
Sollicités par Le Défi Quotidien, quatre anciens ministres des Affaires étrangères — Anil Gayan, Nando Bodha, Étienne Sinatambou et Madan Dulloo — réagissent à l’attaque américaine contre des sites nucléaires en Iran. Ces anciens chefs de la diplomatie livrent des analyses contrastées sur les motivations des uns et des autres, les implications régionales et les conséquences potentielles pour Maurice, notamment sur les prix du pétrole, la stabilité géopolitique et les relations internationales. Tous s’accordent à souligner la gravité de l’instant, tout en relevant la complexité géopolitique de la situation.
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Anil Gayan : « L’Iran est isolé, Trump envoie un message à Moscou »
Pour Anil Gayan, ministre des Affaires étrangères de 1983 à 1986, puis de nouveau entre 2000 et 2003, l’attaque américaine était « inévitable », l’Iran n’ayant selon lui « fait aucun effort pour négocier de bonne foi sur son programme nucléaire ». Il estime que l’initiative israélienne de bombarder en premier lieu a précipité la décision de Donald Trump d’utiliser ses bombes anti-bunker.
« Je pense que la seule conséquence immédiate sera la hausse du prix de l’essence et du fret. Trump, tout en attaquant l’Iran, a également envoyé un message subtil à la Russie : il n’y a qu’un seul maître à bord, et c’est les États-Unis », affirme-t-il.
Selon lui, aucun pays du monde arabe ne s’est positionné clairement aux côtés de l’Iran, lequel apparaît « isolé ». Il souligne également que « les États-Unis et Israël défendent leurs intérêts et agissent dès qu’ils estiment leur sécurité menacée. C’est la loi du plus fort. » Gayan n’exclut pas l’hypothèse d’un changement de régime en Iran, voire d’une transition vers davantage de démocratie : « Le règne des ayatollahs semble toucher à sa fin. »
Nando Bodha : « L’Iran comme diversion face au drame de Gaza »
Chef de la diplomatie mauricienne de 2019 à 2021, Nando Bodha adopte un ton plus critique à l’égard des puissances occidentales. Pour lui, l’offensive contre l’Iran survient dans un contexte de tensions multiples, notamment le drame humanitaire à Gaza.
« Israël a isolé la bande de Gaza, a noué des pactes de non-agression avec l’Égypte, l’Arabie Saoudite, les Émirats, entre autres. Aujourd’hui, on assiste à un crime avec des gens qui meurent de faim, et le monde reste passif », déplore-t-il. Selon lui, « l’Iran sert de diversion », étant une cible de poids en raison de son programme nucléaire, et l’objectif est aussi de l’isoler du monde arabe.
« Donald Trump agit en belligérant, avec cette mentalité de cowboy propre aux États-Unis. Les cowboys ont toujours besoin d’un hors-la-loi », dit-il. Nando Bodha souligne les risques de contagion géopolitique : flambée du pétrole, volatilité du dollar, perturbations maritimes. Il redoute surtout un « acte désespéré » du régime iranien, qui pourrait précipiter une escalade incontrôlable avec une flambée de violence et d’instabilité.
S’il évoque la possibilité que les États-Unis et Israël mènent une guerre chirurgicale pour « faire tomber ceux qu’ils veulent faire partir », il met en garde contre un enlisement qui n’arrangerait personne : « Le drame serait un scénario à l’ukrainienne. »
Sur Maurice, il anticipe les conséquences habituelles : hausse des prix du pétrole, perturbation des importations et exportations. Il estime par ailleurs que Diego Garcia reste une carte maîtresse : « C’est une base stratégique inattaquable, un point de contrôle sur l’océan Indien. »
Et d’ajouter que « le monde est aujourd’hui tellement imbriqué sur le plan géopolitique que tout événement impliquant une grande puissance — que ce soit la Russie, les États-Unis ou encore l’Union européenne, pour ne nommer que ceux-là — provoque une déstabilisation globale ».
Étienne Sinatambou : « Might is right »
Ministre des Affaires étrangères de 2014 à 2016, Étienne Sinatambou rappelle que, « quel que soit le bien-fondé invoqué par les États-Unis, cette opération illustre une fois de plus que, dans le monde actuel, la force prime le droit ». À ses yeux, le président Trump se moque des avis du reste du monde, comme en témoignent ses déclarations sur X (ex-Twitter).
« Je ne pense pas que cela embrasera la région, le rapport de forces étant très clairement en faveur des États-Unis et d’Israël. Mais je crains une aggravation de la haine entre les peuples et les religions », souligne-t-il.
Il s’inquiète de la perception dans le monde musulman, où cette opération pourrait être vue comme « un massacre d’innocents alors que nous ne sommes même pas en guerre ». Il redoute que le marché pétrolier devienne « encore plus volatile. Je ne pense pas — et j’espère — que ce qui s’est passé aura des conséquences directes pour Maurice, si ce n’est une volatilité accrue du marché pétrolier. ». « Ce que j’espère, c’est qu’il n’y ait pas d’escalade », conclut-il.
Madan Dulloo : « Rien n’est prévisible »
Ministre des Affaires étrangères à deux reprises (1986, 1990 et du 7 juillet 2005 à mars 2008), Madan Dulloo se montre plus réservé et prudent dans son analyse. « Je ne saurais dire quel est l’agenda exact des États-Unis ni celui des autres puissances mondiales. La Chine, la Russie, l’Union européenne… rien n’est prévisible », avance-t-il.
Il insiste sur le fait que chaque acteur suit désormais sa propre logique, rendant toute lecture normative impossible. « Nous avons de bonnes relations bilatérales et multilatérales avec tous les acteurs concernés. Il ne serait pas judicieux de prendre position d’une manière qui pourrait offenser nos alliés. »
Pour Maurice, Madan Dulloo identifie une inquiétude majeure : les prix du pétrole et le commerce régional. « De nombreux pays producteurs sont concernés. Nos appréhensions sont donc légitimes. La suite dépendra de la manière dont les grandes puissances géreront cette crise. L’Europe, l’Inde, la Chine, la Russie, mais aussi les blocs africains et les organisations régionales arabes peuvent jouer un rôle de stabilisation. »
Escalade avec l’entrée active des USA dans le conflit
Les tensions se sont brutalement intensifiées au Moyen-Orient après que les États-Unis ont bombardé, durant la nuit de samedi à dimanche, plusieurs installations nucléaires iraniennes situées à Fordow, Natanz et Ispahan, après que l’Iran et Israël s’envoient des missiles depuis plusieurs jours. Cette frappe ciblée, qui marque un tournant majeur dans les relations déjà tendues entre Washington et Téhéran, a été accompagnée d’un avertissement ferme du président américain, Donald Trump : « Souvenez-vous, il reste de nombreuses cibles. » En réaction, le ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araghtchi, a dénoncé une attaque « scandaleuse » contre des « installations nucléaires pacifiques » et prévenu que ces actes « auront des conséquences durables ». La communauté internationale observe désormais avec inquiétude la suite de cette escalade, redoutant une déstabilisation encore plus profonde de la région.

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