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Entretien avec le Professeur Khalil Elahee - Réseau sous tension : comment éviter les coupures?

Professeur Khalil Elahee.

Les coupures d’électricité se multiplient dans certaines régions, et le spectre du délestage hante les esprits. Sommes-nous réellement à l’abri d’un black-out ? Face à cette crise énergétique, nous avons rencontré le Professeur Khalil Elahee, expert en matière énergétique, pour décrypter les causes de la situation actuelle et explorer les solutions envisageables.

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Maîtriser la demande

Depuis plusieurs années, le Professeur Khalil Elahee plaide en faveur d’une gestion plus rigoureuse de la demande énergétique. Selon lui, la récente pointe record de 567 MW illustre une consommation en constante hausse, exacerbée par les vagues de chaleur et l’augmentation des équipements électriques dans les foyers. Pourtant, il existe des solutions simples pour alléger la pression sur le réseau.

« Le lendemain du pic de consommation, grâce à une action conjointe avec la MBC, le Central Electricity Board (CEB) a démontré qu’une réduction de 5 MW est possible avec quelques gestes simples aux heures de pointe. Il faut intensifier cette campagne de sensibilisation en rappelant la demande en temps réel, notamment au début et à la fin du journal télévisé de 19h30, et ce, tous les jours pendant tout l’été. Cela ne prendrait que 30 secondes, mais aurait un impact considérable », explique-t-il.

Cette proposition n’est pas nouvelle. « En 2013, la National Energy Commission avait déjà recommandé une telle initiative, mais elle n’a jamais été mise en œuvre », regrette-t-il.

Selon le Professeur Elahee, une réduction significative est à portée de main : « Il y a plus de 500 000 clients du CEB. Si chacun éteint une lampe inutile ou reporte l’usage d’un appareil énergivore en dehors des heures de pointe, une baisse d’au moins 2 MW est atteignable. Cela repose sur une participation d’un client sur cinq, avec une diminution de seulement 10 W par personne, soit l’équivalent d’une ampoule ».

L’impact des climatiseurs est également souligné : « Si les 30 000 climatiseurs installés en 2024 sont réglés à 25°C au lieu de 20°C, nous pourrions économiser jusqu’à 6 MW ».

Les coupures fréquentes

Pourquoi ces mesures sont-elles cruciales ? « Parce qu’un excès de consommation dans certaines régions entraîne des pannes localisées. Lorsque trop de climatiseurs sont installés dans une zone, la charge dépasse la capacité des lignes de distribution. Cela provoque des coupures, non pas à cause d’un manque d’électricité, mais en raison d’une surcharge locale du réseau », répond-il.

Pour mieux comprendre les coupures fréquentes dans certaines régions, le Professeur Elahee fournit cette explication : « Dans un quartier où il n’y avait pas un seul climatiseur il y a dix ans quand la plupart des habitants avaient construit leurs maisons, aujourd’hui nous pouvons compter 500 unités de climatiseur. La demande augmentera de 1 à 2 MW en capacité et aux heures de pointe il y aura un ‘tripping’ localisée, donc une panne.  Ce qui est regrettable c’est que jamais personne n’informe le CEB qu’il y a une addition dans ses besoins. Les lignes de basse tension localement ne sont pas faites pour de telles situations de demande non prévue. Il faut aussi noter que les climatiseurs d’antan sont gourmands en énergie si nous les utilisons encore aujourd’hui. Ceux qui sont de classe A+ datant de 2015 ne sont pas aussi efficaces que ceux de classe C ou même D de nos jours ».

Black-out ou délestage ?

L’idée d’un black-out total inquiète de nombreux Mauriciens. Cependant, selon l’expert, il faut bien différencier les termes : « Un black-out survient généralement à la suite d’un cyclone majeur ou d’un défaut technique grave. C’est un phénomène rare. En revanche, un délestage programmé – ou ‘rolling load-shedding’ – peut être nécessaire si la demande dépasse l’offre des centrales en opération. Cela reste évitable avec une meilleure gestion. D’ailleurs, même en Afrique du Sud, cette pratique est désormais révolue ».

Le Professeur Elahee insiste sur un point essentiel : les coupures fréquentes observées récemment ne sont pas dues à un déficit global, mais plutôt à une surcharge locale. « Dans de nombreux quartiers, les infrastructures électriques n’ont pas été adaptées à l’augmentation de la consommation. Les habitants installent de nouveaux équipements sans en informer le CEB. Résultat : les lignes de basse tension saturent et disjonctent », tient-il à préciser.

À la question de savoir si un délestage est à prévoir, il reste prudent : « Je ne dispose pas de toutes les données précises, comme le ‘capacity margin’ qui doit normalement dépasser 5 %. Toutefois, si ce seuil est respecté, alors la situation est sous contrôle ».

La gestion de la demande

Le Professeur Elahee met cependant en garde contre l’absence de planification à moyen et long terme. « La gestion de la demande est essentielle. Je suis heureux de voir l’Energy Efficiency Management Office (EEMO) que j’avais aidé à créer redevenir actif. Avec des ressources adéquates et une stratégie efficace, nous pouvons éviter les délestages », indique-t-il.

Que ferait-il s’il dirigeait l’EEMO ? « Il faudrait accompagner les rappels à la sobriété énergétique en temps réel pendant le journal de 19h30 avec des actions sur le terrain en engageant plus activement les consommateurs, notamment dans le secteur résidentiel. Par exemple, il faut se servir davantage des réseaux sociaux. Je pense que le secteur industriel et commercial - avec ses malls qui ouvrent jusqu’à tard, ainsi que les hôtels - peut s’engager directement et activement dans une campagne nationale de sobriété énergétique ciblant la pointe maximale de la demande du soir ».

Vers une nouvelle vision : Maurice Île Durable

Pour conclure, le Professeur Elahee plaide pour un retour du concept de Maurice Île Durable. « Ce projet représentait une approche globale, conciliant développement économique, justice sociale et préservation environnementale. Il est urgent de relancer cette vision pour garantir un avenir énergétique viable et durable pour Maurice », explique-t-il.

Enfin, il insiste sur l’importance d’une présence active sur la scène internationale. « Nous devons renforcer notre engagement dans les financements verts et la diplomatie climatique. L’inaction n’est pas une option si nous voulons assurer notre résilience face aux défis du futur », fait-il ressortir.

Le rôle du solaire dans la transition énergétique

Selon le Professeur Elahee, l’énergie solaire est une des clés pour répondre aux défis énergétiques actuels : « Pendant les périodes de forte chaleur, nous avons un ensoleillement maximal. Il est donc logique de maximiser la production photovoltaïque pour alimenter les climatiseurs en journée.

Mieux encore, nous devrions investir dans le ‘solar cooling’, une technologie qui permet de produire du froid directement grâce à l’énergie solaire. »
Pour le long terme, il plaide en faveur d’un ajout d’au moins 300 MW de capacité solaire d’ici 2030. « C’est un objectif ambitieux, mais nécessaire. La feuille de route énergétique doit être actualisée pour refléter cette réalité », soutient-il.

Les véhicules électriques : Un fardeau pour le réseau ?

Avec la montée en puissance des véhicules électriques, certains craignent une aggravation de la crise énergétique. « Cela ne devrait pas être le cas si les mesures adéquates sont mises en place. Le CEB encourage déjà l’installation de panneaux photovoltaïques et propose des tarifs réduits en dehors des heures de pointe. Il faudrait élargir ces tarifs aux week-ends et jours fériés pour inciter davantage les utilisateurs à adapter leurs habitudes », indique le Professeur Elahee. Toutefois, pour atteindre les objectifs fixés par la Roadmap gouvernementale – soit 26 000 véhicules électriques, dont 11 000 entièrement électriques (BEV) d’ici 2030 –, il faudra développer rapidement un réseau de bornes de recharge alimentées par l’énergie solaire.

Les défis futurs du secteur énergétique

L’avenir énergétique de Maurice, rappelle le Professeur Elahee, repose sur des choix stratégiques cruciaux. « Nous avons pris des engagements dans le cadre de l’Accord de Paris, notamment l’élimination du charbon d’ici 2030. Au-delà des considérations écologiques, cette transition a aussi du sens sur le plan économique », dit-il.

Étant donné que les contrats avec les Independent Power Producers (IPP) arrivent à échéance, pour notre interlocuteur, c’est une opportunité unique de redéfinir le paysage énergétique du pays. « Nous devons planifier dès maintenant notre trajectoire jusqu’en 2040, voire 2050. L’énergie est un enjeu global qui touche le transport, les infrastructures, l’industrie et même la connectivité numérique », indique-t-il.

Cependant, le véritable défi, selon lui, est politique : « Il faut une nouvelle gouvernance énergétique, libérée des intérêts particuliers. Nos décisions de cette année auront un impact déterminant sur les décennies à venir. Sommes-nous prêts à rompre avec le passé ? ».

 

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