leen. Il aurait dû les rappeler à l’ordre. Le Bar Council a pris les devants en convoquant Me Teeluckdharry. Le Premier ministre aurait dû faire quelque chose pour envoyer un signal fort.

Quelques mots sur le fléau de la drogue, qui gangrène notre société…
Le gros problème est que nos institutions, qui sont censées agir comme garde-fous, ne fonctionnent plus comme il faut. Certaines ont été infiltrées par la mafia de la drogue. Quand on pense qu’il y a des avocats qui les soutiennent et les défendent. Je crois que, si on a un minimum de moralité, on doit refuser de défendre quelqu’un qui nuit à la nation.

À Maurice, on développe une culture de « roder bout » du plus haut au plus bas de l’échelle sociale. Tout le monde veut avoir son « ti bout » by hook or by crook. On est réduit à une nation de « roder bout ». Ce ne sera pas facile de changer la donne.

J’irai jusqu’à dire que nous avons peut-être besoin d’un dictateur comme Lee Kuan Yew, qui a à cœur l’intérêt du pays et qui veut faire avancer les choses pour la nation et non pour ses petits copains. Or, à Maurice, il y a un manque de patriotisme à tous les niveaux. Certains ne pensent qu’à leurs intérêts. Il faut développer le sens du patriotisme à l’école, comme cela se fait à Singapour.

Il faudrait donc un despote pour redresser le pays ?
La dictature et la démocratie ont leurs forces et leurs faiblesses. Moi, je préfère une bonne dictature à une mauvaise démocratie. Mais bien entendu, il est difficile d’avoir un autre dictateur comme Lee Kuan Yew. Les dictateurs déraillent souvent et deviennent comme Mugabe : une fois qu’ils sont là, ils ne veulent plus bouger. Lee Kuan Yew est respecté et admiré. La démocratie n’est certes pas à 100 % à Singapour, mais la cité-État a fait du progrès et elle poursuit sur sa lancée. À Maurice, nous flanchons, que ce soit en matière d’éducation, de services ou de Law & Order.

 

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