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Élections reportées à 2023 - Renvoi des municipales : les implications décortiquées

Les citadins ne seront pas appelés aux urnes en juin 2022 mais d’ici juin 2023. L’annonce a été faite par Pravind Jugnauth le jeudi 14 avril 2022. Une douche froide pour ceux qui attendaient impatiemment ce scrutin. Mais quelles sont les implications légales et politiques de ce renvoi ? Le point avec des observateurs politiques. 

Le gouvernement craint-il d’affronter l’électorat urbain ? La décision de reporter les élections municipales jusqu’à juin 2023 constitue-t-elle une atteinte de la démocratie ? La situation sanitaire liée à la COVID-19, telle qu’invoquée par le Premier ministre (voir encadré), justifie-t-elle ce renvoi ? Le Défi Quotidien a sollicité l’avis de plusieurs observateurs politiques afin de mieux comprendre les implications de cette décision, alors que ce scrutin était vivement attendu par certains. 

Sur le plan strictement légal, le constitutionnaliste Milan Meetarbhan indique que le président de la République est en droit de prolonger le mandat des élus municipaux en cas de pandémie. « Si le ministre de la Santé estime que la pandémie est toujours là et que Maurice doit rester en quarantaine, le président peut le faire », explique-t-il. 

Ce renvoi peut-il être contesté sur le plan juridique ? Milan Meetarbhan répond que les juges refuseront de s’ingérer si l’évaluation du ministère de la Santé est basée sur des données purement scientifiques. « À moins qu’on arrive à établir que cette évaluation est déraisonnable par rapport à ce que prévoit l’Organisation mondiale de la santé et que ce sont des motivations purement politiques qui sont derrière ce renvoi », nuance le constitutionnaliste. 

Malgré les raisons évoquées par le gouvernement pour justifier ce renvoi et les critiques de l’opposition faisant état d’une « atteinte à la démocratie », l’historien et observateur politique Jocelyn Chan Low se demande si cette situation n’arrange pas tout le monde en fin de compte. « Le gouvernement est confronté à une crise économique avec des conséquences sur le pouvoir d’achat de la population. Nous avons aussi une opposition divisée qui n’est pas parvenue à se mettre d’accord sur plusieurs détails, notamment au sujet des postes de Leader et Whip de l’opposition. Ce qui ne fait les affaires ni de l’opposition, ni du gouvernement. » 

L’historien met aussi en exergue le fait que lors d’élections municipales, il y a toujours le problème d’abstention. Selon lui, la pandémie de COVID-19 peut davantage accentuer le désintérêt habituel des électeurs.  « Il ne faut pas oublier qu’en général, les gens ne sont même pas au courant de l’identité des conseillers municipaux et des maires », dit-il. Même s’il concède que le renvoi bafoue les valeurs démocratiques, il soutient néanmoins que Maurice reste dans une situation exceptionnelle avec la pandémie. 

L’ancien député et linguiste Dev Virahsawmy note, pour sa part, une importante contradiction dans cette décision. « Comment peut-on repousser les élections municipales et en même temps laisser les frontières ouvertes pour accueillir des touristes ? », s’interroge-t-il. 

Selon lui, la décision de repousser ces élections ne colle pas avec l’insistance du gouvernement pour un retour à la normale. « Comment peut-on dire que la tenue des élections municipales pourrait être néfaste au pays tout en plaidant pour le New Normal ? On aurait très bien pu tenir ces élections tout en insistant sur l’importance de rester prudent », estime-t-il. 

Dev Virahsawmy est d’avis que le gouvernement aurait pu se servir des élections municipales comme d’un outil pédagogique pour mieux apprendre aux Mauriciens à vivre avec la COVID-19, vu que la pandémie est loin d’être finie. « Les experts insistent tous sur le fait qu’il faut vivre avec le virus, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il faut abandonner notre culture démocratique », précise-t-il. 

En somme, selon lui, la tenue des élections municipales aurait pu être l’occasion de permettre aux partis politiques de développer une nouvelle culture. « Ils auraient pu se servir du contexte de la pandémie pour proposer une nouvelle manière de mener une campagne électorale dans le respect des normes sanitaires et en privilégiant une démocratie de proximité », conclut-il.

Le scrutin reporté pour la seconde fois

Les dernières élections municipales se sont tenues en juin 2015. En vertu de la loi, le scrutin aurait dû se tenir six ans plus tard, soit en juin 2021. Mais en raison de la situation sanitaire, il a été reporté. Des amendements ont d’ailleurs été apportés à la Local Government Act. Les élections municipales devaient se tenir d’ici juin de cette année. Mais le gouvernement vient, une fois de plus, de repousser la joute électorale jusqu’à juin 2023. 

Pravind Jugnauth : «Nous ne voulons pas faire face à ce qui s’est produit à Rodrigues» 

« Je souhaite que nous puissions dans un an donner l’occasion aux citadins d’exercer leur droit démocratique. Nous prendrons la décision qui s’impose en temps et lieu. » C’est ce qu’a déclaré le Premier ministre, Pravind Jugnauth, le jeudi 14 avril, à Camp-Diable, où il participait aux célébrations organisées par la Mauritius Tamil Temples Federation à l’occasion du Nouvel an tamoul. 

C’est justement à cet événement qu’il a annoncé le report des élections municipales. Avant son annonce, il a parlé de la situation sanitaire qui a prévalu à Rodrigues en janvier. Il a rappelé qu’une décision avait été prise pour dissoudre l’Assemblée régionale de Rodrigues le 6 janvier. 

« Nous avions fixé le Polling Day au 13 février, mais nous avons eu un premier cas de contamination le 26 janvier. Tous ceux qui ont suivi la situation ont pu voir comment le virus s’est propagé. C’était vraiment inquiétant », a-t-il expliqué.  Poursuivant sur sa lancée, il a ajouté que le 27 février, soit le jour des élections à Rodrigues, plus de 1 182 cas de COVID-19 avaient été recensés. « Certaines personnes n’ont même pas été capables d’aller voter », a-t-il précisé. 

Puis il a passé en revue la situation liée à la pandémie à travers le monde. « Vous avez vu ce qui se passe en Chine où il y a eu une explosion de cas. Une grande ville comme Shanghai a dû instaurer un lockdown pour quelques jours. Ils ont même été obligés d’étendre le confinement. » 

Pravind Jugnauth a également fait référence à la situation qui prévaut en France où pratiquement toutes les mesures sanitaires ont été enlevées. « Au niveau de l’Angleterre, on vient de découvrir un nouveau variant, le XE. Il y a très peu de cas, mais le virus se propage. Pour l’heure, nous ne savons rien de sa gravité », a-t-il prévenu. 

Le Premier ministre a dit suivre la situation de près avant de faire son annonce au sujet des élections municipales : « Mais nous avons là dû renvoyer les élections municipales une nouvelle fois pour encore une année pour toutes ces raisons que je viens de donner. » Durant son intervention, il a souligné l’importance de se faire administrer la seconde dose de rappel.

Des élections organisées malgré la COVID-19 en 2020

Le contexte sanitaire lié à la COVID-19 est la raison avancée par le gouvernement pour justifier le nouveau renvoi des élections municipales. Pourtant, ces mêmes conditions n’ont pas empêché la tenue des élections régionales à Rodrigues le 27 février 2022. 

La pandémie battait son plein sur l’île avec son lot de patients en auto-isolement et plusieurs décès. Les Rodriguais ont même eu droit à une campagne électorale inédite à travers les réseaux sociaux. Ils sont également restés connectés aux radios en ligne qui ont émergé. Quelques rassemblements ont même eu lieu. La situation liée à la COVID-19 n’a pas pour autant empiré. 

En novembre 2020, les élections villageoises ont été organisées à Maurice, alors que le pays était « COVID-Free ».

C’était après la longue période de couvre-feu sanitaire instauré le 20 mars 2020, qui a pris fin le 29 mai de la même année à minuit. Le pays avait alors enregistré 335 cas positifs et enregistré 10 décès. Il y avait certes moins de restrictions sanitaires mais la vigilance était de mise. 

Depuis ces dernières semaines, une nette baisse du nombre de cas de COVID-19 a été notée, selon les chiffres officiels du ministère de la Santé. Plusieurs pays ont enlevé ou ont allégé leurs restrictions. Maurice a opté pour la prudence en suivant les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé qui préconise la vigilance en raison de l’émergence des sous-variants d’Omicron. 

Plus contagieux mais moins virulents que la souche originelle, ces sous-variants seraient la cause de la résurgence de nouveaux cas dans les pays qui ont levé leurs restrictions sanitaires. Est-ce que la situation sanitaire à Maurice est la seule raison du renvoi des élections municipales ? C’est la question banco. 

Réactions

Ajay Gunness, leader adjoint du MMM : «C’est une atteinte à la démocratie»

« Il faut cesser d’utiliser la COVID-19 comme prétexte car il y a eu des élections municipales dans notre propre République à Rodrigues. C’est une atteinte à la démocratie. Il est clair que le gouvernement est devenu impopulaire. D’ailleurs, la population manifeste aux quatre coins du pays. »

Patrick Assirvaden, député et président du PTr : «Ce sont de fausses excuses» 

« Après ce qui s’est passé à Plaine-Magnien et à Vacoas, il est clair que le Premier ministre a peur d’affronter l’électorat. On est en train de chercher de fausses excuses. Je me demande si les élections municipales n’auront pas lieu en même temps que les élections générales… » 

Dev Sunnasy, de Linion Pep Morisien : «Il viole une fois de plus la démocratie» 

« Les récents épisodes survenus à Plaine-Magnien et Vacoas démontrent l’impopularité du gouvernement. C’est la raison pour laquelle il se sauve. Mais ce que démontre surtout le renvoi des élections municipales, c’est que le Premier ministre viole, une fois de plus, la démocratie. C’est sûr que le gouvernement attendra la mise en opération du tram reliant Curepipe et l’introduction des mesures budgétaires pour tenir les élections municipales. » 

Ashok Subron, de Rezistans ek Alternativ : «Un renvoi qui vise à étouffer les contestations» 

« Au sein de Rezistans ek Alternativ, nous pensons que ce n’est pas uniquement pour des raisons sanitaires que les élections municipales sont reportées. Le gouvernement aurait pu employer d’autres moyens pour les tenir en conformité avec les exigences sanitaires. Ce qui motive davantage ce renvoi, ce sont des raisons politiques. Le gouvernement développe une allergie très dangereuse à l’expression et à la frustration sociale. Le renvoi vise à étouffer les contestations. » 

Nando Bodha, du Rassemblement Mauricien : «Un déni de la démocratie» 

« Ce renvoi est un déni de la démocratie. Les citadins souhaitent une élection et une alternance. Les élections récemment organisées à Rodrigues se sont déroulées dans le respect des règles sanitaires. Le gouvernement est acculé et affecté par les scandales. Il ne peut se réfugier derrière la pandémie pour renvoyer ce scrutin. »

La parole à des citadins 

Des citadins ont été invités à commenter le renvoi des élections municipales. « Je pense que les élections auraient dû avoir lieu. Nous sentons que nos droits sont bafoués », avance l’un d’eux.  Un autre fait ressortir que cette décision découle du fait « le gouvernement a peur que les cinq villes ne tombent entre les mains de l’opposition ». Un autre homme déclare : « Une telle décision est un peu ridicule car la situation liée à la COVID-19 au pays n’est pas aussi catastrophique. »  Un autre citadin ajoute que « les municipales ne seront nullement en faveur du gouvernement, pas parce qu’il est en train de mal agir, mais parce que tout ce qui se produit à travers le monde et à Maurice ne joue pas en sa faveur ». Ils ont témoigné dans le jour en ligne, Info Soirée, sur Téléplus, jeudi. 

Un décret présidentiel pour repousser le délai jusqu’au 14 juin 2023 

Le président de la République, Pradeep Roopun, est appelé à signer un décret pour permettre l’extension du délai maximal pour la tenue d’élections municipales. Alors que celui-ci expirait en juin 2022, il a été repoussé au 14 juin 2023. Le gouvernement, à travers le président de la République, a pris avantage des amendements apportés à la Local Government Act en juin de l’année dernière. 

Cette loi avait pour but de repousser la date butoir des élections municipales d’un an, c’est-à-dire jusqu’à juin de cette année-ci, avec l’option de permettre au chef de l’État de repousser d’une année supplémentaire à cause de la pandémie de COVID-19. 

Le gouvernement fait valoir cette option. À travers une proclamation, le Président étendra d’un an la durée de vie des conseils municipaux existants « sur avis du Premier ministre », vu « qu’il y a, en vertu de la Quarantine Act de 2020, une épidémie de COVID-19 à Maurice et qu’une période de quarantaine est en vigueur ». 

Ceci ne signifie pas cependant que les élections municipales auront lieu en juin de l’année prochaine, mais plutôt que le gouvernement se donne le temps jusque-là pour organiser le rendez-vous des citadins avec les urnes. Le scrutin peut avoir lieu plus tard cette année, par exemple.

 

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